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Certains attentats sont-ils inévitables?

L'attentat-suicide survenu à Manchester ce 22 mai montre que le risque zéro n'existe pas.

Des policiers à Manchester, après l'attentat à la Manchester Arena, le 23 mai 2017 | Oli SCARFF / AFP
Des policiers à Manchester, après l'attentat à la Manchester Arena, le 23 mai 2017 | Oli SCARFF / AFP

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À 22h35 ce lundi 22 mai, un kamikaze s’est fait exploser devant la Manchester Arena, à la sortie d’un concert d’Ariana Grande. Il a tué 22 personnes et en a blessé 59, principalement des jeunes femmes. Cet attentat a été revendiqué en début d’après-midi le 23 mai par l’Etat islamique. Même s’il est trop tôt pour le dire dans le cas de Manchester, lorsqu’un attentat majeur se produit, l'enquête révèle souvent des défaillances  - parfois anodines - des services antiterroristes. Il peut s’agir d'erreurs humaines, d'un manque de communication entre services, de problèmes techniques, ou tout simplement de malchance.

Les frères Kouachi, responsables de l'attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, étaient surveillés par la DGSI mais la documentation sur les frères n'était pas à jour, au point de mettre sur écoute leurs parents... morts. Les infos qu’elle détenait sur Amedy Coulibaly, futur terroriste de l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015, étaient également périmées: ils ne savaient pas qu’il s’était radicalisé et qu'il était sorti de prison. Samy Amimour et Ismaël Omar Mostefaï, deux des kamikazes du Bataclan (13 novembre 2015), étaient soumis à un contrôle judiciaire et à une interdiction de sortie du territoire. Ils sont néanmoins parvenus à renouveler leurs passeports et à se rendre en Syrie; ils ne pointaient plus au commissariat depuis des mois.

Une accumulation d’erreurs

Un attentat majeur s’apparente à un «accident industriel» pour les services de l’État impliqués dans l’antiterrorisme, selon Yves Trotignon, ancien analyste de la DGSE et spécialiste du terrorisme. Plus un projet d’attentat est élaboré, plus il risque d’être découvert. Au Royaume-Uni, douzes tentatives ont été déjouées entre juin 2013 et décembre 2016. De son côté, en un an et demi, la France a déjoué une vingtaine d’attentats. Parmi les terroristes arrêtés avant de passer à l’acte, on peut citer les frères Moghestami à Fontenay-sous-Bois,  Tyler Vilius (arrêté à Istanbul), Hakim Marnissi (qui projetait un attentat contre la base navale de Toulon) et Issa Khaïev à Tours. Sans oublier Reda Kriket, arrêté en mars 2016 avec un véritable arsenal de guerre, et le tandem Clément Baur/Mahiedine Merabet, interceptés à Marseille après avoir promis un attentat pendant l’élection présidentielle. Mais de tels projets peuvent passer sous les radars si des erreurs s’accumulent.

«Il faut regarder tous les attentats majeurs qui auraient pu avoir lieu et qui ont été déjoués. Je pense à l'arrestation de Reda Kriket, qui était en possession d’une grande quantité d’armes et d’explosifs. La cellule de Strasbourg-Marseille, avec des individus armés et prêts à passer à l’acte. Lorsque des cellules terroristes se constituent, les autorités arrivent généralement à déjouer l’attentat. Il faut donc une accumulation d’erreurs des services antiterroristes pour qu’une attaque terroriste d’envergure soit menée à son terme», explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements djihadistes.

D’autres éléments peuvent compliquer la mise en place d’un attentat terroriste. Pendant longtemps, l’Union Européenne a peu encadré la vente d’armes à feu «neutralisées» qui étaient ensuite illégalement remises en fonction. Celles-ci se sont retrouvées entre les mains des terroristes qui ont commis les attentats de janvier 2015, révélait Mediapart en 2016. En mars 2017, le Parlement européen a annoncé que, d’ici fin mai, les armes «neutralisées» devraient l’être de façon définitive. A l’inverse, le Canard Enchaîné a récemment indiqué que la France tardait à encadrer la vente du peroxyde d’oxygène, qui peut servir à fabriquer l’explosif TATP, en dépit d’un règlement européen datant de janvier 2013. Toutefois, de nombreux produits permettent de fabriquer des explosifs ou des liquides inflammables.

Dans le même temps, la prévention se renforce et les villes s'adaptentle Royaume-Uni a modifié son urbanisme depuis plusieurs années pour se protéger des attaques à la voiture-bélier. Cela n’a toutefois pas empêché l’attaque à proximité du parlement à Londres, ce 22 mars 2017.

Les attaques terroristes «individuelles» plus difficiles à déjouer

Depuis 2014, l’État islamique appelle ses partisans à frapper ses ennemis sans attendre d'autres instructions. Par conséquent, un nombre croissant d’attentats sont organisés par des individus seuls, souvent «téléguidés» par un donneur d’ordres comme Rachid Kassim à Magnanville et Saint-Etienne-du-Rouvray, avec des moyens rudimentaires (généralement une voiture-bélier ou une arme blanche). Ne cherchant pas à acquérir des armes à feu ou des explosifs élaborés, ni à se rendre en Syrie, n’ayant pas nécessairement de contacts physiques avec d’autres terroristes, ils laissent moins d’indices aux enquêteurs. Ceux-ci peuvent toutefois, par exemple, infiltrer les groupes de discussion des donneurs d’ordre sur la messagerie Telegram et surveiller les «signaux faibles» de radicalisation. Mais ici aussi, la malchance peut jouer. Lorsqu’Abdelmalik Petitjean, un des auteurs de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, met en ligne une vidéo d’allégeance à l’EI, les services secrets américains la repèrent et la transfèrent à la DGSI. Mais cette dernière n'identifie pas l'invididu, car l’officier chargé du suivi de Petitjean est en vacances, d'après les informations de Mediapart.

«Les erreurs des terroristes qui permettent de les détecter apparaissent lorsque le groupe s’agrandit. C’est comme dans le domaine criminel: plus l’équipe est nombreuse pour un braquage, plus on est susceptible de l’arrêter. Les entreprises terroristes «individuelles» –en ce qui concerne le passage à l’acte– sont donc plus difficiles à détecter. Quand on a, comme avant l’attentat de Nice, un camionneur inconnu des services qui loue un camion, il n’y a rien de détectable. On n’est pas dans sa tête, on ne peut pas imaginer qu’il va foncer sur la foule. Larossi Aballa, qui était fiché et surveillé, a su cacher son jeu et dissimuler son intention de passer à l’acte. Mais il n’y a pas de système infaillible», analyse Wassim Nasr.

Faut-il renforcer les contrôles de sécurité? Ils sont nécessaires, mais ne peuvent protéger totalement. Le terroriste de Manchester n’aurait probablement pas pu rentrer dans la salle avec sa bombe, mais il s’est fait exploser à l’extérieur. Ce problème se pose pour tous les lieux soumis à des contrôles (salles de concerts, stades, aéroports, certaines gares): on ne peut pas protéger les personnes qui sont du mauvais côté du dispositif de sécurité, lequel n’est pas infranchissable non plus. Le renseignement reste donc le «nerf de la guerre». 

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