Culture

L’enfer des prisons d’Amérique latine 

Violence, drogue et corruption : le système carcéral latino-américain est l’un des plus brutaux du monde, marqué par la surpopulation, le dénuement et l’abandon des autorités. Une situation catastrophique décrite dans El Marginal, série diffusée sur CANAL+ à partir du 26 juin.

CANAL+, El Marginal
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Temps de lecture: 3 minutes

CONTENU PARTENAIRE - En début d’année, plusieurs prisons brésiliennes ont connu une flambée de violence exceptionnelle : d’abord dans un centre de Manaus, en Amazonie, où une mutinerie a entraîné la mort de 56 prisonniers puis, quelques jours après, dans une prison de l’Etat de Roraima, également dans le nord du pays, où un groupe de détenus en a massacré une trentaine d’autres à l’arme blanche, dans des conditions atroces.

De telles poussées de fièvre illustrent la guerre totale que se livrent, à l’extérieur comme derrière les barreaux, les factions rivales des grandes organisations criminelles. Mais cette hyper violence est également liée aux conditions de détention catastrophiques, et notamment à la surpopulation (167% de taux d’occupation moyen). Avec 622 000 détenus selon les chiffres officiels, la population carcérale au Brésil est la quatrième plus importante du monde derrière les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

Surpopulation et vétusté

Cette situation délétère n’est pas spécifique à la première puissance régionale. On la retrouve chez le voisin argentin, dont le système pénitentiaire est aussi en pleine déréliction, souvent épinglé par l'Observatoire international des prisons qui pointait déjà, il y a deux ans, le cas extrême de la prison de Devoto à Buenos Aires, établissement archaïque et insalubre n’offrant qu’une douche pour 100 détenus.

Certes, le président argentin Mauricio Macri a promis fin avril de porter de 11 000 à 20 000, d’ici à la fin de son mandat, le nombre de places dans les centrales fédérales, et de fermer les plus vétustes.

De son côté, le président brésilien Michel Temer a annoncé un plan de sécurité de 800 millions de réais (250 millions d’euros), avec la construction d’au moins une prison dans chacun des vingt-sept Etats du pays et de cinq prisons fédérales pour les «leaders hautement dangereux». Ces effets d’annonce sont à prendre avec des pincettes en ces temps de conjoncture difficile sur tout le sous-continent, notamment au Brésil, toujours englué dans une crise politique, économique et institutionnelle.

Les autorités se défaussent

Pour Chloé Constant, jeune docteur en sociologie qui travaille depuis plusieurs années sur les systèmes pénitentiaires de la zone, notamment au Pérou et au Mexique, on retrouve partout certaines constantes, à commencer par la surpopulation. «Malgré la construction de nouvelles prisons, les taux d’occupation atteignent parfois 300 à 500%», explique-t-elle.

Selon elle, le phénomène s’aggrave en raison du volontarisme sécuritaire des gouvernements, en quête de résultats visibles, face à un électorat exaspéré par la violence des narcos et par la délinquance. «Les mises en détention préventive se multiplient, poursuit-elle. En outre, certains dirigeants ont supprimé les réductions de peines et les mises en liberté conditionnelle, qui concernent une grande partie des détenus. C’est notamment le cas au Pérou ».

Elle note par ailleurs la tendance actuelle des Etats à privatiser les prisons. Une façon pour les autorités de se défausser du casse-tête de leur gestion, alors que la récidive ne régresse pas et que les budgets de fonctionnement sont très insuffisants. L’exemple le plus emblématique est le Chili, mais le Pérou s‘y met également.

Autogestion des détenus

On assiste, explique Chloé Constant, à une véritable autogestion des détenus. « C’est surtout vrai dans les prisons d’hommes, souligne-t-elle. Ce sont les détenus les plus organisés, dotés d’un capital économique et socioculturel et qui ont un réseau à l’extérieur qui prennent le pouvoir sur les autres au sein de la prison. La drogue, l’alcool, les portables y circulent librement, la prostitution et la traite des mineurs s’y pratiquent dans un climat de corruption généralisé ». En fonction de leur prestige ou de leur influence, les détenus bénéficient ou non des privilèges accordés par le gang dominant.  

C’est cette microsociété ultraviolente, régie par les règles de la mafia plus que par celles de l’autorité pénitentiaire, que dépeint la série argentine El Marginal. Son héros est un ex-policier, chargé par un juge d’infiltrer le gang qui a enlevé sa fille, et dont les chefs règnent sur un vaste pénitencier à ciel ouvert, capharnaüm glauque et oppressant. Tournée dans une ancienne prison, la série mêle intrigue policière haletante et description réaliste de cet univers carcéral latino-américain.

Une véritable école du crime

En général, les gardiens, peu nombreux et mal payés ne s’interposent guère. Chloé Constant soupçonne les autorités de laisser cyniquement la drogue entrer, pour rendre les conditions d’incarcération plus supportables, et limiter les révoltes.

« La vie de détenu coûte très cher, poursuit-elle. Il faut tout acheter car rien n’est fourni, ni les lits, ni les couvertures, ni les vêtements, ni le savon… ». Les trafics, les pratiques criminelles et les extorsions se poursuivent donc depuis la prison, via les portables.

« Au Pérou et en Bolivie, les détenus sont complètement libres à l’intérieur de l‘enceinte. Les bâtiments sont parfois fermés la nuit mais dès le matin, tout le monde déambule librement, rencontre son avocat ou sa famille, et se livre à ses trafics divers ». Une véritable école du crime : voleurs et petits dealers y côtoient les criminels, les chefs de gangs ou de cartels ; brimades et harcèlements sont légion. 

Certes, au Brésil, Michel Temer a promis de séparer les petits délinquants des grands criminels et d’équiper 30% des prisons de dispositifs de brouillages des portables. Mesures de bon sens, mais annoncées juste en réaction à la tuerie de Manaus. Les conditions d’incarcération n’ont jamais été une priorité au Brésil, il est peu probable qu’elles le deviennent à court terme.

Découvrez la série El Marginal

13 épisodes inédits

A partir du 26 juin à 20h55

Sur CANAL+

 

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