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Uber France fait son mea culpa sans réformer son modèle

Une opération de com' et une série de mesures annoncées par Uber France doivent permettre de reconstruire sa relation avec les chauffeurs. Un changement d’attitude qui se veut concret, mais qui masque l’impasse dans laquelle le géant californien s’est enferré, aveuglé par sa stratégie d’hypercroissance et de plus en plus discrédité par son comportement agressif.

Steve Salom, nouveau General Manager d'Uber France, le 19 juin 2017 | ALAIN JOCARD / AFP
Steve Salom, nouveau General Manager d'Uber France, le 19 juin 2017 | ALAIN JOCARD / AFP

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«Travailler sur lui-même»: c’est la raison invoquée par Travis Kalanick, le fondateur d’Uber, pour se retirer temporairement de ses fonctions de C.E.O. de l’entreprise à la plus forte valorisation de l’histoire. Par un curieux mimétisme entre la personnalité du fondateur d’Uber et son organisation de 12.000 employés, c’est tout le modèle qui est peut-être en train de faire cet exercice salutaire d’autocritique.

S’il compte survivre, Uber n'a plus vraiment le choix. «Il y a évidemment beaucoup de choses dont on peut être fiers, mais aussi beaucoup de choses à améliorer», a même écrit Kalanick, faisant preuve d'une humilité dont il était jusqu'à présent très peu coutumier –rappelons que le fondateur a récemment succombé à la mode de la méditation... Secoué par des affaires à répétition de harcèlement sexuel, qui se sont soldées par une vaste enquête interne et une série de renvois de généraux de l’organisation, Uber est plus que jamais dans les esprits le bad guy de la Silicon Valley, personifiant tous les méfaits de sa «bro culture», mélange de machisme, d'arrogance et d'agressivité.

L’annonce du retrait temporaire du PDG, dont l’autorité est de plus en plus contestée, a été l’occasion d’une opération vérité dans les médias qui suivent l’actualité high tech au plus près de son microcosme entrepreneurial. Ceux-ci rappellent à quel point, depuis l’origine, Uber est marquée par une culture «hyper agressive», une mentalité de «gagnants à tout prix». «L’entreprise la plus odieuse de la tech» a multiplié les scandales, les provocations, les manipulations en tous genre, se comportant comme un «pitbull vicieux» se pensant «en permanence sur un ring». Voilà pour l’image que renvoie le géant qui s’est donné pour mission d’«uberiser» le secteur du transport individuel.

Accompagner et soutenir les chauffeurs

Alors que la crise que connaît Uber aux États-Unis est avant tout interne, en France, les dégâts se font surtout sentir sur le plan externe, celui de la relation avec ses chauffeurs ou ses «partenaires» dans le langage Uber, puisqu’il s’agit en réalité de ses clients (et non de ses salariés, les chauffeurs étant indépendants). Même si officiellement le tempo étatsunien ne dicte pas l’évolution des affaires de sa branche française, les annonces faites ce lundi 19 juin par le nouveau directeur général d’Uber France, Steve Salom, nommé six mois plus tôt, ressemblent à une sorte de mea culpa, qui résonne étrangement avec l’adoucissement de sa communication outre-Atlantique.

«Les chauffeurs se sont plaints qu’on ne les considère pas», a admis d’emblée le nouveau patron, qui s’exprimait devant la presse pour la première fois depuis sa nomination –il occupait auparavant le même poste en Suisse romande.

Une campagne de communication en direction des chauffeurs doit permettre à Uber de signifier ce changement de cap, alors que le mouvement de protestation de décembre dernier a laissé des traces. Les racines du malaise sont profondes. Depuis l’origine, beaucoup doutent du caractère réellement «disruptif» d’Uber qui, s’il s’est révélé extrêmement efficace et audacieux pour perturber des monopoles dans le transport, a beaucoup moins convaincu sur sa capacité à inventer un nouveau modèle économique réellement soutenable, c’est à dire qui permette à ses «partenaires» de gagner leur vie, des difficultés qu’Uber ne conteste désormais plus.

«Augmenter et optimiser»

 

La stratégie de l’entreprise consiste donc pour les mois à venir à mieux accompagner et soutenir ses chauffeurs à travers un ensemble de dispositifs et de «process» visant à «augmenter et optimiser» la rentabilité de l’activité, mais également à mieux faire remonter leurs attentes et leurs difficultés. Des espaces d’accueil physique vont être ouverts ou renforcés, avec un personnel doublé et des temps d’interaction plus longs avec chaque chauffeur. Outre des tables rondes ou des sondages pour valider certaines décisions, Uber va mettre à disposition de ses chauffeurs un audit externe de leurs pratiques.

Dans l’exemple présenté, un expert arrive à augmenter le revenu net du chauffeur de 600 euros par mois en lui conseillant d’acheter son véhicule neuf plutôt que de louer, un poste qui plombe les revenus des chauffeurs. Un fonds de soutien aux chauffeurs en difficulté a été renforcé, et Uber s’engage à participer à hauteur de 200 euros à l’examen que devront passer tous les chauffeurs sous statut Loti qui souhaitent devenir VTC, ce que prévoit la loi Grandguillaume qui entrera en vigueur le 1er janvier 2018.

Visuel de la campagne de communication «#ExpertsUber» en direction des chauffeurs.

«Ce que vous nous avez appris de plus important, c’est qu’on ne va nulle part si on n’écoute personne», écrit Steve Salom dans un e-mail envoyé aux chauffeurs pour tenter de reconstruire une relation marquée par la frustration, la défiance et la colère. «C'est assez compliqué de passer de l’âge d’enfant à l’âge adulte», a encore déclaré le nouveau patron d'Uber France, confirmant ce tournant empathique pris par l'éternel méchant de la Silicon Valley.

Uber est-il enfin gentil?

 

Histoire que le changement de ligne ne passe pas inaperçu, le DG a également publié une tribune dans Les Échos sous le titre-programme: «Pourquoi Uber doit changer». L’ensemble de ces initatives, qui représentent plusieurs millions d’euros, doivent permettre à Uber France de «passer d'une logique de croissance rapide à une logique de croissance pérenne», selon les mots de son directeur général.

Accompagner, soutenir, écouter: Uber fait évoluer sa communication d'une manière démonstrative. Il n’est en revanche pas question de revenir sur le partage de la valeur entre la plateforme, qui prélève une commission qui est passée de 20 à 25% l’année dernière, et le chauffeur partenaire. D'une manière assez tautologique, Uber justifie ce niveau de coût par sa nécessité d'investir pour continuer de croître et améliorer la qualité du service... et l'expérience des chauffeurs.

Lors d’un des innombrables scandales dont il est le protagoniste, Travis Kalanick avait été filmé en train de faire la leçon à un chauffeur Uber, lui reprochant de ne pas assumer ses responsabilités alors que ce dernier se plaignait de ne pas gagner suffisamment d’argent. La logique sous-jacente était qu'en gérant mieux leur activité, les chauffeurs Uber pouvaient espérer tirer profit de la demande de transport individuel, occultant totalement l'éventualité qu'ils soient désormais beaucoup trop nombreux, à des tarifs trop bas et supportant des coûts fixes trop importants, pour compter sur le service pour gagner leur vie.

Difficile de dire en quoi, l’aspect formel mis de côté, la nouvelle politique d’Uber s’écarte de cette conception du partenariat entre l’entreprise et ses clients, et surtout comment la plateforme peut démontrer qu'elle peut encore constituer un partenariat avantageux pour ces clients-partenaires. Si Uber doit changer, une grande partie du débat autour du modèle de l'entreprise s'est focalisé outre-Atlantique sur sa capacité réelle à le faire. D'autant que l'entreprise, jamais à cours d'argent, manque en revanche d'une ressource-clé: le temps. Uber est pris dans une course pour s'imposer comme le monopole du service de transport individuel sur ses marchés, seul moyen selon les experts de devenir un jour rentable.

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