France

Regardez-moi, nous allons bien?

L’optimisme est ce que porte Macron, ce qu’il donne, suggère et montre. Il ne gaspille pas sa fraicheur dans le sordide des migrants de Calais, ni dans les reculades environnementales que suggère son ministre de l’agriculture, ni dans les vulgarités des affaires. Il ne donne que de la joie...

ALAIN JOCARD / AFP
ALAIN JOCARD / AFP

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Voyant un homme boxer souriant et en chemise, dans un ensoleillement d’espérance olympique, une chanson m’est venue, qui remuait l’Angleterre dans les années soixante, et nous n’aurions pas imaginé alors, De Gaulle si vieux régnant sur la France, qu’un Président, un jour, danserait comme au Swinging London. «Sugar and spice and all things nice» chantaient les Searchers, «du sucre, des épices, et toutes les bonnes choses», et ces comparses des Beatles, de Liverpool comme eux, m’inspirent la bande-son du macronisme débutant. Les Searchers, baptisés du titre d’un western de John Ford, où deux aventuriers cherchent une adolescente enlevée par les indiens, chantaient une fiancée enviable, dont les baisers avaient le gout du vin. «Kiss her is sweeter than wine». Nous n’irons pas jusque-là, mais l’ivresse n’est pas si loin quand le Président parait, au son swingant de tous ses possibles.

Samedi donc, dans une émission dédiée à la candidature de Paris aux Jeux de 2024, un journaliste de sport de France télévision tendait à Emmanuel Macron, qui venait de boxer, et de jouer au tennis, et de jouer au tennis en fauteuil, le micro de sucre que méritent les gentils rois. Sans doute, François 1er, monarque lutteur, ayant terrassé l’anglais Henri VIII, n’aurait pas eu plus doulce interrogation. Ça a été incroyable, s’extasiait le journaliste, c’était un signal fort, insistait-il, et le Président acceptait l’hommage avec naturel. Le Chef de l’Etat était au rendez-vous. C’était sirupeux. Lui qui, au bout de sa campagne, se confrontait aux rugueux confrères de Mediapart, préfère désormais –combien de temps– les amitiés des gentils présentateurs sportifs, ou des émissions branchées qui l’interpellent à bicyclette, ou les photographies juste assez mal cadrées pour faire authentique de nos magazines. Reviendra-t-il un jour le temps des contradictions dialectiques? Le Président, sous l’hommage, ronronnait l’unité mais ne disait pas des bêtises. Décrocher les Jeux, disait-il, donnerait la fierté et l’optimisme à la France: «La vie d’un pays, c’est de la psychologie» ajoutait -il, et disait que cette candidature était «la France et ce qu’elle charrie de gloire», et aussi un projet européen, puisque l’Europe était avec nous…

L’optimisme et l’Europe

En juillet 2005, un vieux Président, qui venait de perdre à la maison un référendum sur la constitution européenne, arrivait à Singapour, siège de la session du Comité international olympique, pour défendre la candidature de Paris aux Jeux de 2012. Notre dossier était parfait. La mobilisation, en France et à Paris, avait été impressionnante, quand les Champs-Elysées s’étaient transformées en une arène festive, dédiée aux sports et à l’amour des jeux, comme les berges de Seine cette année. Mais Jacques Chirac était vieux, son corps de bel homme s’était alourdi, et l’Europe conspirait à nous nuire, menacés que nous étions par Madrid et Londres, qui nous volerait la victoire. Nous fûmes rendus au pessimisme par ce refus, et notre chef émouvant et statique comme jadis nos chevaliers en armure de Crécy ou Poitiers, avait été renversé par la jeunesse svelte des londoniens: Tony Blair et Sebastian Coe associés, un prime minister social-libéral et furieusement fluide, et un ancien double champion olympique, miler de charme, humainement conservateur, qui portaient l’idée de jeux cosmopolites, dans une ville-planète…

La communication est un art de suggestion

A voir danser Macron, sur le ring improvisé de la berge de Seine, et puis se mettre à l’épreuve du tennis en fauteuil, je repensais à ma tristesse, quand Jacques Chirac, qui était nous, avait été repoussé du monde, et Paris-musette avec lui, et notre jeunesse, qui n’y était pour rien. Macron, boxant et liftant, répare le présent. Ce n’est qu’une image: elle est intéressante. Faire du sport en chemise  renvoie aux silhouettes des sportsmen  en habit, aux siècles révolus, mais suggère aussi bien une modernité du corps, souple, adaptable, naturellement. Ce n’est qu’une image. Mais ce que montre Macron est parfaitement étudié. Il a twitté deux photos. La première le montre boxant à côté d’une championne: une championne, pas un boxeur!  Voilà la marque de l’égalité des genre! Et puis, une autre, apprenant un tennis qu’il ignore, où des handicapés donnent la leçon aux valides: voilà bien la société inclusive. Le charme prétend porter du sens, ou le sens nourrir le charme. La communication est un art de suggestion. L’optimisme est ce qu’il veut nous rendre.

Evidemment, cela lui profite. Mais ne tombons pas dans la lecture un peu mièvre du commentaire politique, qui ne voir que tactique et pantomime, quand les dirigeants nous invitent au spectacle. L’optimisme est ce que porte Macron, ce qu’il donne, suggère, construit, montre, accumule, investit. Il est, dans ce premier temps de son pouvoir, une incarnation positive. Il invente une forme supérieure de l’éloignement présidentiel, qui nous force à imaginer Jupiter heureux, et nous demande d’être heureux avec lui. Depuis son élection, le Président ne porte aucune parole disruptive, ni ne s’abime pas dans la laideur et les contradictions; il ne gaspille pas sa fraicheur dans le sordide des migrants de Calais, ni dans les reculades environnementales que suggère son ministre de l’agriculture, ni dans les vulgarités des affaires. Il ne donne que de la joie, sugar and spice, all things nice. Cela fonctionne à merveille, tant nos media communs sont friands de sucreries. Les Searchers, d’ailleurs, avaient aussi une chanson intitulée «sweets for my sweet», des bonbons pour ma chérie, devenu chez nous «Biche oh ma biche»: la biche, comme le journaliste, s’attrape par la douceur. Tout se tient.

Macron se protège-t-il, ainsi, avant que, forcément, la gravité le rattrape? Cela va au-delà. Il installe autour de lui la rupture avec le temps révolu des impossibles et des aigreurs. Il faut cela, ce changement d’ambiance, pour que les réformes à venir ne s’enlisent pas dans le doute et la violence. Il parlera d’en haut, nous dit-on, devant le Congrès? Il n’échappera pas, alors, à la dureté des enjeux. Mais il installe auparavant, cela lui ressemble, le sugar and spice  de nos nouvelles aventures, les morceaux de sucres qui aideront la médecine à couler. Il s’agit de guérir le pays de la mélancolie, avant de le secouer. C’est intelligent, en attendant d’être efficace?

Macron, dans son sourire ne va pas à l’encontre des frilosités tricolores

Sugar and spice est un moment de politique, ce qui est plus décisif qu’une simple communication. Il construit une image du Président, à son évident avantage, mais prétend aussi changer la psychologie du pays. Sugar and spice,  le spationaute Pesquet, l’engagement verbal pour la planète, le Président à la boxe, en vélo, sugar and spice,  la jeunesse et la beauté des mots. Regardez-moi, nous allons bien?

Le sugar and spice peut s’apparenter au cool  de Barack Obama ou à la hype  d’un Justin Trudeau, mais avec une nuance. Il ne dérange pas. Obama, quand il chantait, rappelait une culture, noire et musicale, qu’une partie de son pays récusait. Trudeau, allant emballer ce week-end des denrées alimentaires au siège d’une association humanitaire islamique, pour fêter l’Aïd, porte l’idée du multiculturalisme canadien, forcément conflictuel avec les craintes de l’homme chrétien. Ni Obama, ni Trudeau, n’affirment ou n’affirmaient dans la facilité. Macron, dans son sourire ne va pas à l’encontre des frilosités tricolores.

Le Prédident, ainsi, a twitté en faveur de la Gay Pride, et ses marcheurs ont prétendu y défiler, en dépit d’une extrême gauche qui les attendait au tournant. C’est un engagement mesuré, mais qui n’engage pas à grand-chose, puisqu’il n’expose pas le monarque. Le Président Macron n’est pas allé lui-même dans les décibels de la marche des fiertés parisienne, sur le char de ses marcheurs gay-friendly. Cela n’aurait pas été, si l’on pense au corps du roi, plus hétérodoxe qu’un round de boxe? Mais cela eut été nouveau, dérangeant, perturbant, et moderne, si la modernité est une inquiétude. Le chef de l’Etat ne veut pas inquiéter le grand pays endolori. Il s’est  s’adonné, gentleman français, à l’exercice admis du sport et de la maîtrise du corps, qui est nôtre depuis Georges Carpentier, et n’est pas allé swinguer sur la techno. En 2016, Justin Trudeau, premier ministre brandissant drapeau à la feuille d’érable et bannière arc-en-ciel, avait participé dans une fête mémorable à la Gay pride de Toronto. Le temps n’est pas venu de la fête canadienne, et notre coolitude reste dans les limites du jardin à la française, même quand notre tête tourne d’être jeunes à nouveau. 

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