Parents & enfants

Les profs vont-ils aimer le nouveau ministre de l'Éducation nationale?

Les professeurs n'ont pas un a priori très positif sur Jean-Michel Blanquer.

Jean-Michel Blanquer le 24 janvier 2012, au ministère de l'Education | Thomas SAMSON / AFP
Jean-Michel Blanquer le 24 janvier 2012, au ministère de l'Education | Thomas SAMSON / AFP

Temps de lecture: 6 minutes

Il s’appelle Jean-Michel Blanquer. Vous ne connaissez peut-être pas son nom mais, à l’Éducation nationale, tout le monde sait parfaitement qui il est. Les premières réactions que j’ai lues étaient assez dures.

Jean-Michel Blanquer était directeur d’une grande école de commerce, l’ESSEC, jusqu’à aujourd’hui, et occupait ce poste depuis l’élection de François Hollande. Auparavant, il fut recteur (de la Guyane et de l’académie de Créteil) et, surtout, il fut Degesco –l'affreux sigle pour direction générale de l’enseignement scolaire– sous Nicolas Sarkozy. Il n’est donc ni de gauche, ni de gauche.

Le «Degesco» c’est le numéro deux du ministère, l’homme des dossiers qui met en musique les réformes du ministre. C’est toujours quelqu’un qui connaît infiniment mieux l’Éducation nationale que la personnalité politique qui verra son portrait ajouté à celui de ses prédécesseurs dans le grand escalier du ministère en partant, c’est même parfois un ancien enseignant.

L'universitaire Blanquer

Jean-Michel Blanquer, lui, est universitaire. Il connaît parfaitement la machine éducation. En soi, en ce qui me concerne, c’est tout de même très rassurant. Il a fréquenté les syndicats, les instances de décisions et sait parfaitement comment fonctionne le ministère ainsi que les rectorats. Comme le remarque un enseignant:

 «Ça change un ministre qui connait ses dossiers. La maison.»

Pour le reste, ses convictions sur l’école ont été énoncées et expliquées dans plusieurs ouvrages, le dernier au titre prémonitoire: L’École de demain, paru à l’automne dernier. On pouvait y lire à la fois un plaidoyer pro domo «quel bon ministre je ferai(s)» et une véritable pensée pour une action politique future dont le ton se voulait dépassionné. Exactement le même ton que une tribune du Point du 9 mai (il a continué de causer école dans l’hebdo ces quatre dernières années):

«La France a tous les atouts pour trouver une troisième voie qui sache allier le meilleur de la tradition et le meilleur de la modernité. En effet, le cartésianisme et la créativité sont deux caractéristiques qu’on peut reconnaître à notre pays, dont l’alliage peut donner le meilleur métal éducatif. Et, de fait, les pays qui réussissent cela sont en train de faire la différence.»

Presque un discours de ministre!

De retour rue de Grenelle où il n’a pas laissé que de bons souvenirs. Ce qu'explique Francette Popineau, porte-parole du SNUIPP, principal syndicat du premier degré:

«Les suppressions massives de postes, la suppression des enseignants spécialisés (RASED) à l’école élémentaire, la suppression de la formation de l’ère Sarkozy ont été une catastrophe.»

Même son de cloche au SNES, pour le second degré, avec Frédérique Rolet:

«À Créteil, il n’a pas forcément laissé un bon souvenir, il imposait ses idées. Des idées libérales en faveur de l’autonomie. Et une certaine vision de la méritocratie républicaine incarnée par les internats d’excellence, une vision qui laisserait de coté les plus faibles.»

Les deux syndicalistes sont pourtant d’accord, il agira peut-être différemment quand il sera ministre, «c’est quelqu’un d’assez autoritaire à mes yeux mais le fait d’être ministre va peut-être apaiser sa manière de faire», précise Frédérique Rolet. «Sans doute, il a pu s’apercevoir que les mesures prises par les gouvernements de Nicolas Sarkozy n’ont pas donnés de bon résultats», ajoute Francette Popineau qui se veut optimiste pour les négociation à venir.

Et que pense le nouveau ministre?

De ce que j'ai compris de mes lectures, il est convaincu qu'à l’école, tout se joue à l’école primaire (c’est la maternelle et l’école élémentaire). Le nouveau ministre écrivait dans son dernier ouvrage que c’était le fait que l’enseignant s’assure que chaque élève était bien au point sur ses apprentissages, tout au long de l'année et que cela avait plus d'importance que la taille des classes. Et pour étayer son propos, Jean-Michel Blanquer utilise beaucoup d'études scientifiques internationales, c'est très central dans son livre.

Jean-Michel Blanquer rappelle également très souvent qu'il a mis en place «la mallette des parents» à l’époque où il était recteur à Créteil. Il est toujours militant de ce dispositif qui vise à rapprocher les parents de l’école, à rendre ses attendus plus clairs et à faciliter un climat de confiance.

Enfin, l’ancien Degesco expliquait dans son ouvrage à quel point l’expérimentation locale est importante. Pour détailler à quoi cela peut ressembler, on peut se référer à l’expérimentation pédogogique de Céline Alvarez à Gennevilliers qu’il a soutenue à l’époque et dont on a beaucoup entendu parler depuis. Il a également soutenu les micro-lycées, des structures publiques alternatives dont l'objectif est de d'emmener des élèves décrocheurs jusqu'au bac. Ils se sont multipliés par la suite. 

Monsieur évaluation

Et, dans tout cela, qu’est-ce qui choque les enseignants ou du moins les enseignants qui s’expriment aujourd’hui et sont plutôt méfiants? L’idée toujours présente qu’il faut évaluer chaque dispositif, chaque établissement, l’ensemble des élèves. En arrivant rue de Grenelle, Vincent Peillon avait mis fin à l’évaluation nationale des élèves de CE1 et CM2. Alors que Jean-Michel Blanquer pense que c’est un bon outil pour évaluer les écoles. D’une manière générale, le ministre a, par le passé, prôné l’évaluation des établissements en fonction des résultats des élèves.

Cette «évaluationnite» est toujours contestée. Par exemple, quand le Café Pédagogique, site d’information quotidien qui s’adresse aux enseignants, commente le livre de J.M Blanquer, ce point est largement commenté:

«Jean-Michel Blanquer met ainsi en avant les évaluations en CE1 et CM2 qu'il avait imposées quand il était directeur de la Dgesco. On sait maintenant que l'idée venait de N Sarkozy lui-même qui souhaitait ainsi évaluer les enseignants. JM Blanquer continue à estimer ces évaluations  scientifiques, ce qui a été fort contesté à l'époque par la Depp d'abord, puis par le HCE. On comprend que JM Blanquer tienne à ce dispositif. Mais en lui attribuant un caractère “scientifique”, il atténue fortement la portée scientifique de ses autres affirmations.»

Et, lors de notre conversation, Frédérique Rolet en remet une louche:

«C’est du scientisme à mes yeux; l’idée qu’on peut tout évaluer avec des indicateurs et tout comparer me paraît illusoire mais c’est bien la sienne – frénésie. Et puis ces évaluations: de classer, comparer les écoles établissements rendent les parents anxieux.»

Monsieur autonomie

Au cœur de la doxa Blanquer, qui rejoint tout à fait le programme de Macron, l’idée que l’autonomie permettra forcément aux établissements scolaires de mieux fonctionner. Mais, derrière cette autonomie, il y a le serpent de mer de l’annualisation du temps, recrutement sur profil par la direction. Ces idées ne plaisaient pas beaucoup aux professeurs des écoles et à leur principal syndicat, le SNIUPP et à Francette Popineau:

«On voit bien à travers ses écrits qu’il est sur l’idée d’une école méritante. Nous les évaluations par établissements nous semble mortifère… ça favorise le bachotage, l’esprit de compétition mais pas la véritable réussite!»

D’autres peurs se font jour, comme celle de voir disparaître des réformes mises en place par la «Refondation», soit la grande loi voulue par Vincent Peillon pour transformer l'école et votée en 2013. C'est Najat Vallaud-Belkacem qui a ensuite mis en musique et défendu cette «Refondation». Aux yeux des observateurs, qu'on n'a pas entendu beaucoup avant les élections, certaines de ces réformes commençaient à porter leurs fruits, explique Francette Popineau:

«Nous avons aujourd’hui peur pour le dispositif plus de maitres que de classes mis en place par Vincent Peillon qui nous semble efficace et dont la suppression semble prévu malgré un plébiscite des enseignants. Une grande évaluation est prévue pour 2019 il serait vraiment dommageable de tout arrêter à la rentrée.»

Une autre peur est celle de voir l'équipe précédente revenir aux manettes, ce que confie un universitaire spécialiste des questions éducatives, juste après la passation de pouvoir:

«Jean-Michel Blanquer était déjà entouré de l'ancienne équipe des cabinets Darcos et Chatel (ministres de l'Education sous Sarkozy), super renouvellement! Il y avait un vrai espoir de changement avec En Marche, et voir que ça commence comme ça: retrouver le clan éducation de Sarkozy? Je suis inquiet.»

Monsieur expérimentation

Quant à son amour de l’expérimentation, il ne plaît pas à tout le monde, car il porte aussi une vision du monde… de droite, comme l’explique une professeure bien à gauche, Laurence De Cock:

«Il va falloir être très vigilants sur la transformation du métier et la vision de l'école publique qui en découle. Blanquer a développé dans son livre son appétit pour l'encouragement à l'innovation et l'individualisation des apprentissages. Ces réformes sont susceptibles de faire oublier les enjeux plus sociologiques de redistribution des richesses et de mixité et justice sociales. D'une manière générale, les expérimentations pédagogiques basées sur l'"efficacité " et les recherches en psychologie cognitive portent une vision de l'école comme fabrique de l'acteur économique plus que du citoyen lié socialement à un projet collectif et promeut un métier d'enseignant animé par la quête de la réussite rétribuée.»

Lors de sa passation de mercredi a déclarer qu’il fallait "libérer les énergies". Il a également évoqué la confiance qui devra régner au sein de son ministère, évoqué l’excellence mais aussi le bonheur, le bonheur d’aller à l’école.

Excellence, confiance, bonheur, c’est tout ce que nous pouvons collectivement nous souhaiter, mais à les lire, les entendre, les enseignants sont déjà vigilants. Emmanuel Macron a beaucoup promis sur l'éducation, les profs n'ont pas été tendres avec la gauche, ils n'auront aucune raison d'être indulgents avec ce nouveau ministre.

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