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Voilà comment Trump veut «résoudre la Corée du Nord»

Le président américain n’est pas en position pour faire face à la Corée du Nord. Et le fait qu’il veuille essayer n’a rien de rassurant.

Donald Trump au téléphone à la Maison-Blanche, le 28 janvier 2017 |MANDEL NGAN / AFP
Donald Trump au téléphone à la Maison-Blanche, le 28 janvier 2017 |MANDEL NGAN / AFP

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Le tweet sur la Corée du Nord publié le mardi 20 juin par le président Trump est caractéristique de sa parfaite méconnaissance de la politique internationale, mais d’une manière à la fois plus subtile et plus inquiétante que d’habitude:

«Même si j’apprécie grandement les efforts du président Xi & de la Chine pour aider avec la Corée du Nord, ça n’a pas fonctionné. Au moins, je sais que la Chine a essayé!»

L’après-midi du même jour, à la veille d’une réunion prévue de longue date entre le secrétaire d’État américain Rex Tillerson et son homologue chinois, de «hauts fonctionnaires» ont confié à un journaliste du New York Times qu’ils étaient «encore en train d’essayer d'évaluer la signification du tweet du président». Qu’il est dérangeant, même si bien trop normal pour cette administration, que ceux à qui est confiée la diplomatie la plus délicate se voient obligés de décrypter leurs ordres de mission au milieu du bruit et de la fureur des emportements aléatoires de leur patron.

Disséquons donc ce tweet pour y trouver des indices de l’état d’esprit et des intentions de l’homme le plus puissant du monde occidental.

Tout d’abord, cela révèle que Trump est peut-être le pigeon le plus facile à duper de l’histoire présidentielle, en tout cas pour les dirigeants étrangers –et tout particulièrement pour ceux qui sont autoritaires– qui peuvent s’en jouer sans craindre de semer le doute au sein de leur propre électorat. Depuis son sommet «gâteau au chocolat» avec le président chinois Xi Jinping à Mar-a-Lago, Trump –qui depuis la campagne de 2016 n’avait eu de cesse de clamer que la Chine violait l’Amérique et volait ses ressources– estime que le président chinois est «quelqu'un de génial» et que c’est une mine de sagesse géopolitique. Trump remercie Xi plus chaleureusement qu’il n’a jamais remercié aucun dirigeant d’un pays allié de l’Otan—ce qui ne serait déjà pas terrible si Xi avait vraiment «essayé» de résoudre le problème Pyongyang. Et ce n’est même pas le cas.

«Une crevette au milieu des baleines»

Les dirigeants chinois en ont certainement par-dessus la tête du jeune tyran nord-coréen Kim Jong-un, de ses provocations nucléaires, de ses tests de missiles incessants et de ses discours imprudents (même à l’aune de la famille Kim). En tant que principaux alliés et partenaires commerciaux du pays, les Chinois auraient certainement les moyens de donner un tour de vis aux ambitions de Kim et sans doute de lever les forces suffisantes pour l’évincer du pouvoir s’ils le voulaient. Mais voilà: au final, ils ne le souhaitent pas. Renverser le régime et ainsi mettre fin non seulement à la dynastie qui dirige la Corée du Nord depuis sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais également à la légitimité mythique qui la maintient au pouvoir déchaînerait un chaos interne, créerait un flot de réfugiés à la frontière orientale peu peuplée de la Chine et déclencherait une crise humanitaire. Or Beijing ne pourrait rien gérer de tout cela. Cela étendrait sans doute aussi l’influence du gouvernement sud-coréen sur toute la péninsule, ce qui placerait un allié armé des États-Unis –et probablement des soldats américains– à la frontière du territoire chinois.

À l’instar de son père et de son grand-père qui ont occupé son trône avant lui, Kim comprend très bien l’intérêt de la Chine à la survie de son régime et il monte très habilement les grandes puissances de la région les unes contre les autres. Kim Il-sung, le fondateur du pays, disait que la Corée du Nord était «une crevette au milieu des baleines». Lui et son fils, Kim Jong-il, avaient devisé une stratégie pour transformer leur faiblesse en force, et le dernier rejeton de la lignée, Kim Jong-un, a perpétué leur héritage de manière encore plus excentrique.

Dans son tweet, Trump ajoute que les efforts de Xi «n’ont pas fonctionné.» Ce qu’il veut dire n’est pas très clair, mais il fait sans doute référence au sort d’Otto Warmbier, cet étudiant américain de 22 ans arrêté en janvier 2016 pour avoir volé une affiche de propagande nord-coréenne au cours d’une brève visite pour des vacances et condamné à quinze années de travaux forcés. Warmbier est tombé dans le coma et a été renvoyé aux États-Unis au début du mois. Il est mort ce lundi, la veille du tweet de Trump.

C’est une histoire épouvantable, une illustration très nette de la sauvagerie du régime de Kim Jong-un (même si elle ne surprend personne), et qui mérite de fortes représailles de la part des États-Unis sous la forme de nouvelles sanctions, d’embargos commerciaux, de restrictions financières, d’interdictions de voyager imposées à davantage de hauts responsables nord-coréens et peut-être de nouvelles démarches d’ostracisme et autres astuces du genre. Mais il est prématuré de dire, comme l’a fait Trump de façon ambiguë dans son tweet: «ça n’a pas fonctionné.» À peine deux mois ont passé depuis sa rencontre avec Xi Jinping à Mar-a-Lago. La politique du président Obama vis-à-vis de la Corée du Nord, qu’il qualifiait de «patience stratégique», a été raillée par certains qui considéraient que c’était une façon de reculer pour mieux sauter, et peut-être que dans une certaine mesure, c’était vrai. Mais ce n’était pas très différent du bon vieil «endiguement» passé de mode (on aurait aussi pu l’appeler «endiguement quand il n’y a pas grand-chose de mieux à faire pour le moment»), et l’histoire nous a montré que, parfois, la technique de l’endiguement fonctionne.

Mais il peut valoir la peine d’explorer plus profondément la question. Quand Trump écrit «ça n’a pas fonctionné», qu’est-ce qu’il entend spécifiquement par «ça»? Est-ce qu’il veut parler des «efforts [de Xi] d’aider avec la Corée du Nord»? Ou de la globalité du concept de faire pression sur la Corée du Nord? Et faire pression pour quoi –pour qu’il démantèle son programme nucléaire, qu’il le gèle simplement, qu’il arrête de tester des missiles, qu’il évince Kim du pouvoir? Quel est l’objectif ici? Quels pourraient être les signaux de progrès vers le but recherché? Quels peuvent être les moyens d’y accéder? Et s’il n’en existe pas, alors on fait quoi après?

Cette dernière question est un vrai piège. Certains voient les derniers mots fatalistes de Trump: «Au moins je sais que la Chine a essayé!», comme un signal que les États-Unis vont désormais prendre le relais. Après tout, dans une interview accordée au Financial Times peu de temps avant sa rencontre d’avril avec Xi, Trump a dit: «si la Chine ne résout pas la Corée du Nord [sic], nous le ferons.» Comment compte-t-il s’y prendre?

«Résoudre la Corée du Nord»

Il y a fort à parier que Trump a d’ores et déjà demandé au secrétaire à la Défense James Mattis de lui soumettre des options militaires pour «résoudre la Corée du Nord». Les membres de l’état-major ont des tas d’options de ce genre en réserve, qu’ils mettent périodiquement à jour, pour toutes sortes d’éventualités, y compris celle-ci. Nul doute que Mattis saura briefer le président sur ces options s’il ne l’a pas déjà fait, ainsi que sur la foule de raisons pour lesquelles aucune d’entre elles n’est susceptible de bien se terminer.

Trump est loin d’être le premier président à s’aventurer sur cette voie. Richard Nixon s’était enquis des options possibles après que les Nord-Coréens avaient abattu un avion de reconnaissance EC-121. Lyndon B. Johnson avait posé les mêmes questions après la capture par la Corée du Nord du navire espion américain Pueblo. Bill Clinton s’était renseigné lui aussi sur ces options lorsque le réacteur nucléaire de Yongbyon s’était apprêté à transformer ses barres de combustible en plutonium susceptible d’être utilisé pour fabriquer des bombes atomiques (cette crise s’était achevée sur un accord de mise sous clé des barres de combustibles sous surveillance internationale). George W. Bush s’était enquis de ces options lorsque les Coréens avaient paru se dérober aux accords conclus sous Clinton. Bush, poussé par son vice-président Dick Cheney, était tellement convaincu que la Corée du Nord allait s’écrouler sous la pression—surtout après la manifestation de force de l’armée américaine qui venait de défaire les forces militaires irakiennes et de renverser Saddam Hussein—qu’il a abrogé l’accord de Clinton et s’est retiré des négociations qui se sont ensuivies. Comme le disait Cheney: «Nous ne négocions pas avec le mal, nous le vainquons.»

Cependant, aucun de ces présidents n’a donné suite à ces options –même Bush a fait machine arrière après avoir déployé une immense armada aérienne et maritime à portée de frappe de la Corée du Nord– parce qu’ils voyaient qu'elles menaient toutes à la catastrophe. Même avant que les Nord-Coréens ne se constituent un petit arsenal d’armes atomiques (ce qu’ils ont fait sous Bush et Cheney), ils avaient amassé un gigantesque assortiment de roquettes dont des centaines contenaient des armes chimiques, toutes à portée de tir de Séoul –la capitale de la Corée du Sud, à 55km au sud de la frontière– et dont beaucoup étaient à portée de tir du Japon et des troupes américaines stationnées dans la région. Beaucoup de ces roquettes ont été dissimulées dans des caches souterraines ou déployées sur des versants cachés de montagnes et seraient par conséquent difficiles à atteindre dans l’éventualité d’une frappe préventive américaine massive. Si certaines en réchappaient, et si Kim ou un successeur désigné contre-attaquait, des centaines de milliers, peut-être même des millions de soldats et de civils alliés mourraient.

La famille Kim le sait aussi depuis longtemps. Ils comprennent très bien le concept de dissuasion appliqué aux petites puissances: armez-vous de gros bâtons et criez très fort. Ça fait des dizaines d’années que ça marche.

Étant donné que Kim Jong-un œuvre à obtenir des missiles à longue portée capables de transporter des armes nucléaires miniaturisées, la Corée du Nord pourrait bientôt représenter une nouvelle forme de menace. Est-ce que cela signifie que lorsqu’il disposera d’un tel arsenal, il lancera une attaque nucléaire contre la Corée du Sud, le Japon ou la Californie? Il est quasiment certain que non. Les États-Unis disposent toujours de quelques milliers d’armes atomiques parfaitement capables de rayer le royaume de Kim de la carte. Kim est peut-être incohérent, mais il n’est pas suicidaire; en fait, son comportement le plus bizarre—comme celui de son père et de son grand-père—vise à assurer sa survie et celle de son régime. Mais plus il s’aventurera loin sur la route du nucléaire, plus il deviendra immunisé contre les pressions extérieures—et, en temps de crise, la guerre peut éclater à partir de malentendus, de signaux contradictoires et de besoins désespérés de démontrer sa «crédibilité.»

Un président qui explose

À long terme, la seule manière de «résoudre la Corée du Nord» est probablement de  procéder à un changement de régime. Mais les États-Unis ne peuvent être l’agent de ce changement. D’abord, nous ne sommes pas très bons dans ce domaine. Ensuite, nous ne sommes pas reconnus du tout et sommes quasiment inexistants en Corée du Nord. Enfin, c’est un grand pays; personne ne peut vouloir poster un million de soldats américains en Corée du Nord  pendant des dizaines d’années. C’est la Chine qui devra en être l’acteur principal, et pour des raisons déjà abordées, Beijing rechigne à endosser ce rôle. Les Nord-Coréens eux-mêmes devront lancer le mouvement, et compte tenu de l’efficacité de Kim à étouffer la moindre velléité de dissension ou de déloyauté, pour l’instant cela semble fort peu probable.

À court terme, la seule possibilité qu’il reste c’est la négociation—pas immédiatement, sûrement pas juste après la mort de Warmbier, mais à un autre moment. Nous avons tout intérêt à ce que la Corée du Nord cesse sa marche vers un arsenal nucléaire plus vaste et à plus longue portée. Nous avons tout intérêt à simplement apaiser les tensions dans la région. Tout comme la Chine, la Corée du Sud et le Japon. La Corée du Nord a déjà été appâtée afin de l’amener à s’asseoir autour d’une table de négociations dans le passé grâce à d’habiles alliances de carottes et de bâtons. L'accord de Clinton peut servir de modèle; il a gelé l’avancée de Pyongyang vers l’arme atomique pendant huit ans.

Mais un sujet reste délicat. Comment inspirer suffisamment confiance à Kim pour l’attirer à la table des négociations à court terme tout en préparant le terrain pour l’évincer à long terme? Cela nécessite d’exercer des talents politiques de manière rusée et subtile, exercés (ou au moins conseillés) par des spécialistes dotés d’une profonde connaissance du territoire et de l’histoire. Il faudra aussi de la patience; cela prendra plus de deux mois et il est tout à fait possible que cela ne marche toujours pas au bout de deux ans. Et s’il y a bien une chose susceptible d’entraver ces efforts, au même titre que toute autre sorte d’obstruction, c’est un président qui explose avant que lui ou quiconque dans son cabinet ait pris le temps de réfléchir.

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