France

Je voulais rendre à ces femmes tuées un nom, une profession, une histoire pour qu’elles sortent des pures statistiques

Dans sa newsletter de ce vendredi 23 juin, Titiou Lecoq revient sur son travail d'humanisation des femmes assassinées par leur conjoint ou leur ex.

Manifestation contre la violence faite aux femmes I JOEL SAGET / AFP
Manifestation contre la violence faite aux femmes I JOEL SAGET / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Ça fait plusieurs mois que je travaille sur un article qui est paru aujourd’hui sur Slate. C’est un peu bizarre de faire l’édito dessus mais vous me pardonnerez. Après avoir trimé seule aussi longtemps, j’ai besoin d’en parler avec des gens. Genre vous. 

Je me suis intéressée aux femmes tuées par leurs (ex) conjoints. D’un point de vue purement journalistique, ce sujet présente plusieurs problèmes. Primo, on n’a pas forcément envie de lire un article déprimant et il n’est pas bienvenu d’introduire des blagues pour l’alléger. Ne vous méprenez pas, je ne promeus pas le lol-journalisme à tout prix. Mais l’article déprimant, il passe mieux quand il porte sur un sujet à chaud, autrement dit avec de l’actu.

Là, c’est ce qu’on appelle du «froid». Or, du froid déprimant, c’est rarement une bonne équation. Deuxio, et c’est sans doute le plus gros problème: on a l’impression de déjà tout savoir sur le sujet. Comme lectrice, j’aime bien les papiers où dès le titre je me dis «tiens, j’y avais jamais pensé». Les femmes tuées par leurs conjoints, on en entend parler depuis des années. A priori, il n’y a rien de neuf. 

Donc quand vous êtes pigiste (et que vous devez vendre le sujet de votre article), vous évitez de proposer un truc comme ça. Sauf que ça me tenait vraiment à cœur et que j’ai énormément bossé pour essayer d’écrire un article un peu différent. 

Je suis partie des histoires de ces femmes. (Conséquemment, on peut dire que d’une certaine manière, j’ai stalké des femmes mortes.) Je voulais leur rendre un nom, une profession, une histoire pour qu’elles sortent des pures statistiques. Sur le site de Libé, je vais actualiser toutes les semaines une sorte de funérarium virtuel. Et je pense que dans la newsletter aussi, je vais relayer tous les nouveaux meurtres. (Désolée.) 

Quand on bosse sur un sujet comme ça, il y a toujours quelques détails qui nous frappent et qui ne trouvent pas leur place dans l’article. Une trentenaire bossait comme serveuse dans un restaurant à Chambéry. Son ex-compagnon est venu dans le restau un midi et l’a poignardée ainsi que le cuisinier parce qu’il soupçonnait qu’ils avaient une liaison. Le patron du restau a immédiatement raconté l’histoire sur la page Facebook de l’établissement –rapport au fait que des clients étaient présents– et a fini son annonce par «ne vous inquiétez pas, le karaoke prévu ce soir aura bien lieu». Comme il s’agissait d’un restau asiatique, il s’est fait pourrir de commentaires racistes sous son post. 

J’ai été glacée par une autre histoire en mars dernier, à Nice. Elle s’appelait Julie. Elle avait 43 ans. Elle était secrétaire dans un cabinet dentaire et avait un fils de 13 ans. Depuis plusieurs semaines, elle se sentait menacée par un ex-compagnon. Il avait forcé la porte de chez elle pour la menacer. Elle avait déposé une main courante, prévenu ses amis et voisins et demandé au père de son fils de le prendre chez lui pour qu’il soit en sécurité. Elle avait tellement peur qu’elle avait fait installer une porte blindée. On ne sait pas comment, l’ex a quand même réussi à pénétrer chez elle. Les voisins ont entendu des cris, les pompiers et la police sont arrivés. Elle était encore vivante, elle hurlait. Mais ils n’arrivaient pas à défoncer la fameuse porte blindée. Quand ils ont fini par entrer, le meurtrier était encore là évidemment. Il lui avait donné 53 coups de couteau dont sept mortels. 

Sur le même sujet, le Guardian vient de publier un excellent article (en anglais donc). Deux frères témoignent après que leur père a assassiné leur mère et leur petite-soeur. Ils racontent notamment qu’ils ont été choqués par le traitement médiatique qu’ils ont trouvé trop indulgent envers leur père. Le portrait fait de lui était trop flatteur. Les explications du type «il avait des problèmes d’argent» ressemblaient parfois à des excuses. Ou les remarques comme «pourquoi elle ne l’avait pas quitté avant». 

Vous verrez dans l'article que c'est souvent précisément le départ de la femme qui entraîne le meurtre. Que plusieurs avaient déposé des plaintes. Que des injonctions d'éloignements n'ont pas été respectées –mais quand on vient pour tuer sa femme et se suicider, l'injonction, on s'en fout un peu. Dans le cas de Djeneba, c'est un peu différent. Une ordonnance de protection avait été mise en place qui interdisait notamment à son ex-mari, Jean-Paul, chasseur, le port d'arme. Problème  personne n'est jamais venu lui confisquer ses armes. Il l'a abattue au fusil de chasse en mars dernier.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq. Pour vous abonner c'est ici. Pour la lire en entier:

 
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