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Deux psychologues militaires sommés de s'expliquer sur les interrogatoires torture de la CIA

Témoins clés dans le cadre d'un procès intenté par d'anciens détenus, ils fournissent des détails intéressants sur les méthodes de l'agence, et tentent de minimiser leur implication.

Une tour de garde de la prison de Guantánamo. Cuba. 26 janvier 2017.Thomas Watkins/AFP
Une tour de garde de la prison de Guantánamo. Cuba. 26 janvier 2017.Thomas Watkins/AFP

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur The New York Times

Ils s'appellent John Bruce Jessen et James Mitchell et ont travaillé comme psychologues au sein de l'Armée américaine. Dès 2002, ils avaient aidé la CIA à concevoir des techniques brutales d'interrogation contre de présumés terroristes dans les prisons secrètes en vue d'obtenir des informations vitales pour la sécurité des États-Unis.

Un rapport sénatorial avait conclu en 2014 que John Bruce Jessen et James Mitchell avaient été grassement payés par l'agence pour leurs services. On y apprenait qu'ils avaient eux-mêmes dirigé de nombreuses séances de waterboarding –torture par similacre de noyade– entre 2005 et 2009.

Quinze ans après, alors qu'ils témoignent dans le cadre d'un procès intenté par l'Union américaine des libertés civiles au nom d'anciens détenus, ils fournissent des détails intéressants sur les méthodes utilisées par les service de renseignement en particulier la CIA contre de présumés terroristes.

Préparation hâtive

 

D'après le New York Times qui a eu accès à ces témoignages, John Bruce Jessen et James Mitchell n'avaient aucune expérience dans les méthodes d'interrogation ni dans la connaissance des réseaux terroristes lorsque la CIA faisait appel à leurs services. Pour concevoir leur programme, ils se sont essentiellement appuyés sur des techniques utilisés pour former les soldats américains à la résistance contre les actes de torture.

«Ils ont fait valoir que leur programme était scientifiquement fondé, sûr et prouvé, alors qu'en fait, il n'en était rien», s'insurgeait en 2015, un avocat des victimes.

Eux affirment dans le cadre du procès avoir été contraints de poursuivre le programme, alors qu'ils avaient émis des réserves: «Ils disaient tous les jours qu'une bombe nucléaire allait exploser aux États-Unis et que si on ne continuait pas, on allait avoir la mort d'innoncents sur la conscience.»

Toutefois, des documents déclassifiés les mettent en cause et indiquent qu'ils avaient recommandé ces méthodes agressives contre les détenus les plus en vus. Celles-ci visaient à destabiliser psychologiquement et physiquement le terroriste présumé. Elles impliquent, selon les témoignages, de déshabiller un détenu, de l’aveugler, de l’isoler et de jouer avec ses nerfs à l'aide de bruit de fond ou de musique forte mais pas suffisamment pour endommager ses oreilles.

Waterboarding à outrance

D'autres méthodes consistent à le placer dans une pièce exigüe à la lumière ou à l’obscurité continue, à changer ses habitudes alimentaires, à le priver de sommeil, à le rouer de coups sur le visage, les abdominaux, ou encore à appliquer la méthode du walling qui consiste à le pousser violemment contre un mur. Des dizaines d'anciens prisonniers ont rapporté au New York Times souffrir de profonds dommages psychologiques liés à ces actes de torture.

«Toute ma vie, j'ai été dans l'armée. Je faisais toujours ce qu'on m'ordonnait de faire. Et c'est ce qui s'est passé», s'est justifié Jessen lors de son audition.

Abu Zubaydah, un prisonnier placé en détention provisoire en 2002, a été le premier à subir le programme de torture mis au point par l'équipe. Soupçonné à tort par les Américains d'être un leader d'al-Qaïda, il a été soumis 83 fois au waterboarding en l'espace de deux jours. Dans un rapport récemment déclassifié que le New York Times a consulté, on peut lire le concernant: 

«Le sujet était sous le coup de la torture de sorte qu'il pouvait difficilement parler et ses aveux étaient inintéressants à exploiter.»

Selon un témoin sous serment, lorsque la prison a voulu mettre fin aux méthodes de Jessen et Mitchell, la direction a été sommée par la CIA de les poursuivre. Après Abu Zubaydah, d'autres prisonniers ont subi ces tortures physiques et morales.

Les premières révélations de cette affaire en 2014 avaient suscité l'indignation de l'opinion publique. L'American Psychological Association (APA) avait alors recommandé un durcissement du code éthique pour empêcher ses membres de participer à des interrogatoires de l'armée ou des services de renseignement.

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