France

«On fait comme si les Roms étaient des citoyens qui n’existaient pas»

Il semble loin le temps où cette communauté était montrée du doigt par Nicolas Sarkozy à des fins électoralistes. Si les Roms sont aujourd'hui loin des projecteurs, leur situation ne s'est guère améliorée.

Photo prise dans le local de l'association Les enfants du canal. Crédit: Aude Lorriaux
Photo prise dans le local de l'association Les enfants du canal. Crédit: Aude Lorriaux

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Nous sommes en juillet 2010. Le président Nicolas Sarkozy annonce l’évacuation de près de 300 terrains occupés par des Roms et des gens du voyage. La campagne pour sa réelection à l'Élysée a commencé, analysent certains commentateurs. Deux ans plus tard, le sujet sature l’espace, les deux favoris croisant le fer sur le sujet par voie médiatique interposée. «Il faut fermer les camps de Roms insalubres», demande François Hollande, comme une réponse au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy.

Cinq années plus tard, c’est l’inverse: le sujet a disparu des discours et promesses des candidats à la présidentielle. Il a été en partie remplacé par un débat sur «l’islamisme» et le terrorisme –les attentats de 2015 sont passés par là. Et encore, beaucoup moins que ne le prédisaient ceux qui promettaient une campagne axée sur «l’identité».

Les problèmes des habitants des bidonvilles –ou de ceux qui en sont à peine sortis– ont continué, quant à eux. Nous avons rencontré Elena Adela au local des Enfants du canal, une association née dans la foulée de l’occupation du Canal Saint-Martin par l’acteur Augustin Legrand, qui y avait planté des tentes pour les SDF vivant là. Elena a 21 ans et vit sur un terrain à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Quand on lui demande comment elle voit sa situation actuelle, si elle se sent bien ou pas là où elle habite, elle n’ose pas immédiatement se plaindre. Elle a quelques difficultés à s’exprimer en français, et une certaine timidité. Elle lâche en haussant les épaules et en baissant les yeux un «Ça va...» Plus tard, quand on lui demandera de décrire ses conditions de vie, elle finira par dire le «stress d’être expulsée», et le «stress qu’il arrive quelque chose aux enfants», dans ce bidonville de tous les dangers, où traînent bris de verre et ferraille.

Adem (son prénom a été changé), 19 ans, a connu quant à lui cinq bidonvilles différents depuis 2008. L'hôtel qu’il occupe depuis avril lui convient très bien: «C’est mieux que le bidonville, tu n’as pas froid, tu as la douche», lâche-t-il.

Xénophobie banalisée

Entre 15.000 et 20.000 personnes continuent de vivre en bidonville, et on pourrait penser si l’on se penche sur les sujets qui ont dominé la campagne que les candidats s’en moquent. Les responsables associatifs, eux, en sont arrivés à être presque soulagés que le sujet n’ait pas été mentionné.

«Quand on en parle de façon négative et que cela alimente des clichés, mieux vaut ne pas en parler. Mais le fait de ne pas en parler n’a pas mis de pression pour améliorer les problèmes et la réflexion», déplore le sociologue Olivier Peyroux.

En 2012, la polémique lancée avait eu pour effet d’obliger François Hollande à se positionner. Il s’était engagé à ne pas expulser ces populations sans leur trouver de solutions de relogement, une promesse qui avait abouti à la circulaire du 26 août 2012, qui oblige à effectuer un diagnostic social avant une expulsion.

En 2017, les hommes et femmes politiques ont à peu près laissé les Roms tranquilles, mais la romaphobie n’a pas disparu pendant la campagne présidentielle. Elle est devenue banale, une présence discrète et qui ne faiblit pas ou peu, à l’image du film À bras ouverts, qui présente les Roms comme des voleurs, menteurs, des gens sales et irrespectueux. «Racisme à doses allopathiques», comme dit Le Monde. «Inacceptable» ce film qui représente les Roms comme des «sous-hommes», alertait Slate.

Extrait de l'affiche du film À bras ouverts, «racisme à doses allopathiques» selon Le Monde.

En janvier, l’humoriste Jean-François Cayrey, qui assurait la première partie de Dany Boon à l’Olympia, s’en prenait lui aussi à cette minorité, avec un sketch sur une jeune fille cherchant à lui voler son argent. Seul Le Parisien s’en est ému…

«Je m’en bats les couilles des Roumains»

 

67% des Français pensent que les Roms sont un groupe «à part», très largement au dessus de la même perception vis-à-vis des musulmans (38%) ou des noirs (12%). Et 55% pensent qu’ils ne veulent pas s’intégrer en France, selon un rapport de la CNCDH d’octobre 2016, qui conclut qu’il s’agit de la minorité la plus stigmatisée du pays.

Razvan a lui aussi expérimenté ce qu’il appelle du «racisme». Avec ses mains, le jeune homme de 23 ans, également employé en service civique par Les Enfants du canal, caresse la petite vierge en plastique blanc qui pend à son cou. Puis lâche, sans colère ni haine, mais d’une parole d’où pointe la blessure, que le responsable de l'hôtel où il vit est «un grand raciste»:

«Une fois, mon enfant a fait tomber un gâteau. C’était juste un gâteau... Le responsable a parlé très fort. Il a dit: “Je m’en bats les couilles des Roumains”. Il est entré dans ma chambre alors qu’il n’a pas le droit et il a crié. Et maintenant il me regarde comme un chien.»

Razvan, au local des Enfants du canal, mercredi 17 mai.

Débrouille économique

Si certains Roms mendient parfois, si certains Roms, allez, disons-le, volent peut-être parfois (comme d’autres pauvres le font), si certains Roms ne se lavent pas tous les jours (comme beaucoup de gens), ce n’est pas parce qu’ils sont par nature des voleurs, par nature des mendiants, par nature des gens sales, mais parce que la situation de cette minorité est dramatique, comme le montre un récent rapport de l’association Trajectoires, première étude quantitative sur cette population, qui a pu observer le parcours de près de 900 personnes:

«Pour les plus fragiles ou les personnes les plus éloignées de l’emploi qui représentent la majorité de notre échantillon, sans formation ni compétences particulières, l’accès direct au marché de l’emploi “ordinaire” est rare. (...)  Les dispositifs spécifiques ou dédiés mis en place pour résorber les bidonvilles touchent peu ce public en raison de critères de sélection basés sur un niveau de qualification et de français relativement élevé. “Faire de l’argent” devient l’objectif principal, il est alors difficile pour ces personnes de se projeter dans autre chose que des activités de débrouille économique.»

Les problèmes qui pourraient aider cette minorité n’ont pas été résolus, loin de là. Par exemple, avoir une adresse. Sans logement fixe, il faudrait pouvoir se tourner facilement vers une association ou une structure qui pourrait en fournir une, de manière à recevoir au moins le courrier nécessaire aux premières démarches. Or, près d’un quart des habitants des bidonvilles n’ont aucune domiciliation.

Infographie extraite du rapport 20 propositions pour une politique d’inclusion des personnes vivant en bidonvilles et en squats du CNDH Romeurope.

Les obstacles à l’inscription à l’école

Pour s’en sortir lorsque l’on naît dans un bidonville, et dans une société qui demande toujours plus de diplômes, il faut aller à l’école. Mais comment aller à l’école lorsque les expulsions se répètent, renvoyant les populations à parfois deux ou trois heures de distance?

Durant les trois premiers mois de l’année 2017, près de 1.400 personnes vivant dans 15 bidonvilles ont été expulsées de force par les autorités publiques, recense un rapport à paraître de la Ligue des droits de l’homme. En avril et en mai, au moins 1.000 personnes ont été expulsées, selon un décompte des plus grosses expulsions effectuée pour Slate par Manon Fillonneau, déléguée générale du Collectif national droits de l’homme Romeurope.

Parfois ce ne sont pas les expulsions, mais les autorités locales elles-mêmes qui se posent en obstacle à la scolarisation, quand bien même la convention européenne des droits de l’homme précise que «nul ne peut se voir refuser l’accès à l’instruction». C’est ce qui s’est passé par exemple mi-février à Prémesques, dans la métropole lilloise. «On n'est pas franchement favorable, ça c'est certain, parce qu'aujourd'hui, il y a une procédure judiciaire qui est en cours et on attend d'avoir les résultats de cette procédure pour savoir s'il vaut la peine ou non d'inscrire ces enfants», s’est justifié Pascale Alliot, l'adjointe (LR) au maire de Prémesques, selon France 3.

Résultat: le taux de scolarisation des enfants en âge d’être scolarisés –6 à 16 ans– est de seulement 49 %, selon l’étude Trajectoires. 30 % d’enfants n’ont même jamais été scolarisés.


«Comme si c’était des citoyens qui n’existaient pas»

Pour les habitants qui réussissent à décrocher un hôtel après une expulsion, la situation n’est pas forcément beaucoup plus rose. Razvan résume sa vie en hôtel depuis 2014: «La TV marche pas, le frigo marche pas, le chauffage marche pas… la douche est froide, je tombe malade.» Souriant dans sa chemise rose pétante, il se dit heureux de la mission qu’il a décrochée grâce aux Enfants du canal, mais aimerait sortir de la petite chambre de 9 mètres carré dans laquelle il vit depuis des mois avec sa femme et ses deux enfants de 19 et 6 mois.

«Il n’y a pas eu de véritable changement dans les derniers six mois. On fait comme si c’était des citoyens qui n’existaient pas, il n’y a quasiment jamais de réponse quand il y a des signalements, ils continuent à être massivement ignorés dans leur droits. Et les préfectures ont continué à démanteler et à expulser des bidonvilles», constate Olivier Peyroux.

Un bon point cependant: en janvier a été votée la loi Égalité et citoyenneté, qui permet aux personnes vivant en bidonville ou en tente de jouir des mêmes droits que les locataires, et de bénéficier de la trêve hivernale.

Il reste tellement de choses à faire, disent en chœur les associations, qui ont rendu publiques en février 20 propositions «pour une politique d’inclusion des personnes vivant en bidonvilles et en squats». Le sujet n’a jamais vraiment été évoqué par le nouveau président de la République, Emmanuel Macron. Mais il a promis un jour en mars, en discutant dans un café des Yvelines avec des habitants, d’aller rencontrer des enfants roms déscolarisés. Ce serait déjà un début.

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