France

Emmanuel Macron et Edouard Philippe construisent l’opposition de gauche

Emmanuel Macron élu et son Premier ministre Edouard Philippe nommé, le système partisan de la Ve République apparaît en voie d’effondrement, nous assistons à une mutation plus ou moins rapide des différentes familles politiques. La gauche ne fait pas exception.

Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, en 2016 et 2017, à Paris | JOEL SAGET, ERIC PIERMONT / AFP
Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, en 2016 et 2017, à Paris | JOEL SAGET, ERIC PIERMONT / AFP

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Léon Trotski disait que «la révolution avance sous les coups de fouet de la contre-révolution». Emmanuel Macron, élu président de la République après avoir été ministre de François Hollande, a nommé Edouard Philippe, proche d’Alain Juppé, membre de l’UMP et de LR, successeur du très chiraquien Antoine Rufenacht à la mairie du Havre. Chacun incarne, à sa manière, les élites du pouvoir de la Ve République, issues de sa technostructure et partageant les grandes orientations du régime. En première ligne dans son sauvetage, ils sont aussi ceux qui, sous les coups de fouet de la politique qu’ils entendent mener, peuvent sauver la gauche de la déroute et faire avancer la gauche d’après. Insoumis, écologistes, communistes et socialistes, tous peuvent profiter du front ouvert par Emmanuel Macron à droite de l’échiquier politique.

À l’issue du quinquennat de François Hollande, le Parti socialiste (PS), hégémonique voici cinq ans, est en voie de relégation. Ses défaites successives, la dénationalisation de sa présence, le vieillissement de ses cadres ont amené le parti d’Epinay, celui qui porta François Mitterrand à la présidence de la République, ont amené le PS aux porte d’un enfer électoral et politique. Cette élection marque la fin son hégémonie sur la gauche. Sa marginalisation est certes envisageable sur le modèle de ce qui fut celle du Parti radical après 1958, mais le choix délibéré d’un Premier ministre de droite peut lui fournir l’oxygène politique nécessaire à sa survie électorale et politique dans les semaines à venir.

La carte électorale redéfinie

À court terme en effet, la nomination du nouveau Premier ministre peut mettre un terme au désordre apparent au sein de l’appareil socialiste et servir de boussole à son électorat alors que s’engage la campagne pour les législatives. La campagne du PS avancera probablement plus facilement sous les coups de fouet de la (contre) «révolution» macronienne, dont le chef de la majorité parlementaire espérée est bel et bien un homme de droite et, de son aveu même, «plus libéral» que son mentor Alain Juppé. D’autres réalités sont apparues au cours des tout derniers mois. Pendant cette campagne, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ont redessiné la carte électorale, non seulement de la gauche française mais du pays dans son ensemble, tandis que Benoît Hamon, propulsé à la candidature socialiste par une fronde de l’électorat de gauche contre ses propres dirigeants, engageait l’aggiornamento de la social-démocratie française.

À plus long terme, au-delà des prochaines élections législatives, les conditions de la construction d’un nouveau sujet politique sont apparues et révèlent les fondations possibles d’une stratégie de conquête électorale, mais aussi de l’hégémonie à partir de la gauche. Les faits sont là. Plus de 7 millions d’électeurs ont porté leurs voix sur la candidature de Jean-Luc Mélenchon tandis que 2,3 millions d’électeurs portaient leurs suffrages sur la candidature de Benoît Hamon. Étudiants pour Jean-Luc Mélenchon, jeunes diplômés précarisés pour Benoît Hamon constituent le noyau de cette coalition électorale en devenir. La crise, frappant cas catégories jusqu’alors relativement épargnées, a fait éclater le noyau électoral de la social-démocratie des idéopôles et fourni les clés d’une jonction avec des secteurs populaires séduits par la campagne de Jean-Luc Mélenchon et par le versant contestataire de gauche des politiques inspirées par le consensus économique au sein de l’Union européenne. Un front électoral décisif au cœur des métropoles s’est ouvert où elle se trouve en concurrence directe avec le mouvement du nouveau président de la République.

La question de l’égalité apparait déterminante dans la construction politique de la gauche d’après.

Une gauche à organiser

Le président Macron a délibérément décidé de laisser à la gauche, dans sa diversité, le temps de se retourner. Passé le charme exercé par l’ancien ministre sur les plus sociaux-libéraux des responsables du PS, c’est en effet le cœur du projet politique macronien qui se trouve clairement identifié, révélé, mis en lumière, incarné par la seule personnalité du Premier ministre et des membres de son cabinet.

Si l’on regarde la carte électorale, seule une gauche organisée est véritablement de nature à devenir une opposition susceptible de gagner. Elle est électoralement présente sur tous les territoires d’élection du macronisme, dans la France «optimiste» de l’Ouest, dans les métropoles, dans le Sud-Ouest. La France insoumise a, de surcroit, une capacité de pénétration dans les milieux populaires qui manquait jusqu’ici à la gauche et qui peut s’avérer utile pour ôter au FN le monopole de la contestation. Le PS peut, quant à lui, résister encore dans les idéopôles et le Sud-Ouest. En nommant un Premier ministre de droite, Emmanuel Macron a sans doute désorganisé une droite française déjà en plein chaos mais n’a pas porté l’estocade à la seule opposition véritablement dangereuse pour son pouvoir, celle qui subsiste encore sur son flanc gauche. Cette opposition de gauche pourrait se reconstruire plus vite qu’on ne le pense… sous les coups de fouet du macronisme toujours.

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