Santé

Sclérose en plaques et vaccin contre l’hépatite B: aux racines d’un mal français

Une décision sans précédent de la justice européenne vient rappeler les erreurs politiques commises en France dans les années 1990. Elle risque fort de renforcer les doutes quant à l’innocuité du vaccin anti-hépatite B alors même que la ministre de la Santé envisage de le rendre obligatoire.

Une infirmière prépare un vaccin contre l'hépatite B à Lynwood (Californie), le 27 août 2013. AFP PHOTO / Robyn Beck
Une infirmière prépare un vaccin contre l'hépatite B à Lynwood (Californie), le 27 août 2013. AFP PHOTO / Robyn Beck

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Rien ne permet, rationnellement, de dire que la vaccination contre l’hépatite B peut être à l’origine d’une sclérose en plaques. Rien. Et pourtant la justice de l’Union européenne vient de décider que les personnes estimant être les victimes de ce vaccin pouvaient être indemnisées de ce qu’elles pensent être un préjudice corporel. C’est le dernier épisode en date d’une affaire médico-judiciaire française qui a commencé il y a près d’un quart de siècle. C’est aussi un événement qui vient bouleverser le paysage vaccinal à un moment où le gouvernement s’apprête à rendre obligatoire onze vaccinations pédiatriques –dont celle contre l’hépatite B.

Concrètement la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de décider qu’il n’était pas nécessaire d’établir un lien de causalité pour qu’un vaccin soit tenu pour être responsable de dommages corporels. Il suffit désormais, pour cela, d’apporter à la justice «un faisceau d’indices graves, précis et concordants». Les juges choisissent ainsi de s’affranchir du raisonnement scientifique et de substituer la simple corrélation à la causalité.

«En l’absence de consensus scientifique, le défaut d’un vaccin et le lien de causalité entre celui-ci et une maladie peuvent être prouvés par un faisceau d’indices graves, précis et concordants. La proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux de la personne vaccinée ainsi que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations peuvent, le cas échéant, constituer des indices suffisants pour établir une telle preuve.»

Comment comprendre? La décision de la CUEJ se fonde sur un dossier français, celui de M. J. W.

L'affaire M. J. W.

M. J. W., résume la Cour, «s’est vu administrer», entre la fin de l’année 1998 et le milieu de l’année 1999, un vaccin contre l’hépatite B produit par la firme Sanofi Pasteur. En août 1999, M. W a commencé à présenter divers troubles ayant conduit, en novembre 2000, au diagnostic de la sclérose en plaques. M. W est décédé en 2011.

Dès 2006, sa famille et lui introduisent une action en justice contre Sanofi Pasteur pour obtenir réparation du préjudice que M. W prétend avoir subi du fait du vaccin. Saisie de l’affaire, la Cour d’appel de Paris considère qu’il n’existe pas de consensus scientifique en faveur de l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la survenance de la sclérose en plaques. Jugeant qu’un tel lien de causalité n’avait pas été démontré, elle rejette le recours.

L’affaire ne s’arrête pas là. Saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation demande à la Cour européenne de justice si le juge peut, en l’espèce, faire l’économie d’un lien de causalité démontré. Nonobstant une directive de l’Union européenne sur la responsabilité du fait des produits défectueux (selon laquelle il appartient à la victime de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité) le juge ne pourrait-il pas se baser simplement sur un faisceau d’indices qui lui apparaîtraient comme «graves, précis et concordants»?

En l’occurrence, il est fait ici référence à «l’excellent état de santé antérieur de M. W», à «l’absence d’antécédents familiaux» et au «lien temporel entre la vaccination et l’apparition de la maladie». Et c’est ainsi que dans son arrêt du 21 juin 2017 la CUEJ estime que la directive européenne n’est pas incompatible avec l’absence de preuves certaines et irréfutables. En d’autres termes un juge du fond pourra désormais conclure au défaut d’un vaccin (et à l’existence d’un lien causal entre celui-ci et une maladie) sur la base d’un seul faisceau d’indices graves, précis et concordants.

Un contexte dangereux

La décision de la Cour de Luxembourg ne fait pas qu’ouvrir plus largement la porte à l’indemnisation des personnes qui se disent victimes de la vaccination. On voit ici la justice européenne se libérer des expertises et des certitudes scientifiques. En l’espèce, la CUEJ considère que la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux en relation avec cette maladie ainsi que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations peuvent constituer des indices qui pourraient conduire le juge national à considérer qu’une personne se considérant comme une victime a satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle.

Après une décennie de procédures nationales aux issues contradictoires, la décision de la CUEJ prend un relief particulier dans le contexte actuel. De plus en plus, l’innocuité des vaccins imposés ou recommandé par les autorités sanitaires des pays de l’Union européenne est remise en cause. À tel point que les taux de vaccination baissent et que des maladies réapparaissent. C'est pour cela qu'en France, Agnès Buzyn, nouvelle ministre des Solidarités et de la Santé vient d’annoncer qu’elle «réfléchissait» à rendre obligatoire onze vaccinations pédiatriques (contre trois actuellement) dont celle contre l’hépatite B:

«Aujourd'hui, en France, la rougeole réapparaît. Il n'est pas tolérable que des enfants en meurent: dix sont décédés depuis 2008. Comme ce vaccin est seulement recommandé et non obligatoire, le taux de couverture est de 75% alors qu'il devrait être de 95% pour prévenir cette épidémie. On a le même problème avec la méningite. Il n'est pas supportable qu'un ado de 15 ans puisse en mourir parce qu'il n'est pas vacciné».

À l'origine de la méfiance

Surtout, cette décision de la justice européenne rappelle les erreurs et les fautes politiques commises en France dans les années 1990 –des erreurs et des fautes qui expliquent pour une bonne part la méfiance actuelle d’une fraction de la population vis-à-vis de la vaccination dans son ensemble.

Revenons en 1976. Cette année-là, le premier vaccin contre l’hépatite B est mis au point par l’équipe du Pr Philippe Maupas, au CHU de Tours. Cette première mondiale est rapidement perçue comme un progrès thérapeutique majeur contre une infection virale transmissible par voie sanguine et sexuelle, infection chronique largement répandue à travers le monde et responsable de cirrhose et de cancers hépatiques. L’OMS estime à plus de 250 millions le nombre de de personnes infectées par ce virus, qui représente par ailleurs un risque professionnel pour le personnel de santé.

Philippe Maupas | via Wikipedia.

À ce premier vaccin succède, au début des années 1980, un nouveau, issu d’une production à partir des techniques du génie génétique. Son efficacité ne fut jamais contestée et on put, avec le temps, démontrer son efficacité dans la prévention du développement des hépatites chroniques évoluant vers des cirrhoses, ou cancers primitifs du foie. Les résultats furent tels que l’OMS annonça, en 1992, son objectif d’une éradication planétaire de la maladie, fondée sur une vaccination généralisée dès le plus jeune âge. La mesure fut bientôt adoptée par l’Autriche, la Belgique, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Italie et le Portugal.

Tous les pays de l’Union européenne lancèrent dans les années 1990 des programmes de vaccination (obligatoire ou recommandée) contre l'hépatite B. Parmi les populations les plus exposées: les personnels des établissements de soins et de prévention et les personnes susceptibles d'être exposées, directement, ou indirectement, au sang et à d'autres des produits biologiques (médecins libéraux, pompiers, secouristes, gardiens de prison, éboueurs, égoutiers, policiers, toxicomanes, patients susceptibles de recevoir des transfusions sanguines massives, entourage et/ou partenaire sexuel d'un patient infecté, personnes ayant des relations sexuelles avec des partenaires multiples etc.).

La France, elle, adopta en 1993 une stratégie vaccinale ayant pour objectif de diminuer de 90% l'incidence de cette infection virale en 2015.

L'affaire de l'hépatite B

Avec le recul l’affaire de l’hépatite B commence, en France, en 1994, avec une campagne publicitaire hors du commun à laquelle participe Philippe Douste-Blazy, alors ministre délégué à la Santé du gouvernement Balladur. Douze ans après l’émergence du sida et axée sur les risques de transmission par voie sexuelle (en faisant référence à la présence du virus dans la salive) la campagne officielle vise les pré-adolescents. Soutenue par le ministre comme par les fabricants de vaccins elle atteint un public qui dépasse largement ses objectifs.

Les campagnes scolaires destinées aux enfants de sixième permirent de vacciner 375.000 enfants en 1995-1996 et 313.000 l'année suivante. Cette immunisation fut complétée par un taux croissant de vaccinations effectuées par les pédiatres et les généralistes. On estime que sept millions d'enfants de moins de quinze ans et dix-huit millions d'adultes furent alors vaccinés.

Mais c'est à cette même époque que les premières interrogations sur l'innocuité du vaccin apparaissent. Quelques incidents fortuits sont observés, ou quelques accidents neurologiques qui apparaissent dans les mois suivant l'injection vaccinale.

Réunies par le chef d’un prestigieux service de neurologie du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, ces observations concernent notamment des «poussées» de sclérose en plaques, une aggravation de l'état des malades souffrant de cette affection neurologique, qui évolue naturellement sur un mode chronique. Aucun élément objectif ne permet pourtant de soutenir qu'il existe le moindre lien de causalité entre l'injection vaccinale et les phénomènes pathologiques observés. La situation est d’autant plus complexe que l’incidence de la sclérose en plaques dans la population générale française n'est alors pas connue avec précision.

Cette simple association est néanmoins diffusée par le neurologue de la Pitié-Salpêtrière auprès des responsables politiques et sanitaires. Des responsables d’autant plus sensibles qu'au début de la décennie, a commencé à émerger la terrible et fracassante affaire du sang contaminé par le virus du sida...

Le Dr Kouchner explique alors que cette suspension des campagnes scolaires de vaccination ne devrait pas dépasser un ou deux ans. Elles ne reprirent jamais

C’est ainsi que l’affaire rebondit le 1eroctobre 1998. Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat à la santé du gouvernement Jospin, décide brutalement de suspendre les campagnes de vaccination contre l'hépatite B menées depuis quatre ans dans les collèges, chez les élèves de sixième. Le Dr Kouchner explique alors que l'on «ne peut pas exclure que la vaccination puisse révéler ou faciliter le développement d'atteintes démyélinisantes du système nerveux central chez certains vaccinés».

L’hypothèse ministérielle était avancée alors même qu’aucune étude scientifique n’avait établi de lien de causalité certain entre cette vaccination et la survenue d'une sclérose en plaques. Le Dr Kouchner explique alors que cette suspension des campagnes scolaires de vaccination ne devrait pas dépasser un ou deux ans. Le pensait-il vraiment? Toujours est-il qu’elles ne reprirent jamais.

Une interrogation populaire sur la sécurité vaccinale

Sa décision était d’autant moins cohérente que le secrétaire d'Etat à la santé assurait alors ne pas remettre en cause l'efficacité et de l'innocuité de cette méthode de prévention: la vaccination était toujours recommandée chez les nouveau-nés, les préadolescents et les adultes considérés comme «à haut risque d'infection». Le seul argument du secrétaire d'Etat à la santé tenait au fait que la médecine scolaire ne permettait pas de mettre en œuvre comme il convient le geste médical vaccinal. «L'aspect massif de la vaccination à l'école a été parfois ressenti avec beaucoup de méfiance» m'avait-il alors expliqué, évoquant «une interrogation populaire sur la sécurité vaccinale» et jugeant nécessaire de parvenir à une réhabilitation d'un geste vaccinal, trop souvent accompli de manière mécanique sans interrogatoire du patient ou de sa famille.

«Nous comprenons la décision du secrétaire d'Etat à la santé et nous espérons que cette décision ne sera pas interprétée, à tort, comme la reconnaissance de l'existence d'un lien causal entre la vaccination et la sclérose en plaques», explique-t-on alors auprès de l'un des principaux fabricants mondiaux du vaccin contre l'hépatite B, «il est certain que la confiance dans cette vaccination a été entamée par le débat entretenu depuis deux ans en France.»

La décision de Bernard Kouchner devait déclencher une vive polémique tant à l'échelon national qu'international. Le syndicat national des médecins scolaires et universitaires redoutait qu'«elle ne jette le discrédit sur une vaccination dont l'intérêt, en termes de santé publique, n'a pas été remis en cause par la communauté scientifique». L'Organisation mondiale de la santé exprima les mêmes craintes. «Nous estimons que les données scientifiques disponibles ne permettent pas de mettre en évidence une association causale entre la vaccination contre l'hépatite B et des affections démyélinisantes du système nerveux central, y compris la sclérose en plaques», soulignait l’OMS. «D'autre part, plus d'un milliard de doses de ce vaccin ont déjà été utilisées depuis 1989, avec un niveau exceptionnel d'innocuité et d'efficacité.»

Pour l'OMS, il était clair que la décision prise par Bernard Kouchner faisait suite à de très fortes pressions émanant d'associations hostiles à cette vaccination, pressions relayées par certains médias.

A partir de 1997 plusieurs plaintes pénales furent instruites par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy. En 2005, la Cour de justice de la République classa sans suite une plainte pour «mise en danger de la vie d'autrui» visant les anciens ministres de la Santé Jean-François Mattei, Bernard Kouchner et Philippe Douste-Blazy.

«Ce type de jugement va conduire inéluctablement à une judiciarisation de la médecine dont on sait les effets sur les surcoûts de santé et des assurances professionnelles»

Pr Antoine Flahault

Vingt ans plus tard où en est-on avec ce vaccin? En dépit de nombreux travaux spécialisés, aucun lien de causalité n’a pu être statistiquement établie. Pour autant la suspicion, en France, n’a pas cessé. Les taux de vaccinations des jeunes enfants contre l’hépatite B ont durablement chuté. Ils ne sont remontés qu’avec l’association de ce vaccin à d’autres (contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite et certaines infections à Haemophilus influenzae) ce qui interdit en pratique aux parents de le refuser de manière spécifique.

La décision de la Cour de Luxembourg accrédite des thèses sans le moindre fondement scientifique, alimente les peurs. Peut-elle être perçue comme un élément de nature à ne pas imposer un régime d’obligation vaccinale du type de celui auquel «réfléchit» l’actuelle ministre de la Santé française? «Il ne nous appartient pas de commenter cette décision de justice, précise-t-on chez Sanofi Pasteur. Cependant notre entreprise tient à rappeler que ses vaccins sont efficaces et sûrs et protègent contre des maladies infectieuses. Nos vaccins hépatite B sont efficaces et bien tolérés. Ils ont été approuvés par les autorités de santé et sont commercialisés depuis plus de 30 ans.»

Pour le Pr Antoine Flahault, directeur de l'Institut de Santé Globale (Faculté de médecine, Université de Genève) «ce type de jugement inquiètera à juste titre les professionnels de santé; il va conduire inéluctablement à une judiciarisation de la médecine dont on sait les effets sur les surcoûts de santé et des assurances professionnelles» me précise-t-il. Est-il de nature à renforcer la défiance sur les vaccins? Cela mériterait d'être évalué de manière rigoureuse. Certains usagers inquiets sur les vaccins en général - ou sur celui contre l’hépatite B en particulier- pourraient au contraire être rassurés de se savoir protégés (et éventuellement indemnisés) en cas de problèmes ultérieurs en dépit des arguments des experts et des industriels qu'ils croyaient jusqu’à présent difficiles à contrer devant les tribunaux.»

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