France

Entre Bayrou, qui n'aimait pas l'argent, et Macron que l'argent aimait, ça ne pouvait pas durer

Il quitte le gouvernement comme le vestige d'un vieux monde dont personne ne veut plus.

Le 12 avril 2017 I Eric FEFERBERG / AFP
Le 12 avril 2017 I Eric FEFERBERG / AFP

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Que deviendra François Bayrou, sorti du gouvernement pour une de ces affaires qu’on appelait jadis «de cornecul», quand les politiques ne réalisaient pas que les beaux jours allaient finir? Le premier jour de sa chute, dans une conférence de presse surréelle qui éclipsait l’attente du nouveau gouvernement, le désormais  ci-devant ministre de la Justice a adopté la posture sacrificielle, expliquant partir pour «ne pas exposer le gouvernement et le président», et rendant hommage au sus-dit Président, «une chance pour notre pays et pour l’Europe». Mais ensuite? Que deviendra François Bayrou, quand marchera Macron, désormais délesté de son affaire? Restera-t-il un sage, un vétéran apaisé, ou bien l’aigreur le saisira-t-elle, l’amertume d’avoir été le marchepied du macronisme, celui qui avait tout inventé et tout rendu possible, et finalement sorti du paysage? Ou bien rien?

Ou bien rien.

François Bayrou ne deviendra rien, parce qu’il n’était déjà plus, en dépit de la majesté apparente de son titre et de la pesanteur de son ambition, et sa démission ne fait que matérialiser cette vérité flottante. Une vapeur de l’ancien monde se dissipe. Celle-ci, par hasard ou calcul, parfumait le pouvoir. La voilà envolée. Qu’en reste-t-il? Aura-t-on un doute sur le macronisme, forcé d’exfiltrer ses ministres pour s’extraire des scandales, ou –magie de la croyance– se renforce-t-il en perdant des excellences qui ne lui ressemblaient pas?

Bayrou venait d’un autre temps.

Quand on lui parlait jadis des affaires du RPR, Chirac disait «des histoires de cornecul». Le disait-on avant lui, en ce sens? Affaires de rien, méprisables, risibles, insignifiantes face à la majesté politique… Le mot, que Rabelais inventa avant Jarry, fit florès. On l’utilisa, dans le petit monde politique, quand des visages frais et puissants se flétrissaient, tels des Dorian Gray de la combine.

L'histoire se répète

 

Affaires de cornecul, qui emportaient Léotard, Juppé, Carignon, Longuet, Noir, l’honneur du parti socialiste, Henri Emmanuelli, le vieil homme en oublie. Affaires de cornecul, d’une politique mendigote, qu’il fallait bien nourrir. On ne voyait pas le mal, dans le sérail. On était tellement au-dessus de cela. On était littéraire, moderne, droit de l’hommiste, marathonien, contemporain, et en même temps, condamné un jour pour financement illégal d’un parti politique.

Je me souviens de François Léotard, prisonnier des affaires et le cœur bientôt affaibli, remplacé par François Bayrou à la tête du centre libéral, on appelait ça l’UDF. C’était en 1998. Il y avait dans le corps de Bayrou, alors âgé de 47 ans une vitalité qu’il imposait à son aîné, même pas sexagénaire mais déjà épuisé. Léotard, en 2004, serait condamné par la justice pour le financement du Parti républicain, une des sous-marques de l’UDF, qu’importe désormais. Bayrou, en 2017, démissionnerait sur un ridicule: être soupçonné d’avoir fait vivre son petit parti, le Modem, sur la manne européenne. Cornecul. Le parallèle est fascinant. Était-ce écrit. L’un après l’autre, à chacun son heure, les fiers rénovateurs de la République tomberaient pour d’indignes larcins?

La pitié de cette histoire.

Hypocrisie sadisante du système, auquel chacun appartient.

L'heure a sonné

 

L’histoire de l’assistante de Bayrou, payée sur la cassette européenne de Marielle de Sarnez –celle-ci la sœur politique du Béarnais, fervente européenne et eurodéputée depuis 1999, autant dire toujours–, elle existait au moins depuis 2014, racontée au détour d’un livre par l’ex-copine Corinne Lepage. On avait lu sans voir. Ce n’était pas le moment, et Bayrou existait si peu, alors, sa splendeur, passée, exilé du pouvoir, battu à la députation en 2012…

L’histoire de l’assistante de Bayrou, payée sur la cassette européenne de Marielle de Sarnez –celle-ci fille d’un héros français, qui, lycéen avait manifesté sur les Champs-Élysées, le 11 novembre 1940, défiant l’occupant–, elle était ressortie pendant la campagne présidentielle, en février 2017, des réseaux fillonnistes cherchant un contrefeu et une boule puante à jeter dans le jardin de l’adversaire. On avait à peine levé la tête. On n’avait pas voulu entendre le curieux Nicolas Grégoire, qui racontait sur le web son expérience d’employé fictif à Force démocrate, le petit parti de Bayrou dans le années 90… Le temps n’était pas venu de douter de l’allié de Macron. Il fallait que l’opprobre reste concentrée sur François Fillon. Ce n’était pas le mood.

L’histoire de l’assistante de Bayrou, payée sur la cassette européenne de Marielle de Sarnez –celle-ci organisatrice du dépassement de la droite et de la gauche, qui colloquait autrefois avec des socialistes et Cohn-Bendit, pour en finir avec nos blocages–, elle est revenue Bayrou ministre, chargé de la moralisation de la vie politique, imposant grand-duc du jeune souverain. Là, c’était bon. L’affaire a poussé telle plante exubérante et Bayrou est tombé en quelques semaines, tout Bayrou moralisateur qu’il était, et sans doute pour cela aussi.

Un ministre en sursis?

 

C’était inscrit. Les affaires de cornecul sont devenues léthales. L’organisme éprouvé qu’est le monde politique a été trop souvent empoisonné de scandale. Désormais, les anticorps ne répondent plus. Foutu, Bayrou! Le savait-on dès l’entame? Dead minister walking? Qu’on l’ait laissé devenir ministre en dépit de l’affaire témoigne d’une immense naïveté de la part du pouvoir, ou au contraire d’une intelligence terrifiante. Le court passage au pouvoir de Bayrou a été une leçon de choses, une preuve vivante de l’ancien monde, d’un système politique dont la simple évocation provoque l’écoeurement.

Protester de son innocence avec l’arrogance des insoupçonnables, faire pression sur les médias, mélanger les genres, s’abriter derrière sa tâche immense… Bayrou n’a oublié aucune des étapes du chemin de croix, jusqu’à l’apothéose, après la démission. La dénonciation d’un complot contre lui et son oeuvre, une campagne de dénonciation destinée à gêner sa réforme majeure, la moralisation de la politique. C’est dont sa probité qui était visée? 

Les politiques ne sont jamais beaux quand ils chutent. Bayrou ne fait pas exception. Il était donc ainsi, comme tant d’autres, lui qui avait revendiqué sa différence et payé le prix fort pour ne s’être pas incliné? Lui, qui avait refusé l’alignement chiraquien, le clinquant sarkozyen, l’endormissement hollandais? Lui qui avait été ce jeune centriste venu de sa campagne, croyant aux livres, au travail, à la culture, au Christ, à Giscard, à la droite d’une parole ferme, à Barre, à lui-même, à la France?

Macron, l'ingrat?

 

Jeune homme, Bayrou était allé se frotter à la communauté de l’Arche, créée sur le plateau du Larzac par un Italien mystique et généreux, Lanza del Vasto. Il se méfiait des caporalismes et de la modernité. Il avait été pur. Sa secrétaire serait payée sur des fonds européens. Est-ce vain? François Bayrou est unique, et en même temps, le même que tant d’autres uniques avant nous. Quelque chose de plus fort que sa volonté même l’arrimait à une langue morte et des pratiques inavouées. Ça ne pouvait pas durer

Emmanuel Macron est une cruauté involontaire. Involontaire? Il a prolongé avec sa vigueur propre les intentions de Bayrou, qu’elles soient européennes ou réformatrice. Il a porté au pouvoir le projet de Bayrou. Il a usé de l’alliance de Bayrou, pour surmonter un petit creux dans la campagne. Il démontre, quand Bayrou le quitte, que le monde a changé? Lui tiendra-t-on rigueur de ce pragmatisme, de cette alliance qui n’avait pas lieu d’être, de l’ingratitude apparente? Sera-t-on soulagé de cette clarté?

Tout se paye

 

Il y avait eu ce moment un peu sordide, après la présidentielle, quand Bayrou avait réclamé sa part du gâteau électoral pour ses troupes. Fi donc, que de vieux monde! Ainsi donc, le Béarnais pensait plus à sa boutique qu’au bien commun? Il voulait ses députés? Il n’admettait pas que les marcheurs raflent la mise? Il regardait Macron et grinçait, «qui t’a fait roi»? Ironiquement, celui qui, alors, avait répondu sèchement à Bayrou était Richard Ferrand. À l’arrivée, tout se paye. Souviens-toi du vase de Soissons. La marche se poursuit, dans la joie de la société civile désormais parlementaire, allégée d’une pesanteur embarrassante. On rit sur les réseaux sociaux. Le rire est une splendide lâcheté. Souffres-tu, François Bayrou?

Idéologiquement, tout ceci n’est pas gratuit. Bayrou éjecté et ses vieilles factures, quand arrivent à l’assemblée le chouette Cedric Villani et ses surdiplômés, c’est le triomphe parachevé de la société sur la politique; la preuve que c’est ailleurs, dans le monde de l’entreprise, de l’université, de la recherche, de l’intelligence libre et des contrats éponymes, que va se régénérer le pays. Le monde politique n’est plus en capacité. Ce qu’il a cru porter, un dévouement aux principes, à l’État, à la Nation, une expérience des hommes et de leur conduite, est une illusion grotesque, que balaient combines de cornecul. On ne peut plus écouter sans sourire un homme qui ne sait pas payer son assistante sans carotter Bruxelles! Idéologiquement, s’impose comme une évidence l’idée de la compétence du privé, de ses normes souhaitables et de sa réalité.

Que vous soyez puissant ou misérable…

 

Ceci n’est pas innocent quand le macronisme prend son vrai départ. La politique, petit monde appauvri qui vivotait de prébendes et de cavaleries, cède la place à des jeunes gens qui n’ont pas besoin de tricher pour vivre, puisque l’organisation de l’économie leur est acquise. Dans la mythologie d’Emmanuel Macron, son passage par la banque était une quête de liberté. Un ancien de chez Rothschild n’aurait jamais besoin de s’avilir en combine pour organiser sa conquête?

La différence entre Macron et Bayrou se trouve ici. Ces deux centristes ne sont pas simplement différents par l’âge et le succès. L’argent les sépare, et ce qu’on en dit. Au temps de sa plus grande gloire, dans la campagne présidentielle de 2007, Bayrou avait élaboré un discours anti-système dirigé contre les media et les puissances d’argent, ploutocrates et oligarques des grands groupes, qu’il dénonçait et prétendait réduire. Il était, catholique et paysan, hostile instinctivement et rationnellement à l’hyper-capitalisme. Il n’était pas de ce monde. Les cadres dirigeants et les actionnaires majoritaires n’étaient pas ses commensaux, ni ses partisans. Leur homme de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait été élu, et avait aussitôt attiré à lui les élus de Bayrou, qui s’était retrouvé seul, pauvre, groupusculaire, pauvre, amoindri, pauvre, nettoyé, pauvre.

Pauvre. S’il a triché, c’est en pauvre. C’est en pauvre n’admettant pas sa pauvreté, voulant tenir son rang, que le Modem a pu organiser la filouterie des assistants parlementaires. Comment vivre autrement?

Viva Las Vegas

 

Avant de rallier Macron, Bayrou avait ciblé son jeune rival comme un nouveau Sarkozy –sans y mettre, heureusement, la même haine; un homme trop à l’aise avec son temps, le candidat «des forces et du pouvoir de l’argent», disait-il, en septembre 2016. Évidemment. Le mot n’était pas gratuit. Il se concrétise aujourd’hui. Macron, pour sa marche, a suffisamment été choyé des anges du business et de leurs émules, pour échapper à ce petit sordide qui emporte Bayrou. Bayrou contre Macron. L’homme qui n’aimait pas l’argent et celui que l’argent aimait. L’homme qui devait s’arranger, et celui pour qui tout s’est arrangé, avec la grâce dispensée par le libéralisme à un élu, par avance…

Le riche est honnête, lui. Lui.

Il est amusant que, derrière le bruit triste de la chute de Bayrou, on entend un murmure autre, d’une expédition de Macron, encore ministre, au pays de cocagne du business, au Consumer electronic show de Las Vegas, qui aurait bien profité à l’Empire Havas. Ces histoires de gens riches n’ont pas la vulgarité de la fiche de paye d’une secrétaire. Heureusement. 

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