Politique / France

L'Assemblée nationale est enfin plus à l'image du pays

La nouvelle Assemblée comptera notamment une petite quinzaine d'élus issus de l'immigration dite «arabo-musulmane», à l'issue d'une campagne où, selon une récente étude, leur présence parmi les candidats reflétait leur poids général dans la population française.

Mounir Mahjoubi. secrétaire d'État chargé du numérique et nouveau député de la 16e circonscription de Paris, le 11 juin 2017 | Patrick KOVARIK / AFP
Mounir Mahjoubi. secrétaire d'État chargé du numérique et nouveau député de la 16e circonscription de Paris, le 11 juin 2017 | Patrick KOVARIK / AFP

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Ils s'appellent Mounir Mahjoubi, Fadila Khattabi, Saïd Ahamada, Brahim Hammouche ou Mostapha Laabid et sont, depuis ce dimanche 18 juin, députés de la République à Paris, en Côte d'Or, dans les Bouches-du-Rhône, en Moselle, en Ille-et-Vilaine. Selon notre pointage, la nouvelle Assemblée devrait compter une petite quinzaine d'élus dits «issus de l'immigration arabo-musulmane». Un reflet d'une diversité globale inédite dans l'hémicycle puisque, hors Outre-mer, ont par exemple été aussi élus pour la première fois, à Paris, la jeune avocate Laëtitia Avia, d'origine togolaise, la bibliothécaire Danièle Obono, d'origine gabonaise, ou l'entrepreneur d'origine sino-cambodgienne Buon Tan. En 2012, on comptait huit députés originaires de pays étrangers, tous élus du PS, dont aucun n'a retrouvé son siège cette année.

Le sujet est complexe car il renvoie rapidement à un risque d'assignation identitaire, dans un pays où les statistiques ethniques sont illégales, contrairement à l'approche beaucoup plus décomplexée qu'ont le Royaume-Uni ou les États-Unis du sujet. La chaire Moyen-Orient Méditerranée de l’École normale supérieure et l'institut de sondage Ifop viennent de s'en emparer lors d'une enquête dont les résultats préliminaires ont été dévoilés à la veille du second tour. Avec notamment pour objectif, selon l'islamologue Gilles Kepel, d'interroger à l'occasion de ces législatives «ce qui se passe dans les quartiers populaires et parmi les populations d’origine ou de culture musulmane en particulier», sachant que «ces termes posent eux-mêmes question»: un prénom, un nom de famille ou une origine ne définissent pas en eux-mêmes une appartenance ou une pratique religieuse souvent bien plus complexes et nuancées. Cela est illustré par le cas de quelques dirigeants emblématiques du précédent quinquennat comme Najat Vallaud-Belkacem, qui se définit comme «musulmane par héritage» mais pas pratiquante régulière, ou Myriam El Khomri, héritière d'une double culture catholique et musulmane. De manière plus globale, l'enquête dite «Rapfi» menée par le Cevipof en 2005 montrait que 60% des Français originaires d'Afrique et de Turquie se déclaraient musulmans.

6,5% des candidats

Selon Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d'entreprises de l'Ifop, l'objectif de cette enquête est d'«essayer de déminer un sujet et un terrain hautement sensible avec des données objectives et neutres». L'institut est parti de la liste des 7.882 candidats pour essayer, pour l'essentiel à partir de leur prénom, d'identifier ceux appartenant à la diversité. Conclusion: 6,5% des candidats du premier tour affichaient un prénom appartenant à la culture arabo-musulmane. «Cette population a été représentée à due proportion dans les candidats qui ont sollicité les suffrages», explique Jérôme Fourquet, qui rappelle que 6,2% de la population française a au moins un parent musulman.

Pour le sondeur, on assiste à «un changement qui est en train de s’installer», les candidats en question étant particulièrement jeunes: ils représentent 11,4% de la génération des 30-39 ans, contre seulement 1,8% de la génération des plus de 60 ans. Ces candidats étaient essentiellement étiquetés à gauche et au centre: ils représentaient 7,6% des candidats PS, 5,7% de ceux de la France insoumise et 5,3% de ceux de La République en marche, contre seulement 1,6% de ceux de LR. Mais leur proportion était encore plus importante parmi les candidatures étiquetées «divers» ou «divers gauche» (22% et 18% respectivement), signe, selon Jérôme Fourquet, de l'importance que conservent «les voies détournées qui ne sont pas celles des partis classiques». Géographiquement, ces candidatures sont quasiment absentes de la France du Centre et de l'Ouest –ce qui, on l'a vu, n'empêche pas que ces régions compteront quelques élus issus de la diversité– et beaucoup plus représentées en Île-de-France, dans le Nord-Est et en Paca.

On le sait au vu de la lenteur des progrès de la parité femme-homme: il ne suffit pas de présenter davantage de candidats, il faut leur proposer des circonscriptions gagnables. Toujours selon l'étude de l'Ifop, la République en marche, le PS et la France insoumise ont envoyé ces candidats dans des circonscriptions où Macron, Hamon et Mélenchon avaient réalisé des scores légèrement supérieurs à leur moyenne nationale (de 0,4 à 2,4 point en plus), ce qui n'est pas du tout le cas chez LR (le score de Fillon y était inférieur de 4,5 points à sa moyenne nationale). En revanche, la dynamique de ces candidats, lors du premier tour des législatives, a été un peu inférieure à la moyenne: ceux de La République en marche, par exemple, réalisent en moyenne un score plus bas de trois points que les autres candidats LREM. «Il y a quand même, en termes de niveaux et d’évolution, une performance électorale un peu moins forte pour ces candidats, reconnaît Jérôme Fourquet. Je pense qu’il reste quelque chose qui fait que même dans l’électorat “central” ou “de gauche”, une petite partie de l’électorat hésite à franchir le pas.»

Un «vote des musulmans» mais pas de «vote musulman»

Ces performances des candidats issus de la diversité renvoient à une autre question, encore plus polémique: celle du vote des électeurs musulmans. Selon un sondage mené par l'Ifop pour le magazine Pélerin, 37% d'entre eux ont voté Mélenchon au premier tour de la présidentielle et 17% Hamon, tandis que Macron obtenait le même score que dans la population globale (24%) et Fillon et Le Pen nettement moins (10% et 5%). En 2012, toujours selon l'Ifop, 86% des électeurs musulmans avaient voté pour François Hollande au second tour.

Il existe donc bien un vote typé «des musulmans», mais les experts combattent en revanche l'idée d'un «vote musulman» en tant que tel. L'un des coordinateurs de l'enquête, Antoine Jardin, docteur en sciences politiques, écrivait ainsi avec Gilles Kepel dans Terreur dans l'Hexagone. Genèse du djihad français que «la thèse de l'émergence d'un vote musulman structuré et homogène, reposant sur un sentiment religieux et communautaire, ne résiste pas à l'analyse des résultats». Il a mené cette année une étude sur la sociologie du vote dans la 2e circonscription de Seine-Saint-Denis, qui recouvre une partie de Saint-Denis et la commune de Pierrefitte-sur-Seine et a été largement gagnée par la France insoumise. 250 électeurs y ont été interrogés le jour du premier tour par questionnaire, pas administré en personne. 38% des sondés se déclaraient de religion musulmane et une proportion importante faisaient état d'un sentiment de discrimination dans leur vie quotidienne (32% sur la couleur de peau, 27% sur le quartier, 23% sur les origines, 20,5% sur la religion...). Interrogés sur leurs critères de choix électoral, 89,5% citaient les idées du candidat (un reflet de la «norme civique», selon le chercheur) et seulement 0,8% la couleur de peau et 0,4% la religion.

«Le profil sociodémographique du candidat pèse extrêmement peu», conclut Antoine Jardin, selon qui «le fait qu’un candidat s’affiche comme musulman n’est pas perçu comme un argument en sa faveur, y compris dans l’électorat musulman». Où on rejoint la distinction entre un «vote des musulmans» et un «vote musulman»: «Les musulmans votent de manière différente de la moyenne des Français, de même que les catholiques pratiquants, souligne Jérôme Fourquet. Il y a un vote typé, mais de là à en conclure que ces électeurs sont disponibles pour une offre politique confessionnelle…»

Le chercheur note d'ailleurs que, lors de ces élections législatives, les offres purement confessionnelles n'ont pas percé. Le parti Égalité et Justice, émanation de l'AKP, le parti islamo-conservateur du président turc Recep Tayyip Erdogan, n'a réussi à dépasser les 1% que dans sept des 52 circonscriptions où il se présentait. En région parisienne, le parti Français et musulmans présentait six candidats en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne sur un programme fondé sur «une éthique musulmane en parfaite adéquation avec les valeurs républicaines»: ils ont recueilli entre 0,57% et 1,76% des voix. Ce parti constitue une scission de l'Union des démocrates musulmans français qui, aux dernières régionales, avait recueilli 0,4% des voix en Île-de-France après avoir obtenu un conseiller municipal à Bobigny l'année précédente. Si une structuration à l'avenir d'une offre politique musulmane n'est pas à exclure parmi une jeune génération où le lien avec l'islam se manifeste de manière plus intense, on est donc encore loin du scénario que fantasmait Michel Houellebecq dans son roman Soumission, celui d'une présidentielle 2022 remportée face au FN par un parti baptisé Fraternité musulmane.

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