Culture

Le cinéma selon Netflix

La sélection du film de Bong Joon-Ho «Okja» à Cannes et sa diffusion en séance gratuite dans quelques salles françaises dans les jours à venir font polémique. L'investissement de Netflix dans le cinéma n'est pourtant pas nouveau. La plateforme a déjà l'exclusivité sur plus de 80 documentaires ou films de fiction. Et l'assaut ne fait que commencer. Il était donc urgent de s'y pencher sérieusement.

Montage Slate.fr
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La bannière publicitaire se décline sur internet de site en site, mais également sur quelques grandes affiches: Netflix débarque chez SFR. Altice, la maison-mère de l'opérateur, vient de signer un accord pour que ses clients aient accès à l'offre SVOD –service de vidéo à la demande avec abonnement– du géant américain directement sur leur box.

Trois à quatre programmes Netflix illustrent la bannière: House of Cards, Orange is The New Black, Narcos et parfois 13 Reasons Why. Tous partagent deux particularités. Ce sont des contenus dit «Netflix Original», donc proposés en exclusivité sur Netflix. Et ce sont des séries. Si la plateforme SVOD propose de la même manière one man shows, films et séries, ces dernières restent pour l'heure le plus gros produit d'appel du géant du divertissement. Celui qui lui permet de fidéliser actuellement plus de 100 millions d'abonnés dans le monde, dont 1,5 millions en France.

Pourtant, on le sent, quelque chose est en train de changer. En mars, Scott Stuber, qui travaillait sur les productions internationales d'Universal, a été débauché pour prendre la tête du développement des films chez Netflix. Il y a quelques semaines, c'était au tour de Julie Fontaine de quitter Lionsgate pour venir gérer la communication de cette même division. Et depuis deux mois, si on entend beaucoup le nom de Netflix, c'est moins pour la saison 5 de House of Cards, la série qui l'a fait connaître en France, que pour parler cinéma.

6 milliards de dollars de contenus en 2017

 

L'étincelle à l'origine de cette petite révolution tient en quatre lettres: Okja. Le nouveau long métrage du cinéaste coréen Bong Joon-Ho (Memories of Murder, Snowpiercer…), mis en ligne sur Netflix ce mercredi 28 juin, s'impose comme la premier film majeur produit par le géant de la SVOD. Le Festival de Cannes ne s'y est pas trompé, qui lui a proposé en mai dernier une place en compétition officielle, aux côtés de The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach, autre exclusivité à venir de la plateforme. Film engagé du côté de la cause animale, porteur d'une vision critique du capitalisme moderne sans rien renier de l'imaginaire de l'enfance d'un Miyazaki, animé d'un goût très sûr de la farce, Okja est une œuvre mutante, un peu pirate, qui sied parfaitement à Netflix.


Le film ne bénéficiant pas ici d'une sortie en salle en bonne et due forme –pour Okja, Netflix n'a donné son accord pour une exploitation limitée (et simultanée à sa mise en ligne) qu'aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Corée du Sud; en France, la chronologie des médias imposerait que la plateforme attende ensuite trois ans pour proposer le film à ses abonnés–, les exploitants des cinémas en ont fait un sacrilège. Et le Festival de Cannes a été poussé à revoir ses règles à compter de 2018 pour ne plus accueillir en compétition d'œuvres Netflix. Quelques semaines plus tard, les deux salles parisiennes prêtes à projeter Okja lors de séances gratuites les ont déprogrammées, à force de pression –plusieurs cinémas (à Nantes, Bordeaux et Montreuil), ont néanmoins maintenu les leur.

Cette nouvelle bataille d'Hernani, si elle porte sur des inquiétudes sincères concernant l'avenir de la salle et le financement de la création française, semble comme perdue d'avance. D'une part, comme je l'écrivais au moment de l'annonce de la sélection cannoise avec mon collègue Vincent Manilève, Netflix s'accorde parfaitement avec la manière dont est consommée la culture aujourd'hui, à savoir en ligne, chez soi, sur un large catalogue de titres en accès illimité. Il va donc être difficile d'empêcher la plateforme de prendre plus d'ampleur.

D'autre part, les moyens investis sont colossaux. En 2017, Netflix va débourser 6 milliards de dollars pour développer des contenus originaux (longs métrages, séries, captations de one man show) et acheter des droits de diffusion sur sa plateforme contre 5 milliards l'an passé. La somme devrait encore augmenter en 2018. Cette année, c'est cinquante nouveaux films qui doivent être mis en ligne sur la plateforme sous l'appellation Netflix Original. À titre de comparaison, Universal a produit 20 longs métrages l'an passé, Warner Bros 19, Paramount et 20th Century Fox 17, Amazon Studios 15, MGM 5... En France, le catalogue Gaumont pour 2016 c'est, d'après son site, 14 films. 

Un nouveau continent inexploré

 

Netflix n'a donc pas attendu Okja pour investir le champ du cinéma. Sauf que jusqu'ici, à de rares exceptions près, son apport a été largement ignoré voire méprisé. Moi-même au moment de co-écrire en avril dernir ma défense de la sélection des deux films Netflix en compétition, je n'avais vu en réalité qu'un seul de leur «Original»: I Don't Feel at Home in This World Anymore. Aussi quand, un mois plus tard, en pleine polémique cannoise, je proposais à ma rédaction en chef de visionner tous les films originaux Netflix pour écrire ensuite un papier, je n'avais pas du tout mesuré la tache qui m'attendait. C'est au final 85 films qu'il m'a fallu voir en un peu moins de six semaines.

Au-delà de son attrait masochiste –après tout il y a six mois j'avais écouté, porté par une même curiosité, tous les morceaux de JUL–, la tache ne m'en semblait pas moins essentielle. Un nouveau continent était apparu comme soudainement sur la planète cinéma. S'il faisait l'objet d'incessantes discussions, personne, semblait-il, n'avait pris le temps d'en cartographier véritablement les contours, les méthodes de fonctionnement, les enjeux. De quoi parlait-on alors, sinon d'un fantasme?

Cerner la réalité de Netflix est néanmoins une entreprise complexe. À commencer parce que le catalogue diffère grandement d'un pays à l'autre, du fait des contraintes légales notamment, et fluctue dans le temps. En février dernier, le site Finder.com listait pays par pays le nombre de films et de séries disponibles. Le contraste était saisissant. Aux États-Unis, 4.593 longs métrages étaient recensés. En France, le chiffre chutait à 1.485, derrière la Grande-Bretagne (1.586), l'Argentine (2.394), la Jamaïque (2.890) ou le Bénin (3.171), mais devant le Qatar (1.430), l'Espagne (1.042), l'Iran (653), le Portugal (537) ou le Maroc (118). 

«Une fois le montage terminé, ils étaient tellement emballés qu'ils ont entamé une seconde négociation pour nous racheter tous les droits»

Oren Uziel, réalisateur de «Shimmer Lake»

Pour compliquer un peu plus la tache, Netflix ne communique jamais sur les audiences de chacun de ses programmes en particulier. Seul le nombre global d'abonnés –un peu plus de 100 millions dans le monde donc– est rendu public. Dès lors, il est difficile de hiérarchiser les films accessibles en fonction de leur popularité, histoire de cerner précisement ce que chacun regarde. Se concentrer sur les Original semblait donc comme un bon pis aller. Le nombre de titres paraissait déjà suffisamment large pour se faire un début d'idée du cinéma promu par Netflix, puis les films étant disponibles dans quasiment tous les pays avec le sceau de la plateforme sur l'affiche, ils semblaient d'autant plus revendiqués par l'entreprise même comme une carte d'identité.

L'effet catalogue

 

Il est essentiel de souligner à cette étape que l'appellation même de «Netflix Original» cache diverses réalités. Il y a dans le lot une minorité de projets directement initiés et produits par la plateforme. Ted Sarandos, le responsable des contenus de Netflix, est ainsi crédité comme producteur sur les films The Ridiculous 6, une comédie avec Adam Sandler, Special Correspondents, signé Ricky Gervais, Justin Timberlake + the Tennessee Kids, captation d'un des concerts de l'acteur star par Jonathan Demme, ou encore Okja. En tout, dix longs métrages Original portent son sceau personnel, selon IMDB.


Netflix participe à la production d'autres titres bien sûr, plus ou moins en amont de la finition des films. Mais dans de nombreux cas, le géant de la SVOD ne fait qu'exploiter les risques pris par d'autres en achetant des droits de distribution exclusifs après que l'œuvre en question a été projetée, en festival notamment. C'est par exemple le cas de Divines d'Houda Benyamina. Ce long métrage français, produit par Easy Tiger, co-produit par France 2 Cinéma, a été distribué en France par Diaphana. Mais pour le reste du monde, il est présenté à ce jour comme un Netflix Original, inclus au catalogue sa Caméra d'or cannoise tout juste en poche. Pour les abonnés, le film est donc disponible un peu partout sauf en France, où une sortie en salle a été privilégiée, décalant la fenêtre d'exploitation de trois ans.

Résultat, si certains projets ont bien le logo Netflix écrit en gros sur l'affiche, leur réalisateur ne se vit pas forcément comme responsable d'une identité de marque particulière. Interrogé sur sa collaboration avec la plateforme, Vikram Gandhi à qui l'on doit Barry, biopic de Barack Obama centré sur ses années universitaires à Columbia, nous donnera pour seule réponse que le film «a été tourné de manière indépendante puis vendu à Netflix au Festival international de Toronto et qu'en conséquence son expérience n'était pas pertinente pour mon article».

À l'affut des bons coups

 

D'autres seront un peu plus loquaces heureusement (1), permettant de se faire une idée un peu plus concrète de la diversité des chemins pris par les films. Marilyn Ness, productrice du documentaire E-Team (2014), qui suit le travail d'enquêteurs de Human Rights Watch, explique ainsi que l'offre de Netflix leur est parvenue le lendemain de leur première au Festival de Sundance. Mis en ligne en 2016 sur la plateforme, Pee Wee's Big Holiday de John Lee, suite des aventures du héros du premier long métrage de Tim Burton, a, lui, été développé en interne. «Paul Rubbens et Judd Apatow leur avaient vendu l'idée. Netflix a payé pour l'écriture du script», nous détaille John Lee.


Christopher Louie a eu une offre pour son film XOXO (2016), dont l'action se situe au cœur d'un festival de musique électronique, sans même rencontrer personne de Netflix au préalable. «Ils ont eu en main le script du film et un teaser et m'ont envoyé une proposition de contrat par e-mail», raconte-t-il avant d'ajouter: «Le fils de Ted Sarandos, Tony, est fan d'EDM [electronic dance music, ndlr].» À l'inverse, l'investissement de Netflix pour You Get Me, en ligne depuis ce 23 juin, a été plus tardif: 

«Ils sont venus voir le film alors qu'il était en fin de montage. Tout avait déjà été tourné. Et ils ont été immédiatement emballés au point de se dire intéressés pour le distribuer», indique le réalisateur Brent Bonacorso.

On sent la plateforme à l'affût des bons coups, ce que nous confirme le récit d'Oren Uziel, réalisateur du réussi Shimmer Lake (2017), une histoire de braquage qui remonte avec malice le fil des événements:

«J'avais écrit ce script en 2008, il avait été optionné à plusieurs reprises par différents studios sans jamais être tourné. À un moment, j'ai eu assez d'expérience dans l'industrie du cinéma pour dire que je voulais le mettre en scène moi-même. J'ai trouvé un financier qui voulait bien me soutenir et on a lancé la production du film. Au bout de trois semaines, on a commencé à discuter avec Netflix. Je leur ai montré une bobine de ce qu'on avait déjà tourné. Cet extrait, le script et le casting les ont convaincus d'acheter les droits de diffusion du film sur leur plateforme après son exploitation cinématographique. Mais une fois le montage terminé, ils étaient tellement emballés qu'ils ont entamé une seconde négociation pour nous racheter tous les droits et l'inclure dans leur catalogue de Netflix Original.»

Nouveaux marchés

 

Si l'on veut revenir aux sources de l'investissement de Netflix dans la mise en avant de titres exclusifs, il faut remonter aux années 2012/2013. L'entreprise, qui s'était lancée en 1998 sur le marché de la location et l'achat de DVD en ligne, avait réussi en un peu plus d'une décennie une double mue: elle avait su imposer comme offre unique un abonnement mensuel avec accès illimité plutôt qu'une consommation à l'acte et surtout, Netflix avait misé sur le streaming afin de se libérer des contraintes physiques du DVD. Résultat, la concurrence était terrassée. 

Comme l'explique Aurelia Jackson dans son livre Netflix: How Reed Hastings Changed the Way We Watch Movies & TV, le nombre d'abonnés au service augmente encore de 60% entre 2009 et 2010. Netflix lance alors son service au Canada puis l'année suivante sur le reste du continent américain. En 2012, Le Royaume-Uni et l'Irlande sont inclus à leur tour. De 2010 à 2013, le nombre d'abonnés passe de 20 à 40 millions. Devenue une entreprise internationale et dématérialisée, Netflix a tout intérêt à se lancer dans l'achat de contenus exclusifs pour fidéliser son public. Le documentaire servira alors, avec les séries, de premier terrain d'exploration.

Pour Netflix, ce champ d'expérimentation est particulièrement intéressant pour plusieurs raisons. Les coûts sont en général moins élevés que pour la fiction, et le marché est alors totalement explosé. «À l'exception des très grandes villes, aucune salle ne diffuse du documentaire aux États-Unis. L'offre est quasi inexistante», analyse Thomas Sotinel, critique cinéma au Monde. La demande, elle, existe pourtant, veut croire Netflix.

«Le marché des documentaires était très fragmenté, confirmait en avril dernier à Mashable.fr Lisa Nishimura, qui avait été à la tête de la programmation des documentaires originaux avant de devenir la vice-présidente de la plateforme. On a compris que si on pouvait s’associer à des réalisateurs dès le début, les produire, les financer et s’occuper de tout ce processus, les équipes créatives pourraient se concentrer uniquement et sérieusement sur la réalisation.»

Le nouvel âge d'or du documentaire

 

House of Cards n'existe pas encore que The Zen Of Bennett, consacré au chanteur américain Tony Bennett, devient en 2012 le premier documentaire Netflix Original suivi quelques mois plus tard de Art of Conflict: The Murals of Northern Ireland de Valeri Vaughn, la sœur de Vince. Les deux films sont pour l'heure introuvables sur la plateforme française (probablement faute de droit, mais Netflix ne nous a pas répondu sur le sujet), tout comme The Square de Jehane Noujaim, prix du public international à Sundance pour un documentaire, qui narre les événements du printemps égyptien entre 2011 et 2013. 

2013 voit l'émergence de The Short Game de Josh Greenbaum sur un tournoi de golf pour enfant, largement anecdotique. Mais 2014 représente une année de bascule. Netflix met en ligne sur sa plateforme cette année-là sept documentaires «originaux» brassant un large éventail de thématiques, depuis la campagne perdue de Mitt Romney à la présidence racontée de l'intérieur (Mitt) jusqu'au fameux travail des enquêteurs de Human Rights Watch sur le terrain en Syrie (E-Team), en passant par une folle histoire d'équipe indépendante défiant avec allégresse la tradition du baseball (The Battered Basterds of Baseball), le combat passionnant pour la planète de l'exploratrice sous-marine Sylvia Earle (Mission Blue) ou encore la Silicon Valley racontée de l'intérieur à travers l'âpre bataille économique que se livrent plusieurs acteurs pour conquérir le marché de l'imprimante 3D (Print the Legend). Le bond qualitatif est fulgurant grâce à une stratégie maline d'acquisition.

En février 2016, deux de sept nouveaux documentaires Original acquis l'année précédente sont nommés aux Oscars: What Happened, Miss Simone? et Winter on Fire: Ukraine's Fight for Freedom. Netflix y est presque. La consécration suprême arrive l'année suivante, avec l'Oscar du meilleur court métrage documentaire accordé aux Casques blancs d'Orlando von Einsiedel. La plateforme aurait même pu réaliser un doublé historique si Le 13e d'Ava DuVernay, sur la criminalisation de la population afro-américaine, avait battu OJ:Made in America dans la catégorie du meilleur documentaire.

Hot docs wanted

 

Outre ces distinctions prestigieuses, le public suit. «Sur 94 millions d’abonnés dans le monde, près de 75% d’entre eux ont vu au moins un documentaire en 2016», confiait Lisa Nishimura à Mashable.fr.

«J'ai vraiment l'impression que Netflix a ramené beaucoup d'enthousiasme et d'excitation dans l'industrie autour du documentaire, raconte Chapman Way, coréalisateur de The Battered Bastards of Baseball. Maintenant, on peut sortir son film en simultané dans une centaine de pays, et l'espace d'un soir, des millions de personnes peuvent être en train de le regarder et d'en parler sur les réseaux sociaux.» 

Et, à voir toutes ces œuvres, il est vrai que le catalogue de documentaires de Netflix représente une impressionnante réussite avec une foule de titres passionnants comme Hot Girls Wanted sur le phénomène des jeunes femmes se lançant dans le porno amateur, Tig, et son portrait de l'humoriste Tig Notaro confrontée au cancer, Tony Robbins, sur un séminaire intense de développement personnel, Audrie & Daisy, et la douloureuse question du harcèlement en ligne suivant des affaires d'agressions sexuelles filmées, ou encore plus récemment Counterpunch, sur la crise économique et spirituelle que traverse la boxe amateur aux États-Unis. 

Mieux parmi mes neuf films Original préférés, pas moins de cinq sont des documentaires: Team Foxcatcher, déclinaison tout aussi passionnante du faits divers qui inspira le film de Bennett Miller; Le 13e d'Ava DuVernay, déjà cité; Au fin fond de la fournaise de Werner Herzog autour de notre fascination pour les volcans; Casting JonBenet, qui traite d'un autre faits divers impliquant cette fois le meutre irrésolu d'une enfant de 6 ans; et enfin, Get Me Roger Stone, passionnant portrait d'un homme de l'ombre du parti Républicain, amateur de coups tordus, qui le premier poussa Donald Trump à se lancer en politique.


 

Amazon, roi de la fiction?

 

Aujourd'hui, Netflix aimerait rééditer la même réussite avec les films de fiction, mais le marché est beaucoup plus complexe et compétitif. Fin 2015, Beasts of No Nation de Cary Fukunaga et son histoire touchante d'un enfant-soldat pris sous la coupe d'un rebelle charismatique représentait pourtant une entrée en matière remarquée. Ensuite, peu d'autres films de fiction ont attiré l'attention de la critique avant ce printemps.

«Beasts of No Nation était impressionnant. Le sujet était rude et le film avait une vraie ambition artistique, confie Samuel Douhaire, critique à Telerama. Depuis, je reste un peu sur ma faim. La qualité n'est pas encore au niveau des séries.»

Le principal concurrent de Netflix, Amazon, a en général meilleure presse. Et s'il est vrai que depuis fin 2015 le premier n'a pas produit avant Okja de film de fiction véritablement majeur, chez le second, la division menée par Ted Hope, producteur indépendant reconnu, a sorti entre autres The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, Café Society de Woody Allen, Mademoiselle de Park Chon-Wook, Manchester by The Sea de Kenneth Lonergan, Paterson de Jim Jarmusch, Le Client d'Asghar Farhadi, The Lost City of Z de James Gray ou Le Musée des merveilles de Todd Haynes.

«Nous voulons des petits films, des films de milieux de gamme et de gros films, pour tous les goûts possibles.»

Yann Lafargue

Évidemment, la situation est différente puisqu'Amazon respecte la primauté de la salle. Sa stratégie bouleverse moins l'industrie, les films n'étant exploité qu'au bout de quatre-vingt-dix-jours sur la plateforme de Jeff Bezos. Reste que la comparaison est particulièrement peu flatteuse pour Netflix. Elle peine surtout à comprendre à quel point cette dernière travaille sur une logique qui lui est propre. Là où Amazon représente le cinéma tel que le rêvent les cinéphiles, Netflix incarne le cinéma tel qu'on le consomme chez soi matin, midi et soir, dans toute sa diversité sur son ordinateur, son iPad, voire son smartphone. Avec un objectif: s'assurer de la satisfaction de chaque abonné. 

«L'important pour Netflix, c'est que les gens regardent leur contenu, détaille Richie Smyth, réalisateur du film historique Jadotville. Ils vont analyser qui regarde la fiche du film, les bande-annonces puis le film en lui-même. Si tu coches les trois cases, c'est une réussite pour eux. Si tu zappes sans rien regarder de précis jusqu'au bout, c'est que tu n'es pas satisfait.»

Ligne internationale

 

La grande variété des inclinaisons des 100 millions d'abonnés est un critère déterminant. «Nous voulons des petits films, des films de milieux de gamme et de gros films, pour tous les goûts possibles», me confie Yann Lafargue, en charge des technologies et de la communication d'entreprise chez Netflix. Là où Amazon travaille à une échelle artisanale, la plateforme de Reed Hastings est passée à l'échelon industriel, sortant au moins un film Original par semaine.

«C'est impossible à mon sens de porter un regard général tant l'offre est diversifiée, prévient Frederic, qui a lancé en 2016 le podcast Netflixers consacré à la SVOD et à Netflix en particulier. Il y a des films américains, japonais, italiens, espagnols, de toutes nationalités et de tous genres rassemblés sous une bannière "Netflix Original". Le but est que chaque abonné y trouve son compte d'où l'absence a priori de ligne éditoriale claire. Qui dit ligne éditoriale dit forcément homogénéisation des contenus, sur la forme ou sur le fond. Sur Netflix, il n'y a pas de ligne éditoriale, les Original sont complètement hétérogènes et c'est à mon sens une force car tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber.»

Et il est vrai qu'après avoir regardé tous les films dits Original, chaque généralisation que l'on pourrait faire sur un tel catalogue est à prendre avec des pincettes car il y aura toujours au moins un contre-exemple. Toutefois, on y lit déjà des tendances, comme l'internationalisation progressive de la production. Netflix compte 19 tournages en cours en dehors des États-Unis, précise Yann Lafargue.

Pour l'heure, dans le catalogue des films Original, ça se traduit notamment par l'achat de deux films coréens (Pandora et Lucid Dream), un anime japonais (Blame!), un huis clos espagnol (7 años), un documentaire brésilien (Laerte-se), un autre ukrainien (Winter on Fire: Ukraine's Fight for Freedom), une comédie dramatique italienne (Slam), un film de science-fiction britannique (iBoy), un film de sabre chinois (Crouching Tiger, Hidden Dragon: Sword of Destiny) et une drôle de comédie indienne (Naman le Brahmane).

Au-delà de ces exemples, les récits internationaux sont largement prisés, sans doute susceptibles de toucher un public plus large et de participer à l'image de marque de Netflix. Beasts of No Nation, pour commencer, s'intéressait au sort d'enfants soldats en Afrique. La comédie Special Correspondents de Ricky Gervais, sorte de remake de notre Envoyés très spéciaux bien à nous, a pour toile de fond la situation tendue au Venezuela. Jadotville raconte l'histoire oubliée de soldats irlandais envoyés par l'ONU au Congo.

Le réalisateur du Dernier roi d'Écosse, Kevin MacDonald, a dans la catégorie des films Netflix Original un documentaire consacré à l'artiste Cai Guo-Qiang. «Le film n'est pas très commercial, nous explique-t-il. Peut-être Netflix voulait-il du contenu pour la Chine ou bien les films consacrés à des artistes sont-ils populaires sur la plateforme.» Joshua: Teenager vs. Superpower raconte le combat d'un jeune activiste à Hong Kong. Quant à Sand Castle et War Machine, ils s'intéressent aux guerres américaines en Irak et en Afghanistan.

En tous genres

L'autre grand enseignement de ces Original, c'est la primauté du film de genre en adéquation avec la manière dont Netflix fait la promotion de son catalogue.

Chaque catégorie est bien sûr largement représentée avec des films qui répondent véritablement aux codes de chaque genre. Ainsi, Blame!, l'anime japonais intégré aux Original, est une dystopie futuriste sur un monde opposant les humains aux machines. The Fundamentals of Caring, de Rob Burnett, coche certainement toutes les cases de ce qu'on attend d'un film indépendant américain: star de deuxième plan (Paul Rudd), mélange de ton grinçant et de bons sentiments autour de deux personnages froissés avec la vie dont un est handicapé, un voyage qui est l'occasion pour les protagonistes de surmonter leurs difficultés, une once d'humour et d'absurdité, quelques seconds rôles savoureux et en même temps une modestie de moyens.

Films de science-fiction et fantastiques, comédies ou thrillers sont particulièrement bien représentés, même si ce ne sont pas les genres les plus prestigieux. Car Netflix sait que ces films-là sont vus, grâce au pouvoir de sa data. Plusieurs des réalisateurs que j'ai interrogés se disent impressionnés par le niveau de connaissance qu'a la plateforme de son public. Chaque page et contenu visionnés sont ainsi enregistrés et analysés par l'algorithme pour ensuite proposer du contenu qui colle au plus près des goûts de chacun. Toutefois, prévient d'emblée Yann Lafargue, il y a beaucoup de fantasme au sujet du pouvoir de la data chez Netflix: «Aucun algorithme ne peut vous aider à fabriquer un contenu de qualité. C'est tout simplement pas vrai.»

Par contre, ce que la data peut vous dire, c'est quel public ont touché les films précédents d'un réalisateur ou acteur ou combien de personnes regardent les contenus attachés à tel ou tel genre. Bref, pour chaque projet d'Original, tenter de définir la taille de la cible pour déterminer, par exemple, quel budget investir. Yann Lafargue raconte ainsi qu'au moment du lancement de la série House of Cards, Netflix savait que les films avec Kevin Spacey tout comme ceux de David Fincher marchaient bien sur la plateforme, tout comme les drames en général ou les fictions s'attachant à la politique de Washington et que la série originale britannique avait déjà bénéficié d'un petit effet de curiosité. 

In tags we trust

 

Et Netflix ne se contente pas de considérer les genres au sens large du terme. Bien au contraire. En 2014, un article passionnant de The Atlantic expliquait que le géant de la SVOD avait développé grâce à une puissante politique de tags pas moins de 76.897 manières de caractériser les films depuis les «drames criminels indiens romantiques» jusqu'aux «films de science-fiction et d'horreurs sombres tout en suspense» en passant par les «drames européens sentimentaux des années 1970» ou les «films proposant un voyage dans le temps avec William Hartnell». Le tout en respectant une certaine hiérarchie.

Voilà le degré de personnalisation auquel est arrivé Netflix et qui lui permet d'essayer de devancer au mieux les attentes de son public. Ainsi, c'est fort de ces données qu'un deal de quatre films a été proposé à Adam Sandler en 2014.

«On devait faire le film The Ridiculous 6 avec Warner Bros, se souvient le réalisateur Frank Coraci (Wedding Singer, Waterboy…). Ça faisait quelques années qu'aucun western n'avait rapporté beaucoup d'argent alors nous étions tous prêts à le faire pour un petit budget, quitte à réduire nos salaires. On croyait vraiment en ce projet. Quelques mois avant de tourner, Netflix a contacté Adam Sandler. Ils lui ont expliqué que grâce à leur data, ils avaient pu observer que certains de ses films, et notamment ceux que l'on avait tourné ensemble, faisaient partis des plus vus sur la plateforme. Ils lui ont alors proposé un deal de quatre films. Mon conseil, ça a été: prends-le. On leur a proposé The Ridiculous 6 comme premier projet et Ted Sarandos a donné son accord. Ted adore le cinéma. Il est très fan d'Adam Sandler et de notre collaboration.» 

L'accord liant l'acteur et Netflix a été renouvelé pour quatre films de plus en mars dernier. En avril, la plateforme communiquait que ses abonnés avaient regardé plus de 500 millions d'heures d'Adam Sandler depuis la sortie de The Ridiculous 6 en décembre 2015. L'algorithme ne s'était pas trompé.

Dans le public ciblé également, on sent que de nombreux films sont destinés à des segments de population bien précis. «À l'exception des États-Unis où la démographie de la plateforme est sans doute plus complexe, Netflix s'adresse d'abord à de jeunes urbains», lance Thomas Sotinel du Monde. Et ce ne sont pas les succès récents des séries Stranger Things ou 13 Reasons Why qui vont le démentir. Sur le catalogue d'Original, de nombreux films mettent en scène des jeunes –enfants, adolescents, étudiants, millenials– à commencer par Beasts of No Nation mais aussi sur ces six derniers mois Okja, You Get MeJoshua: Teenager vs. Superpower, The Mars Generation, Tramps, Le Phare des orques, iBoy, L'Autoroute, Deidra & Laney Rob a TrainCoin Heist. 

Brent Bonacorso, le réalisateur de You Get Me, y voit d'ailleurs une vraie opportunité: «Les jeunes consomment de plus en plus de films en ligne plutôt que dans les salles. En faisant de Netflix ma première fenêtre de diffusion, j'ai une chance de toucher exactement le public que je voulais, et ce, partout dans le monde. C'est ce que souhaite n'importe quel réalisateur: s'exprimer et trouver en face les bonnes personnes qui vont répondre à ce qu'on a voulu faire.»

L'art du storytelling

 

Pour Netflix, il y a toutefois un élément qui est plus important que les statistiques: le storytelling. Plus qu'un pari assuré, ce que la plateforme souhaite s'acheter, ce sont de bons récits. Ou comme le déclare la communication bien rodée du groupe: «Aider les réalisateurs à raconter les histoires qui les tiennent éveillés la nuit.» Pour Richie Smyth, ce fut certainement vrai. À partir du moment, où il a découvert cette histoire oubliée, taboue, de soldats irlandais de l'opération des Nations unies au Congo ayant fait face héroïquement mais sans soutien logistique à une armée de mercenaires, il est devenu complètement obsédé par ce récit et mettra sept ans à faire aboutir Jadotville.

«Quatorze personnes se sont suicidées de honte à cause de ce qui s'est passé. Je voulais aussi mettre mon ego de côté. L'important, c'est que leur histoire ne soit plus tue.»

Il est intéressant de noter toutefois que malgré cette passion avouée pour le storytelling, Netflix expérimente assez peu en terme de formats pour ce qui touche aux films Original. Sur plus de quatre-vingts titres, on ne compte que deux moyens métrages (Extremis et Les Casques blancs) et à peine une poignée de films dépassent les deux heures. Les œuvres plus longues bénéficient d'un traitement série. On trouve également très peu de films où la mise en scène prendrait le pas sur l'histoire racontée. C'est le cas très certainement de I Am the Pretty Thing That Lives in the House, bizzarerie fantastique signée Oz Perkins, le fils d'Anthony Perkins. Mais c'est l'exception. 


Pour le reste, la narration repose, d'abord, sur des personnages forts très incarnés. Une tendance d'autant plus flagrante dans les documentaires sélectionnés, quls i'soient écrits à la première ou à la troisième personne. Ainsi, les enquêteurs de Human Rights Watch que l'on suit dans E-Team forment un couple à la ville. On les suit dans leur quotidien, jusqu'avec leur enfant à Paris. Pendant le tournage, on apprend qu'elle, bravant la mort en Syrie pour aider à faire sortir la vérité sur ce qui s'y passe, est enceinte. Le film nous emmènera jusqu'à la maternité, le prisme personnel primant sur le collectif. Hot Girls Wanted raconte le monde du porno amateur à travers le destin de quelques femmes à Miami, tout comme Audrie & Daisy adresse la question du harcèlement et de la culture du viol en racontant le destin de deux des personnages. Le récent Counterpunch cherche à dresser un état du monde de la boxe américaine en s'attachant à l'itinéraire de trois d'entre eux.

Capter l'attention

 

Du côté de la fiction, cette primauté accordée au personnage donne une coloration particulière aux comédies comme aux films d'horreur ou fantastiques. Les Original n'abusent pas de l'accumulation de gags sans queue ni tête ou d'effets gore gratuits. Au détriment du rire, parfois. D'ailleurs, si les films ne sont pas soumis à une classification comme ceux destinés à passer dans les salles, les transgressions à l'écran restent minimes.

L'humour se joue davantage de situations rocambolesques comme dans Special Correspondents et ses deux journalistes qui font croire qu'ils sont au Venezuela, The Do-Over avec Adam Sandler et ce directeur de banque qui tente de se faire passer pour mort, ou encore Les Mémoires d'un assassin international et ce personnage d'écrivain dont le livre fait croire à tout le monde qu'il est un espion. L'horreur exprime les angoisses profondes de ceux que l'on voit à l'écran, de la mère qui adopte un enfant aux étranges pouvoirs après avoir perdu le sien (Ne t'endors pas) à cette psy encore traumatisée par l'échec de son travail avec une jeune patiente (Clinical).

Boucles temporelles, récits racontés à l'envers, frontières floues entre le fantasme et la réalité, narrations déconstruites en morceaux plus ou moins chronologiques, faux semblants, rétention d'informations pour maintenir le suspense… Plusieurs films Original Netflix aiment, il est vrai, s'amuser avec la façon dont l'histoire est racontée. Le passionnant Casting JonBenet de Kitty Green tranche avec ce mélange de témoignages/reportage et d'images d'archives adopté par tous les autres documentaires Netflix. La réalisatrice y raconte un fait divers irrésolu centré sur la mort d'une petite fille de 6 ans en faisant témoigner différents acteurs qui viennent passer un casting pour jouer les proches de la victime. Chacun y va de sa petite théorie, prenant la défense de son propre personnage, dans une mise à distance de la vérité résolument inatteignable. Enfin, l'histoire nous échappe.

Cet intérêt suprême pour la narration est bien sûr calculé du côté de Netflix. L'objectif est d'engager au maximum le spectateur dans l'histoire, de capter toute son attention pour qu'il regarde le programme jusqu'au bout. Puis d'autres. Le biopic La Femme la plus détestée d'Amérique sur la vie de Madalyn Murray O'Hair, une des figures de l'athéisme, en est un bon exemple. Si le film déroule ses principaux combats au fil des années, le nœud de la narration tient en une longue séquence d'enlèvement qui sert de fil rouge et maintient une forme de suspense. 

Selon Richie Smyth, le réalisateur de Jadotville, cet investissement du spectateur est bien une religion chez Netflix:

«Ils m'ont donné quelques notes sur le scénario, puis une fois le film fini, j'ai repris quelques éléments, retourné quelques scènes, précise-t-il. Les gens de Netflix avaient toujours le souci que le public soit le plus impliqué possible. Leur question, c'était: “Comment rendre ses personnages plus humains surtout avec autant de rôles?”.»

Un cinéma de l'émotion

 

Au final, les films Original Netflix visent en priorité à vous prendre au cœur et aux tripes. Et il est vrai que nombre d'entre eux parviennent à jouer sur une corde sensible et à susciter une émotion. Du moins à ne pas laisser indifférents. On repense aux épreuves rencontrées par Nina Simone, à Tig Notaro et sa belle résilience face à son cancer, aux profondes blessures intimes confessées par ses anonymes dans Tony Robbins, à ces trois femmes confrontées à la complexité d'être tout à fait elles-mêmes dans une société patriarcale dans Tallulah, au difficile choix de fin de vie auquel sont confrontées les familles d'Extremis, à cet enfant miracle retrouvé dans les décombres en Syrie (Les Casques Blancs), à cette jeune adolescente morte de n'avoir pu supporter la honte de son agression sexuelle (Audrey & Daisy), à ce jeune Afro-américain détenu plusieurs années en préventive pour un crime qu'il n'a pas commis pour avoir eu l'audace de refuser une procédure de plaider coupable (Le 13e), au récit fait par Werner Herzog de ce survivant de l'éruption de La Montagne Pelée en 1902 devenu bête de cirque exhibant ses brûlures (Au fin fond de la fournaise), à John Boyega tentant de préserver son jeune fils d'une violence qui n'a de cesse de le rattraper (Imperial Dreams), à Rooney Mara tentant de se laisser engloutir dans la mer pour oublier à tout jamais (The Discovery), à Rodney King, ses démons et ceux de l'Amérique. 

Dans le cinéma de Netflix, les personnages ne sont jamais aussi convaincants que quand ils sont traités avec sobriété comme dans Barry, biopic touchant sur les premières années étudiantes de Barack Obama, où on lit moins le président en devenir que la difficulté à trouver sa place quand on est métis; dans iBoy, ce super-héros par accident qui doit règler ses problèmes tout en vivant chez sa mère; dans Mitt, ce cercle familial presque soulagé de la défaite de leur candidat; ou dans Win It All, ce personnage qui se débat sans point de vue surplombant avec son addiction au jeu.

Cette forme de modestie de la fiction jouant sur la familiarité de figures ordinaires trouve une traduction assez géniale dans le recours récurrent à des acteurs connus pour leur rôle dans des séries télé. Dans les Netflix original, on croise ainsi Melanie Lynskey (Transparent) dans I Don't Feel at Home in this World Anymore, Ruth Wilson (The Affair) dans I am the Pretty Thing That Lives in the House, Allison Janney (À la Maison-Blanche) dans Tallulah, Nikolaj Coster-Waldau (Game of Thrones) dans Small Crimes, Maisie Williams (Game of Thrones) dans iBoy, Rainn Wilson (The Office) dans Shimmer LakeBob Odenkirk (Better Call Saul) dans Girlfriend's Day, Natasha Lyonne (Orange is the New Black) dans Girlfriend's Day, Terry Crews (Brooklyn 99) dans The Ridiculous 6, Vinceny Kartheiser (Mad Men) dans La Femme la plus détestée d'Amérique, Jake Johnson (New Girl) dans Win It All, Jason Segel (How I Met Your Mother) dans The Discovery. En général, utilisés à contre-emploi.

La Buzzfeedisation du monde

De part sa volonté de ne pas hiérarchiser contenus nobles et populaires, de jouer sur divers registres d'émotion et de chercher au maximum l'attention de son public par le soutien de la data, le cinéma de Netflix me fait parfois penser au travail du site d'information américain Buzzfeed. Surtout que les deux n'hésitent pas à mettre en ligne des contenus engagés sur tout ce qui touche aux sujets de société: promotion de la diversité, dénonciation de la criminalisation des Afro-Américains, de la culture du viol, des crimes perpétrés par le régime Assad en Syrie, défense de l'environnement, neutralité religieuse, sensibilisation à la maladie mentale, etc. Simple opportunisme de la part de Netflix? Frederic, du podcast Netflixers ne croit pas à un engagement unilatéral de la plateforme:

«Je ne sais pas si on peut parler d'agenda progressiste en tant que tel puisque dans le même temps, Netflix France propose aussi une série pour enfants (Les Végétaloufs, sic) dont les intrigues sont basées sur des thèmes moraux chrétiens assez explicites. Encore une fois, il s'agit plus pour eux de trouver des contenus qui pourront correspondre à la diversité de ses 100 millions d'abonnés plutôt qu'un agenda progressiste revendiqué.»

Ceux qui ont pu cotoyer Ted Sarandos et Netflix cette année à Cannes évoquent «une grosse machine ultra-libérale où l'argent dirige tout». Tommy O'Haver, le réalisateur de La Femme la plus détestée d'Amérique, voit d'ailleurs dans les thématiques progressistes poussés par la plateforme un combat idéologique autant que commercial. Pour Netflix, c'est une manière de se faire remarquer et de venir concurrencer des chaînes comme HBO, Showtime ou AMC.

Je vois, moi, dans le catalogue de films Original les traces d'une entreprise libérale à l'américaine, aussi bien sur les questions économique –opposé à la chronologie des médias, le géant de la SVOD est officiellement pour laisser au spectateur le choix entre la salle et internet (dans les faits ses autorisations d'exploitation en salle sont en vérité très limitées)– que sur les questions de mœurs. Netflix a-t-il vraiment un intérêt commercial à associer la marque au documentaire brésilien Laerte-se, portrait d'un célèbre dessinateur local qui à près de 60 ans à décider de devenir une femme? Au-délà du progressisme de Sense 8, il est aussi intéressant de noter qu'un des films du catalogue Original, Deidra & Laney Rob a Train, a été réalisé Sydney Freeland, une cinéaste trans.

Sur le Facebook du PDG Reed Hastings, on trouve ainsi des prises de position contre Trump, pour une meilleure éducation et pour les jeunes trans justement, preuve d'une implication personnelle sur le sujet.

L'exigence de la diversité

 

Yann Lafargue de Netflix défend la liberté de la plateforme de «raconter des histoires qui n'auraient pas leur place à la télévision» ou chez les grands studios et qui font la promotion «d'une vraie diversité en terme d'âge, de genre ou de sexualité», citant notamment la série Orange is The New Black en modèle. Dans le papier de Mashable consacré à l'investissement de Netflix dans le documentaire, la vice-présidente Lisa Nishimura assume elle aussi ce refus de la neutralité: «L’idée qu’on fournisse une plateforme qui peut être un grand tremplin pour transmettre un discours est aussi très important pour nous», avance-t-elle. Au Figaro, en marge du même festival à Perouse, elle ajoutait:

«Avec une audience répartie dans plus de 190 territoires, nos productions ont un vrai poids culturel et se doivent d’encourager un débat mondial. Nous devons faire entendre différentes voix, sortir du cycle de l’actualité rapide et réinjecter du contexte.»

Elle aurait elle-même démarché Ava DuVernay, la réalisatrice de Selma, pour lui demander de participer au programme documentaire de Netflix.

Pourtant, en matière de promotion des cinéastes femmes, Netflix a lâché beaucoup de lest ces deux dernières années. Au moment du lancement du catalogue Original, avec les documentaires, on sentait une vraie volonté de leur laisser une place de choix. D'ailleurs, sur les quatre premiers produits, trois avaient été réalisés par des femmes. En 2015, on était encore proche de la parité puisqu'elles avaient la main sur trois des sept documentaires Original. Désormais, on en est loin. En 2017, quatre réalisatrices ont vu leur projet inclus dans le catalogue, fiction et documentaire confondus. La part des hommes, elle, a explosé.

Ce recul est légèrement compensé par l'emergence de cinéastes afro-américains. Après Ana DuVernay, Malik Vitthal a vu son Imperial Dreams, présenté à Sundance en 2014, rejoindre Netflix et son programme Original en 2017 tout comme Gerard McMurray et son film sur le bizutage scolaire, Burning Sands, et Spike Lee et sa captation d'un long monologue consacré à Rodney King.

Nouveaux visages

 

Netflix n'en est toutefois qu'à ses débuts. Et semble faire preuve encore d'un esprit d'aventure et d'expérimentation dans les projets qu'elle sélectionne. On retrouve ainsi à leur tête à la fois de grands auteurs reconnus comme Werner Herzog, Jonathan Demme, Kevin MacDonald ou Bong Joon-Ho mais aussi de très nombreux inconnus qui pour certains n'avaient jamais réalisé de longs métrages avant cela. C'est notamment le cas de Macon Blair (I Don't Feel at Home in This World Anymore) qui avait surtout fait l'acteur chez son comparse Jeremy Saulnier (Blue Ruin, Green Room), de Richie Smyth, qui n'avait tourné avant cela que des publicités et des clips, de Christopher Louie, d'Oren Uziel, le scénariste de 22 Jump Street et tant d'autres.

À défaut de produire chef-d'œuvre sur chef-d'œuvre, Netflix met le pied à l'étrier à de nombreux jeunes talents même si ce soutien bien souvent ne dure que le temps d'un projet. Chester Tam, le réalisateur américain d'origine asiatique de L'Autoroute, apprécie la prise de risque et espère que studios et les chaînes de télévision changeront eux aussi leur mentalité pour aller vers moins de frilosité: «Un film peut avoir du succès même avec un casting d'acteurs de différentes origines. En tant qu'acteur, scénariste et réalisateur, c'est quelque chose qui me motive.»

Les cinéastes qui travaillent avec le géant de la SVOD se réjouissent ainsi des prises de position de la plateforme à travers ses films. «Netflix aurait pu être le Fox News du streaming, mais ce n'est pas le cas, dieu merci», se réjouit Kevin MacDonald. Pour Frank Coraci, le réalisateur de The Ridiculous 6 avec Adam Sandler, «les grosses sociétés ont le pouvoir. Ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Tesla ou Costco sont des entreprises qui tentent de pousser le monde dans la bonne direction, notamment pour tout ce qui touche aux questions environnementales. Bien traiter ses employés, utiliser la technologie et le savoir pour mieux servir les gens à long terme. Netflix colle à cette mentalité.»

Sous couvert d'anonymat, un réalisateur a reconnu que, pour lui, l'expérience n'avait pas été plaisante du fait de l'arrogance de ses interlocuteurs et de leurs demandes. S'il se dit satisfait pour son film d'être sur une plateforme avec un tel public, il indique néanmoins qu'il a entraperçu les risques artistiques d'un possible abus de pouvoir. D'une machine qui se servirait de l'argument de la défense de l'art à ses propres fins narcissiques. Certains accusent d'ailleurs la plateforme d'enterrer les bons contenus qu'elle achète en les noyant dans un catalogue particulièrement illisible où l'effet de masse compterait davantage que la singularité de chaque titre.

Du bon usage des notes

 

Tous les autres réalisateurs interrogés font pourtant une peinture idyllique de Netflix. Et s'il serait faux de dire que le géant de la SVOD n'intervient aucunement dans les films qu'il intègre à son catalogue Original, les cinéastes et producteurs font état d'une véritable intelligence dans le dialogue avec les créateurs.

«Mon expérience avec Netflix m'a épargné une dépression sur mon statut de réalisateur, clame Alistair Legrand (Clinical). Ils ont aimé le script et m'ont laissé faire le film que je voulais. Ils sont passés sur le plateau faire leur travail. C'était comme collaborer avec un studio très amical.»

Christopher Louie, le réalisateur de XOXO, détaille qu'il a dû projeter deux fois le film à Netflix et qu'en retour il a eu cinq notes concises et constructives sur d'éventuelles modifications à apporter. Satisfait de son expérience, Tommy O'Haver a eu quelques coupes à faire sur La Femme la plus détestée d'Amérique, «rien de douloureux». Frank Coraci, lui, aussi a bénéficié de quelques notes pour The Ridiculous 6. «Elles étaient pertinentes, donc c'était facile de les intégrer, explique-t-il. Ce n'était pas ces notes que peuvent faire passer parfois le studios dans lesquels tu sens les craintes qu'ils ont pour ton projet. C'était plutôt de bonnes idées de partenaires enthousiastes quant au film pour les mêmes raisons que toi.»

Pour Richie Smyth, cette liberté laissée aux cinéastes est aussi idéologique que pragmatique. «Les gens de Netflix ont une relation de confiance avec les gens à qui ils confient des projets puis de toute façon ils n'ont pas les ressources pour être impliqués tout du long. Tant que le film avance, que tu fais tes compte-rendus quotidiens, ils te laissent travailler. Trop s'impliquer, ce serait aussi perdre du temps et de l'argent. Ce n'est pas comme dans les studios parfois où chacun est d'abord impliqué pour qu'un éventuel échec ne lui retombe pas dessus.» Lui tente aujourd'hui de développer un film sur comment la CIA a laissé filer Abou Moussab Al-Zarqaoui, mais n'a aucune garantie que Netflix soutiendra l'ambitieux projet.

Tommy O'Haver confirme en attendant la pénurie de personnels rencontrés par le géant de la SVOD: «Netflix sortait tellement de contenus quand on faisait La Femme la plus detestée d'Amérique qu'il leur manquait encore des gens pour assurer toutes les taches. Ils grandissaient si vite. Le rythme était difficile à suivre pour eux. On avait aucun interlocuteur pour parler de la post-production avant les toutes dernières semaines de tournage, mais tout s'est très bien passé.»

Lucki Stipetic, qui a produit Au fin fond de la fournaise de Werner Herzog avec Netflix, voit de son côté, de nombreux avantages à cette collaboration qui pendant le tournage se résumait à deux conférences call par mois avec les gens en charge des documentaires originaux. «Les pour sont énormes: ils prennent des décisions rapidement, ils te laissent libres de faire le film que tu veux, leurs budgets sont réalistes, leurs équipes sont créatives et prennent le temps de te faire des retours et ils permettent de toucher un public très large. Les inconvénients pour nous n'ont été qu'au nombre de deux: on aurait aimé avoir des chiffres précis du nombre de personnes qui ont vu le film et davantage de projections en salle.»

Le marketing blitzkrieg

 

Car une fois le film finalisé selon les souhaits des créateurs, un tout autre scénario se met en place. Neflix prend totalement la main sur le marketing ou presque, fermant de toute façon la porte à tout autre exploitation du film de type DVD à l'exception de quelques sorties en salle, nécessaires notamment pour entrer dans le course aux Oscars. Le seul paiement de l'artiste et des producteurs se fait au moment de ce deal initial. Pour le reste, ceux-ci renoncent en général à tous leurs droits partout et pour toujours.

Richie Smyth reconnaît que pour Jadotville, il n'a eu aucun contrôle sur les visuels choisis ou la bande-annonce. Même chose pour Kevin MacDonald qui loue le résultat final et l'intelligence de leur département. Marilyn Ness et Chapman Way confient également de leur côté que pour E-Team ou The Battered Bastards of Baseball leur implication dans le marketing a été minimale. Frank Coraci, lui, a pu collaborer au moins sur la bande-annonce de The Ridiculous 6 afin de s'assurer qu'elle ne révélait pas trop de blagues comme ça peut être le cas avec les studios.

Sophie Robinson, co-auteure du documentaire My Beautiful Broken Brain, sur une jeune femme confrontée à d'importants troubles cérébraux après un AVC, raconte qu'elle n'avait jamais connu ça: «Le marketing des films, c'est leur point fort. Ils ont remonté notre bande-annonce pour en faire quelque chose de beaucoup plus touchant et, pour l'affiche, ils se sont inspirés d'un de nos dessins mais le résultat était tellement plus fort, c'était extraordinaire.»


Quant aux chiffres, Netflix ne communique pas plus avec les différents créateurs qu'avec le grand public. À peine la plateforme donne-t-elle quelques tendances générales toutes relatives au moment de la sortie du film. C'est là le nerf de la guerre. Grâce à son algorithme, Netflix va pouvoir pousser le film auprès de ses cibles privilégiées sans dépenser de folles sommes en marketing, comme y sont contraintes les studios:

«Ça double presque les budgets des blockbusters, explique Thomas Sotinel du Monde. Et pour un studio, promouvoir un film moyen de gamme coûte aussi cher presque qu'un tres gros. C'est ce que m'avait expliqué Soderbergh au moment de prendre sa retraite et qu'il avait du mal à financer Effets secondaires.»

Libérés, délivrés (des chiffres)

 

Dès lors, ce que comble Netflix, c'est moins le grand cinéma d'auteur international, financé pour partie en France –désolé Naomi Kawase, qui avait lancé un petit appel du pied en direction du géant américain– mais plutôt tout un terrain que les grands studios américains sont en train d'abandonner pour se concentrer sur de grandes franchises types super-héros: celui du divertissement de qualité, à l'image du récent War Machine de David Michôd avec Brad Pitt, qui pendant sa première heure offre une lecture pertinente et amusée de l'effort de guerre américain en Afghanistan. 

Pour Adam Randall, réalisateur de iBoy, «Netflix offre l'opportunité aux cinéastes de faire des films qui ne se montent plus ailleurs: des films de genres ou des drames qui ne soient pas à gros budgets. On aurait fait iBoy sans eux, mais pour la moitié du budget. Ça aurait été un film très différent.»

«Dans le système des studios, l'importance qu'a pris le premier week-end d'exploitation les a amenés à se reposer sur les plus grosses stars et à privilégier des idées commerciales très faciles à marketer.»

Frank Coraci

Pendant que les petits films et ceux de milieu de gamme disparaissent peu à peu d'Hollywood, sur Netflix, leur réalisateur se voient épargnés la pression de maximiser très vite le nombre d'entrées. «Dans le système des studios, l'importance qu'a pris le premier week-end d'exploitation les a amenés à se reposer sur les plus grosses stars et à privilégier des idées commerciales très faciles à marketer. Netflix casse un peu ce moule», analyse Frank Coraci. 

«Un film n'a pas besoin d'avoir du succès dès le premier jour pour nous. Ça nous va tout aussi bien si vous regardez Okja ce mercredi ou en 2021 en rejoignant le service depuis l'Uruguay ou le Kenya», confirme Yann Lafargue de Netflix.

Il est vrai que l'entreprise n'offrant pas de publicité, elle n'a pas de résultats à monétiser de ce côté là. Ainsi, pour Netflix un film Original est un succès s'il rencontre un plus large public qu'un film équivalent diffusé sur la plateforme.

Sophie Robinson, dont le documentaire avait été mis en ligne en mars 2016, indique qu'elle reçoit «encore tous les jours des e-mails de gens un peu partout dans le monde qui ont découvert le film et me disent à quel point ça les a aidés ou inspirés. Je n'ai pas besoin d'avoir les chiffres d'audiences exacts. Ne pas savoir est même très libérateur».

Ombres et lumières

 

Les films sont là en ligne, disponibles pour une durée indéterminée, en attente de leur public. En attente d'un regard critique également. En France notamment où très peu des films mis en ligne ces deux dernières années ont été couverts par la presse.

«Notre système ciné, de par son financement et sa chronologie des médias, est polarisé par la sortie ciné. Tout se joue à ce moment précis. C'est le point de départ de l'exploitation des films. Logiquement, la critique française est aussi focalisée sur cette offre cinéma très abondante (plus de 700 films en 2016), constate Frederic du podcast Netflixers. Les sorties directes en VOD ou en SVOD passent forcément au second plan. En France, un film qui sortira dans une seule salle de ciné sera toujours davantage considéré comme une œuvre de cinéma qu'un film sorti directement en VOD ou SVOD. Mais c'est en train de changer. La une du dernier CinemaTeaser sur Okja montre un intérêt de la presse ciné pour les sorties directes en VOD ou SVOD.»

Au-delà des films dits «Original», précise-t-il, 25% du catalogue de films sur Netflix France est composé d'œuvres inédites en salles, donc généralement snobées par la critique. Heureusement, quelques acteurs ont saisi avant d'autres la mutation en cours. Dès la sortie de Beasts of No Nation, le site de Telerama inaugurait une nouvelle rubrique consacrée au e-cinéma et à la SVOD. «On pense à lui donner plus de visibilité à la rentrée, indique Samuel Douhaire. Certaines critiques de films Netflix marchent très bien. Il y a une curiosité du public.»

Les cinéastes qui travaillent avec la plateforme le constatent, ils ont beaucoup plus de retours de la presse internet que de la presse traditionnelle papier. Plutôt logique pour une entreprise finalement très intégrée dans cette nouvelle économie en ligne, qui cherche à participer activement à cette conversation via les réseaux sociaux. Car c'est aussi là que se mesure aujourd'hui l'engagement du public.

Le cinéma, et après?

 

Que manque-t-il dès lors à Netflix? Sans doute de manière pragmatique quelques produits d'appel pour fidéliser un public plus cinéphile. La plateforme a acquis les droits du dernier film inachevé d'Orson Welles, The Other Side of the Wind, qu'elle travaille actuellement à finaliser. En attendant bien évidemment The Irishman de Martin Scorsese avec Robert de Niro, dont le tournage doit commencer cet été pour une diffusion en 2019. 

Il manque sans doute encore aussi un accompagnement de cinéastes talentueux qui incarneraient la marque, au-delà du seul cas Adam Sandler. On rêve que Netflix permette de faire émerger toute une génération de jeunes talents à l'image des studios des années 1970 auxquels beaucoup de réalisateurs le compare déjà.

Mais surtout, pour le tenant si influent d'une industrie culturelle, il manque à ce jour des œuvres qui soient portées par une véritable vision du monde et non juste une bonne histoire. Au fin de le fournaise de Werner Herzog, tout comme Okja, prouvent que Netflix est aussi capable par moment de transcender son obsession du storytelling. Ces films y sont d'autant plus précieux. Yann Lafargue nous le répète: «Nous ne sommes qu'au début de notre investissement dans les films. L'étude que vous faites aurait été plus intéressante à la fin de l'année. Elle aurait donné une image plus juste de la diversité que nous souhaitons insuffler. Nous nous positionnons sur de plus en plus de projets.» Dont acte.

Sans compter que la bataille du cinéma à peine engagée, Netflix réflechit déjà au coup d'après. Comme l'expliquait le 20 juin Vanity Fair, la plateforme va expérimenter de nouvelles formes de narration interactives à destination des enfants. Ceux-ci pourront moduler l'histoire en différents points au gré de leurs envie. Un modèle d'engagement du spectateur qui, on l'imagine, doit faire rêver Reed Hastings.

Le 15 janvier dernier, pour célébrer les 10 ans de la conversion de Netflix au streaming, celui-ci demandait d'ailleurs à ses contacts Facebook comment ils voyaient l'entreprise à l'horizon 2027. En commentaire, une certaine Jennifer Andaluz lui répond: «Storytelling. La possibilité de créer et de faire de la curation de contenus, pas simplement les consommer. Des vignettes. Des histoires très très courtes. Pas de séparation entre un acteur célèbre et nos propres narrations. La réalité virtuelle nous emmène vers de nouveaux horizons inexplorés.» À peine une minute plus tard, le verdict du PDG tombe: «Love it». Amateurs des salles obscures, accrochez-vous, Netflix a encore une terrible soif d'aventures.

 1 — Netflix n'a pas accordé la permission de me répondre aux trois réalisateurs qui leur avait demandé une autorisation préalable malgré leur accord de principe. Retourner à l'article

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