France

La rentrée de Danièle Obono et Florian Bachelier, deux néo-députés à l'Assemblée

Fait historique, ils sont 75% de députés à faire leurs premiers pas cette semaine. Florian Bachelier et Danièle Obono sont deux d’entre eux.

Danièle Obono à gauche, à l'Assemblée , le 20 juin 2017 ; Florian Bachelier, le 19 juin 2017 | Martin BUREAU & Thomas Samson / AFP
Danièle Obono à gauche, à l'Assemblée , le 20 juin 2017 ; Florian Bachelier, le 19 juin 2017 | Martin BUREAU & Thomas Samson / AFP

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Le premier est avocat d’affaires, élu en Bretagne après avoir rejoint «En marche !» en septembre dernier. La seconde est une proche de Jean-Luc Mélenchon, bibliothécaire et militante altermondialiste. Il a affronté une Insoumise à Rennes, quand elle est la seule représentante de ce mouvement à avoir été élue à Paris, en défaisant un Marcheur. Issus de la même génération –ils ont respectivement 38 et 37 ans–, leurs convictions les opposent, et pourtant ils incarnent l’un et l’autre le «dégagisme» à l’œuvre.

C’est un champ de ruines qui accueille les députés de la quinzième législature. Si les travaux de rénovation du Palais Bourbon n’ont pu être achevés avant leur arrivée, la plupart ont conscience de faire leur entrée à un moment historique, aux prémices d’un nouveau cycle de la vie parlementaire sous la Ve République. Car si les fondations restent, la maison construite sur les piliers PS et LR, a été entièrement dévastée. 

Lui a pris ses quartiers dès le lendemain de son élection, alors que la plupart de ses coreligionnaires n’avaient prévu d’arriver qu’en milieu de semaine. Après la traditionnelle séance photo, cette année dans les jardins des Quatre-Colonnes –afin d’éviter les pelleteuses et sacs de gravats qui encombrent la cour d’honneur–, il est très vite entouré d’un essaim de journalistes. À celui qui l’interroge sur les raisons de son empressement, Florian Bachelier répond sans sourciller: «je suis pressé d’agir». Il n’hésite pas à le dire, le sentiment qui domine chez lui en cet instant est la fierté. «C’est l’aboutissement d’un engagement fort. J’ai été nommé par Emmanuel Macron référent En marche! pour l’Ille-et-Vilaine dès septembre 2016. Les Bretons ont été à la tête de ce mouvement progressiste en plébiscitant le Président, donc il y a une grande fierté, mais aussi un sentiment d’humilité. Nous devons prouver dès à présent que nous pouvons faire de la politique autrement».

Une première polémique

Son entrée à elle s’est faite en bande, et a été quelque peu spectaculaire, théâtralisée diront certains. Mardi 20 juin en fin de matinée, les députés de la «France insoumise» arrivent en bataillon. Ils se massent le poing levé sur le perron et clament à plusieurs reprises leur slogan «Résistance !» Danièle Obono est postée à côté du chef. Alors que Jean-Luc Mélenchon entame la visite guidée, annonçant la Salle des Quatre-Colonnes, elle rit sous cape: «il y a des huissiers pour ça…» Un peu plus tard, outre les formalités administratives, elle se voit confier la mallette en cuir remise à chaque nouvel élu, et recélant les insignes républicaines: écharpe et cocarde tricolore, plan et règlement de l’Assemblée. Quand on l’interroge sur ses impressions, elle se dit avoir été amusée, comme on peut l’être en ouvrant une pochette-surprise. L’hémicycle lui a semblé «tout-petit». «On dirait un amphi de la Sorbonne où on faisait nos AG». Pour cette militante de longue date, qui, du haut de ses 20 ans, se rend à Millau pour soutenir le combat de José Bové, entre à la LCR à 22 ans avant de quitter le NPA en 2011 pour rejoindre le Front de gauche, la mise à distance semble facile, les ors de la République n’ont pas vocation à lui faire tourner la tête. «Jean-Luc, lui, était très ému, chacun a sa manière de réagir». Au-delà de leur proximité idéologique, elle concède une dimension affective dans ses rapports avec le leader de la «France insoumise». «Ce qui ne nous empêche pas d’avoir de sérieuses divergences, notamment sur la question républicaine, dont il défend une ligne très exigeante. Il est plutôt Jaurès, je suis plus Angela Davis.»

Femme, née au Gabon, elle incarne une diversité qui, même si elle reste encore très minoritaire, a fini par émerger à l’Assemblée.

En fin de journée, la jeune députée, pas encore rompue à l’exercice médiatique, rejoint le plateau de la chaîne parlementaire. Ses années d’expérience au sein d’un parti où la formation intellectuelle va de soi affleure dans beaucoup de ses propos. Sur sa présence au sein d’une Assemblée mal élue et peu représentative, elle invoque Lénine:

«Je crois en l’articulation du combat institutionnel et du mouvement social dans la rueMais il est vrai que c’est une Assemblée à la légitimité forcément écornée. C’est justement pour cela que pendant l’élection présidentielle nous avions lancé l’idée d’une Constituante, pour que la majorité des Français puisse se sentir représentée. C’est loin d’être le cas aujourd’hui.» 

Dès le lendemain, Danièle Obono doit faire face à sa première polémique médiatique.

Émanant de la fachosphère et propagée par le FN, elle finit par être relayée dans la presse. Le Figaro titre dans son édition de jeudi dernier: «Une députée Insoumise défend le droit de dire “Nique la France” et soulève une bronca.» En cause, une pétition signée en 2012 pour soutenir le groupe ZEP (pour Zone d’expression populaire), auteur d'un titre intitulé «Nique la France». Lancée par Les Inrocks, signée également par un autre député fraîchement élu, Eric Coquerel, mais aussi Noël Mamère, Eva Joly ou Olivier Besancenot, qui n’ont jamais eu à s’en expliquer, elle faisait suite à la mise en examen du chanteur pour «injure publique» et «provocation à la discrimination, à la haine et à la violence», après une plainte de l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne), une association d'extrême droite. Le couplet de la chanson qui a mis le feu aux poudres disait:

«Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes. Nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes.»

 

Mercredi, Danièle Obono, sommée de se justifier sur le plateau du «Grand oral des grandes gueules», sur RMC, déclare avoir signé cette pétition «pour défendre la liberté d’expression de ces artistes. Parce que cela fait partie des libertés fondamentales». Une réponse claire, qui n’apaise pourtant pas les esprits. «Vous pouvez dire “vive la France”», lui lance l’un des chroniqueurs. Et la députée de rétorquer: «Je peux dire «vive la France», mais pourquoi, en soi? Je ne me lève pas le matin en disant “Vive la France”». La suspicion vire à l’accusation: «Vous signez plus facilement “nique la France” que vous ne dites “vive la France”.» Un épisode révélateur de ce que le combat pour asseoir sa légitimité, de surcroît pour une jeune femme noire, ne s’arrête pas aux portes de l’Assemblée. Heureusement pour elle, Danièle Obono est depuis longtemps aguerrie au combat. Après que ses collègues, à commencer par Jean-Luc Mélenchon, aient fait corps pour dénoncer les manifestations d’«un racisme totalement décomplexé», elle a riposté samedi dans un billet publié sur son blog Mediapart

«Certain•e•s, y compris parmi des ami•e•s et camarades, ne comprennent pas toujours bien pourquoi ou comment moi, une internationaliste anti-impérialiste, militante intersectionnelle afro-féministe et antiraciste, j’ai pu me retrouver candidate de la France insoumise élue à l’Assemblée nationale. D’autres, comme celles et ceux qui vomissent leurs tombereaux de haine sur les réseaux sociaux depuis ces derniers jours, en abhorrent l’idée même et refuseront toujours, de toute façon, d’en accepter la réalité. A ces dernier•e•s, comme l’avait déjà si bien dit le boxeur poète, mi abeille mi papillon, aux rageux de son temps, je n’ai qu’un seul message à adresser: “Black, confident, cocky; my name, not yours; my religion, not yours ; my goals, my own; get used to me.” Ou dit autrement: j’y suis, j’y reste, je ne partirai pas! J’y suis, j’y reste et je ne marcherai pas au pas. J’y suis, j’y reste et je ne me soumettrai pas. “Get. Used. To. Me.” Je suis la France insoumise.»

La révolution en marche?

L’histoire militante de Florian Bachelier a réellement commencé avec la dernière campagne pour l’élection présidentielle. Il avait bien flirté à plusieurs reprises avec le PS, notamment en 2005, à la faveur de la mise sur orbite, finalement gâchée, de Dominique Strauss-Kahn. Le parcours est cohérent. Mais, au cours de la dernière décennie, c’est dans le développement du cabinet qu’il a lui-même fondé en 2007, et dont il codirigeait jusqu’à présent le département de droit fiscal, qu’il a placé toutes ses forces. Spécialisé dans les domaines des cessions-acquisitions, il se consacre en particulier aux entreprises du numérique et des biotechnologies. Il avoue qu’un sentiment d’identification a joué dans son engouement initial pour l’actuel président, qui lui a envoyé un sms pour le féliciter au soir de sa qualification pour le second tour.

«Il y a quelques points communs: l’âge, les origines provinciales et plutôt modestes, le rôle essentiel de la grand-mère, la place qu’il accorde à la littérature. Et au-delà certains traits de sa personnalité que je pense partager: la liberté comme boussole et le goût du risque.» 

Dans un premier temps, il a rencontré son équipe dans le cadre professionnel: «Je travaillais alors sur le déploiement du Programme d’Investissement d’Avenir dans le numérique, dont il avait la charge à Bercy. C’est le seul responsable politique que j’ai vu vraiment comprendre les enjeux du dossier». Il s’apprête à mettre son activité entre parenthèses, après dix ans d’engagement à corps perdu. Il démissionne cette semaine de la présidence de son cabinet, et devra certainement céder ses parts.

«Il y a clairement incompatibilité entre le mandat de député et la profession d’avocat amené à plaider contre l’Etat. Au-delà de l’aspect juridique, il faut mettre en place toutes les barrières contre le soupçon de conflits d’intérêts. Par ailleurs je conçois ma fonction non comme un métier mais comme un mandat exclusif au service de l’intérêt général.»

Il se verrait bien siéger à la commission des finances, mais ne bouderait pas la défense. «J’aimerais beaucoup travailler sur le dossier numérique et notamment sur la sécurité en la matière.» 

Danièle Obono n’a pas encore arrêté son choix:

«J’irai là où on a besoin de moi, mais je suis très intéressée par les problématiques liées au développement durable, qui ont été au cœur de notre programme. Pourquoi pas sinon la commission des affaires étrangères.»

Elle ne nourrit pas de ressentiment à l’égard de ses collègues LREM largement majoritaires et parfois peu politisés, au regard de sa propre formation. Elle ne tient pas particulièrement au terme de «gauche» pour se définir, tout en se revendiquant clairement marxiste. À l’inverse de Florian Bachelier, qui n’hésite pas à en faire usage tout en avalisant une vision libérale et entrepreneuriale de l’économie. Il est méfiant quant à l’attitude à venir des députés de la «France insoumise». «Annoncer une opposition systématique à l’Assemblée d’une part et menacer par la rue d’autre part me semblent être à l’opposé de ce dont ce pays a besoin. ll faut sortir du dogme, de l’opposition systématique, de la violence politique. Pour une seule et simple raison: ce n’est pas efficace». Si elle estime au contraire que la démocratie est l’organisation du dissensus, Danièle Obono espère pouvoir mener un travail de conviction et de dialogue, y compris auprès des parlementaires qui ne sont pas de son bord. Tous deux siègeront dès aujourd'hui sur les bancs de l’hémicycle. L’heure de constater si les groupes de la «République en marche !» et de la «France insoumise», jusqu’ici jamais représentés, seront en mesure de révolutionner l’Assemblée.

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