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En Floride, une fillette de 11 ans forcée d'épouser son violeur qui l'a mise enceinte, un cas loin d'être isolé

Aux États-Unis, environ 200.000 jeunes de moins de 18 ans sont mariés chaque année, souvent pour cacher des viols passés... et futurs, car c'est l'un des seuls moyens de contourner les poursuites judiciaires liées à la majorité sexuelle de l'enfant.

Julie Gayet, Alexandre Astier et Adèle Gasparov dans 14 millions de cris, court métrage réalisé par Lisa Azuelos
Julie Gayet, Alexandre Astier et Adèle Gasparov dans 14 millions de cris, court métrage réalisé par Lisa Azuelos

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur New York Times

Plus de 700 millions de femmes en vie aujourd’hui ont été mariées de manière plus ou moins formelle avant l’âge de 18 ans. Selon l’association Filles, pas épouses, dans les pays en développement, cela représente une fille sur trois. À l'échelle de la planète, le phénomène concerne 15 millions de femmes par an. Soit une fille de moins de 18 ans mariée toutes les deux secondes.

«Les législateurs doivent comprendre que le mariage des mineurs est dévastateur au Niger et en Afghanistan –mais aussi à New-York et en Floride», écrit Nicholas Kristof (deux fois prix Pulitzer) dans les colonnes du New York Times. Aux États-Unis, le nombre de mineur-e-s marié-e-s avant l’âge de 18 ans est loin d’être aussi élevé que dans les pays en voie de développement. Mais en Floride par exemple, on atteint quand même une moyenne d’un mariage tous les deux ou trois jours.

Parmi ces jeunes épouses se trouve Sherry Johnson. En 1972, celle-ci a été mariée à l'âge de 11 ans à un membre de son église, de neuf ans son aîné, qui l’avait violée. Quand les autorités pour la protection de l’enfance commencent à enquêter au sujet de la grossesse de l’enfant, la famille décide de la marier «pour éviter les poursuites judiciaires». Nicholas Kristof raconte qu’un premier représentant de l’État refuse de célébrer l’union d’une jeune fille de 11 ans avec un homme de 20 ans. Dans la ville d’à côté, aucun problème.

Plus de la moitié des États fédéraux n’imposent pas d’âge minimum aujourd'hui. En dessous de 15 ans, l’accord d’un juge est nécessaire. En dessous de 18 ans, le consentement de l’un des deux parents suffit. Idem en France, le procureur de la République peut accorder «des dispenses d’âge pour des motifs graves» (par motifs graves, on entend le plus souvent grossesse de la future épouse) et l’un des deux parents doit donner son autorisation pour qu’un-e mineur-e puisse se marier.

Mariage des mineurs, mariages forcés et majorité sexuelle

Aux États-Unis, les opposants aux lois qui visent à relever l’âge minimum légal pour se marier estiment que cela augmenterait les naissances hors-mariage et soulignent que «beaucoup de ces unions se font dans le consentement mutuel des époux». L’association Unchained at Last n’est pas tout à fait d’accord… Pour ses représentants, c’est précisément car les enfants sont jeunes qu’ils ou elles ont peur de résister à la pression familiale. De fait, la plupart des mariages de mineur-e-s cacheraient des unions forcées.

En France, il est difficile d’établir le nombre de mariages forcés, souvent confondus avec le nombre de mariages de mineur-e-s ou avec celui des filles menacées de mariage forcé. La confusion est souvent renforcée par le fait que les mineur-e-s marié-e-s sont parfois en dessous de ce qu’on appelle la majorité sexuelle, soit l’âge minimum à partir duquel un-e adolescent-e peut avoir des relations sexuelles consenties avec un-e adulte sans que celui ou celle-ci ne soit poursuivi-e.

La majorité sexuelle est fixée par la loi française à 15 ans, les lois américaines varient entre 16 et 18 selon les États, soit plus que l’âge légal pour se marier dans la plupart des cas. Hors-mariage, on considererait donc que l’enfant n’est pas en mesure de donner son consentement, mais l’union «légalise le viol», analyse Nicholas Kristof. Et en effet, dans les différents témoignages recueillis par le journaliste du New York Times, les mineures interrogées ont souvent été mariées pour cacher un viol antérieur… et légaliser tous les viols futurs.

La question des traditions culturelles

L’article de Nicholas Kristof soulève un deuxième point de débat dont s’était déjà emparée Julie Gayet en mars 2014, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Dans un court métrage réalisé par Lisa Azuelos (LOL), on voyait son personnage marier sa fille, encore au collège.

La vidéo avait ému, mais aussi choqué. Pour la plupart des occidentaux, les mariages de mineur-e-s et les mariages forcés font partie de la culture de pays autres que le leur. Voir une petite fille blanche être mariée de force avait donc créé une polémique. Lorsque les mariages forcés aux États-Unis ou en France sont abordés, c’est souvent sous l’angle des populations immigrées, même sur les sites de l’Observatoire national des violences faites aux femmes ou d’associations qui militent contre les mariages forcés.

Dans la plupart des cas, Nicholas Kristof souligne que les juges américains n’ont pas souhaité contredire les traditions culturelles des familles qui mariaient leurs enfants mineurs. Mais en insistant sur le fait que ces mêmes traditions sont aussi invoquées par des familles américaines pour justifier les mariages de mineurs –notamment dans les familles chrétiennes très conservatrices–, le journaliste ouvre un débat important. Ce que les Occidentaux considèrent comme «des abus contre les droits de l’Homme» en Afrique ou en Asie, le tolèrent-ils sur leur territoire au nom du respect des traditions culturelles de chacun?

Mise à jour: Dans une première version de cet article, il n'était pas indiqué que le mariage de la jeune Sherry Johnson date de 1972

 

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