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Voici les quatre grandes leçons qu'il fallait retenir du succès de la vidéo «2 girls 1 cup»

Il a suffi d'une minute de porno-scatophile en 2007 pour que la toile s'emballe et pour que la popularité des vidéos «en réaction à d'autres vidéos» explose. Dix ans plus tard, internet fait le bilan des leçons à retenir de ce phénomène.

La réaction de la grand-mère d'une internaute à la vue de la vidéo 2 girls 1 cup
La réaction de la grand-mère d'une internaute à la vue de la vidéo 2 girls 1 cup

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur Mel Magazine

En tête de l'article, juste en dessous du nom de l’auteur, le temps de lecture. 18 minutes. Dix-huit minutes (écrit en toutes lettres, c’est encore plus long) sur la viralité de la vidéo porno-scatophile (scatovore?) «2 girls 1 cup» –cliquez sur le lien pour plus de détails. Comptez environ cinq minutes de plus (soit le temps qu’il vous faudra pour lire ce qui suit) pour la traduction de certains termes spécifiques et prévoyez un dictionnaire pour mieux comprendre ce que sont la paraphilie et la coprophagie.

Nom de pornographie (en français dans le texte) est l’une des seules expressions pour laquelle vous n’aurez pas besoin d’être bilingue pour comprendre de quoi il s’agit. L’enquête s’est visiblement étalée sur au moins un mois et vu la précision de la documentation, l’historique de recherche de l’auteur doit valoir son pesant d’or.

Miles Klee, un «romancier homme blanc» comme il se présente sur son compte Twitter, a donc écrit une (longue) enquête sur la célèbre vidéo pour MEL Magazine. Un magazine qui «parle de sexe, de relations, de santé, d’argent et de culture, d’un point de vue masculin [...] même s'[ils] ne sont pas toujours sûrs de ce que cela veut dire».

Effectivement, difficile de savoir ce que cela veut dire d’enquêter d’un point de vue masculin sur cette vidéo. Et l’auteur se garde assez bien de le faire, en préférant les témoignages à son analyse personnelle de son contenu. En bref, Miles Klee montre que cette vidéo porno-scatophile d’une minute peut être un prisme intéressant pour analyser nos comportements sur internet. Sa technique a l’avantage de tirer quatre grandes leçons sur la viralité de cette bande-annonce.

1.Les réactions prévalent de plus en plus sur le contenu même

Les réactions prévalent de plus en plus sur le contenu. C’est en 2006 que le phénomène des vidéos «en réaction à d'autres vidéos a émergé». Les gamers ont commencé à filmer d’autres gamers qu’ils piégeaient en insérant des images effrayantes au milieu d’un jeu pour les déconcentrer. Mais c’est avec «2 girls 1 cup» que la pratique a explosé. Explosion des vues sur YouTube et donc explosion du chiffres d’affaire du diffuseur.

«En 2007, le web était à un point charnière de son existence (la rencontre entre les contenus déjà en ligne et les réseaux sociaux) et les frontières de ce nouveau monde étaient enivrantes [...]. Pour ceux qui n’ont pas vu la vidéo poussés par la pression sociale ou piégés par des amis, ce sont les réactions qui les ont finalement conduits à cliquer nerveusement sur le lien original. Aujourd’hui, les réactions sont devenues un “genre” à part entière dans le système économique de YouTube.»

2.Il peut exister une place pour les pratiques auxquelles on répugne collectivement

Les internautes se réunissent et se filment collectivement en train de regarder la vidéo. La pornographie sort ainsi de la sphère de l'intime pour intégrer la sphère sociale. La vidéo devient «un rite de passage» et son existence même n’est pas remise en question.

Les internautes acceptent de regarder collectivement «2 girls 1 cup» et se conforment ainsi à la norme qui consiste à répugner collectivement la pratique (manger ses excréments), au nom des mœurs. Mais en même temps, le fait de la regarder inscrit la vidéo dans la mise en pratique du premier amendement de la Constitution américaine: la liberté d’expression, le libre-arbitre.

«Je ne vais pas blâmer les gens qui se réunissent pour la regarder –on se confronte à cet art, si tant est qu’on parle ici d’art, et on se l’approprie. “Les gens ne reconnaissent pas qu’ils regardent ce genre de film, explique le réalisateur porno Ira Isaacs, mais tous sont d’accord sur la légitimité du premier amendement”.»

3.La niche porno et le narcissisme ont explosé

Les vidéos de réactions mettent un visage sur le paradoxe de l’être humain: quand on lui conseille de «ne pas googler “2 girls 1 cup”», sa première réaction est de le faire quand même, c’est un «challenge». «On le regarde pour s’assurer que ce n’est pas ce à quoi ça ressemble», explique Miles Klee.

«Alors que personne ne veut admettre qu’on regarde des vidéos erotico-scatophile en privé, pourquoi est-ce qu’on se filme quand on le fait collectivement? [...] Cette pratique est essentielle du point de vue anthropologique, elle révèle l’explosion de la niche du porno et l’augmentation du désir de tourner la caméra vers soi, typique de l’apogée de la période Myspace.»

4.La guerre de l'attention est déclarée

«2 girls 1 cup» est un phénomène unique… qui aura sans doute des petits frères et soeurs. Si la vidéo a eu autant de succès, c’est en partie car, pour la première fois, le porno-scatophile a commencé à être normalisé. Peut-être pas au point d’être utilisé par les communicants (Coca-Cola en avait d’ailleurs fait les frais). Mais en tout cas assez pour que, comparé à d’autres vidéos très violentes (dans d’autres registres: suicides et meurtres en direct sur Facebook Live, décapitations par des djihadistes), «2 girls 1 cup» ait l’air d’un «spectacle secondaire».

La vidéo en est-elle moins choquante? Pas forcément, nous dit Miles Klee. Mais la réaction qu’elle provoquerait en 2017 ne serait pas la même qu’il y a dix ans. Aujourd’hui, il suffit d’un mois pour battre le record du monde du nombre de retweets. «2 girls 1 cup» est sortie au bon moment: la vidéo a profité d’une époque propice à l’inflation de «la vraie monnaie d’internet: l’attention».

Un buzz qui durerait plusieurs mois, voire plusieurs années dans le cas de «2 girls 1 cup», est donc peu probable. A moins que...

«Nous sommes proches d’un réveil du genre: réfléchissez par exemple au potentiel étincelant de la légende selon laquelle il existe une “pee-tape” de Trump.»

Après une semaine de révélations sur les disfonctionnements de l'administration Trump, les internautes attendent en effet avec impatience la sortie de la présumée «pee-tape» du président des États-Unis, qu'on ne saurait traduire par autre chose que l'équivalent urinaire d'une sexe-tape. 

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