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Que veut Poutine?

Après l'attentat de Manchester, revendiqué par l'EI, le président russe s'est déclaré «prêt à développer la coopération antiterroriste avec les partenaires britanniques au niveau bilatéral tout comme dans le cadre des efforts internationaux».

Odd ANDERSEN / AFP
Odd ANDERSEN / AFP

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Vladimir Poutine a «fermement condamné ce crime cynique et inhumain», après l’attentat de Manchester. C’est normal, c’est la routine diplomatique, ce qui n’enlève rien à la sincérité du propos. Après les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York, le président russe avait été le premier à présenter ses condoléances au peuple américain.

Mais la politique n’est jamais loin. Dans le même communiqué adressé à Theresa May, il s’est déclaré «prêt à développer la coopération antiterroriste avec les partenaires britanniques au niveau bilatéral tout comme dans le cadre des efforts internationaux». À travers cette offre perce un regret qu’un responsable russe s’est senti plus libre d’exprimer: l’attentat de Manchester est une «leçon» pour les services britanniques qui refusent de coopérer avec leurs collègues russes, a déploré Viktor Ozerov, président de la Commission de la défense du Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement. Il rappelle que le chef du Kremlin plaide pour «un front uni contre le terrorisme avec des règles uniformes et exempt du principe deux poids deux mesures».

Ces réserves illustrent le mécontentement des dirigeants russes face à ce qu’ils considèrent comme un double jeu des Occidentaux qui d’une part condamnent le terrorisme quand ils en sont les victimes, mais d’autre part soutiennent directement ou indirectement des groupes considérés par Moscou comme terroristes, quand ceux-ci s’opposent à la politique russe, notamment en Syrie.

Faure face au terrorisme

Vladimir Poutine a deux raisons d’invoquer une coopération internationale accrue, une raison pratique et une raison politique.

La raison pratique tient au fait que la Russie elle-même a été frappée par des attaques terroristes au cours des dernières années. La menace est d’abord venue du Caucase, dans les années 1990, à l’occasion de la guerre en Tchétchénie. Arrivé au pouvoir en 1999 à la faveur de la deuxième guerre de Tchétchénie, Vladimir Poutine avait promis de poursuivre «les terroristes jusque dans les chiottes». Il a tenu parole, a chassé les indépendantistes et porté au pouvoir la famille Kadyrov. Ramzan Kadyrov a imposé la charia en Tchétchénie, ce qui pourrait apparaitre comme contradictoire avec la lutte contre l’islamisme mais, petite main des basses œuvres du Kremlin – il ne serait pas étranger à l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov en 2015, il est intouchable. Un terrorisme «de basse intensité» existe toujours dans d’autres républiques caucasiennes de la Fédération de Russie.

Toutefois ce qui inquiète par-dessus tout les autorités, ce sont les quelque 4.000 ressortissants russes et 5.000 citoyens des autres ex-républiques de l’Union soviétique qui ont rejoint Daech en Irak et en Syrie et qui pourraient revenir pour perpétrer des attentats. L’explosion d’une bombe dans le métro de Saint- Pétersbourg, en avril dernier, qui a fait quinze morts, a été attribuée à un Kazakh. En 2015, la Russie avait été touchée par la destruction, revendiquée par Daech, d’un Airbus qui ramenait des touristes russes du Sinaï (224 victimes).

Double jeu

Une coordination des services de sécurité et de renseignements pour tenter de prévenir des attentats est donc dans l’intérêt bien compris de Moscou. L’intérêt est aussi politique mais c’est là que le bât blesse. Depuis le début de la lutte contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie, Vladimir Poutine a manifesté sa volonté d’être partie prenante de la coalition internationale. La réponse des Occidentaux, Américains et Européens, a été pour le moins tiède. Ils reprochaient à la Russie de soutenir Bachar el-Assad qu’ils considéraient à la fois comme un danger pour son propre peuple et comme co-responsable du développement du radicalisme islamique.

A partir de l’automne 2015, la Russie est intervenue massivement en Syrie et a tenté d’imposer sa présence dans la coalition internationale composée des Occidentaux et de quelques Etats sunnites de la région. La coopération s’est faite a minima. Un accord dit de «déconfliction» a été passé entre la Russie et la coalition pour éviter des incidents entre les forces de deux parties. Mais une coordination plus poussée a échoué. Personne n’était d’accord sur la définition des groupes «terroristes», le Kremlin ayant tendance à y englober tous les opposants à Bachar el-Assad et les Occidentaux reprochant à l’aviation russe de bombarder leurs alliés plutôt que Daech.

Le discours entendu à Moscou n’est pas très différent de celui tenu, par exemple, à Paris. «En étant présent militairement loin de notre terre natale nous contribuons directement à la sécurité de la Fédération de Russie», déclare Vladimir Poutine. La lutte contre le terrorisme est à l’ordre du jour de sa rencontre avec Emmanuel Macron, le 29 mai à Versailles. Aujourd’hui, la coopération avec la Russie butte moins sur la liste des groupes considérés comme terroristes –tous ont subi de lourdes pertes à la suite des offensives russes et iraniennes qui ont conforté le pouvoir d’Assad et Daech est en recul sur tout son territoire–, que sur les alliances des uns et des autres.

Vladimir Poutine a coutume de dénoncer «les armées de terroristes» qui reçoivent «un soutien à la fois implicite et ouvert de la part de certains pays». Sont visés notamment l’Arabie saoudite et le Qatar. Les Occidentaux pour leur part se méfient des agissements des Iraniens et de leurs milices affiliées, tel le Hezbollah. Les discours tenus par Donald Trump au cours de sa visite au Moyen-Orient ne vont rien arranger. Il a retissé les liens avec les monarchies sunnites distendus pendant la présidence de Barack Obama et accusé pêle-mêle l’Iran et les terroristes d’être responsables de la déstabilisation de la région. Loin de permettre une coordination internationale de la lutte contre le terrorisme, ces alliances apparemment contradictoires, renforcent les antagonismes entre chiites et sunnites, entre l’Iran d’une part, les pays du Golfe et… Israël, d’autre part. Elles font monter les tensions au lieu de les apaiser.

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