Parents & enfants

Pourquoi les cours de récré ne jurent plus que par le «hand spinner»

Les «hand spinners», c’est la nouvelle mode des cours de récré. Celle-là est arrivée très vite: qu’est-ce qui fait qu'un jouet ou un jeu rencontre le succès ou non?

<a href="https://www.flickr.com/photos/29233640@N07/34449377342/in/photolist-Uub4FL-aFACmx-n2jmxB-iLFRR-QhStpy-iuL8fn-gHH8J5-bwWi2-nVBWWu-e5N4uC-aumnqV-bkqg1f-9xyu1b-5pMf2q-nY8ZKe-nT6uif-Txfiak-jNY76u-4PCF9f-669XUY-9MAc4N-hFyX3W-rjPPJ-zLcyeD-bkqCTy-qUP2K2-dJatqw-aSKvPp-iNHMkD-c6hhK5-bkqpgN-UmFgJ7-6B7tNM-2tJ76X-7TCQp7-A49heH-GwKE6-A3fwsM-A2CdkU-2tNvDC-8MTDrt-z7fZGi-6AQik-zJ6bWx-6AQii-6AQim-zLgk9H-zHgmSk-a1HTtq-Rssd7g">Spinner</a> | Robert Couse-Baker via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
Spinner | Robert Couse-Baker via Flickr CC License by

Temps de lecture: 5 minutes

La première personne à m’en avoir parlé est ma meilleure amie, fin avril, avec pas mal d’avance, évoquant la présence d’une sorte de toupie (Charlotte, ta description était pourrie) dans la classe de son fils, au collège. Ensuite, des articles ont été publiés. Le jour même, mon fils est revenu de l’école en me disant qu’il en voulait un.

Les modes de cour de récréation semblent avoir toujours existé, même mon fils qui en est à sa deuxième année d’école élémentaire l’a analysé: «il y a eu les Pokémon, les images de foot, encore les Pokémon et aujourd’hui le hand spinner». Moi aussi je me souviens des images Panini, des cordes à sauter, des billes, etc. On a tous des trucs à raconter, ce que confirment les vrais spécialistes du sujet comme Pascal Pinteau auteur d’un ouvrage sur les Jouets cultes en 2008:

«Les jouets de cour d’école existent depuis le début du XXe siècle avec les osselets et les billes. À partir des années 1970, on voit apparaître des marques avec des produits dérivés relatifs à des dessins animés ou des films, Star wars avec ses petites figurines, étant l’exemple le plus emblématique.»

Pour Rachid Zerrouki, professeur des écoles en Segpa (et enseignant au sein d’un collège donc), les phénomènes se succèdent mais ils ne sont pas tous aussi pérennes ni aussi intéressants: «certaines modes sont éphémères mais il y en a aussi qui restent. Les “scoubidous” par exemple». Ils sont même cités par Perec en 1978 dans Je me souviens«Je me souviens des scoubidous».

Après les Pokémon Go

On peut ajouter les Rubik’s cube que j’ai vu arriver enfant et revenir dans la cour de ma progéniture, les images Panini qui font leur come-back à chaque grand tournoi de foot. Mais le truc fou avec le spinner c’est qu’il s'est propagé à un rythme impressionnant:

«J'en ai entendu parler pour la première fois mardi après le week-end de trois jours. Sur les quatre classes que j'ai, j'ai vu un seul élève en manipuler sans savoir comment ça s'appelait. Il m'a raconté qu'un “plus grand” a failli lui voler dans le métro. J'ai cru à un cas isolé. Jusqu'à jeudi où plusieurs autres élèves de la classe de sixième en avaient. Et d'autres niveaux également, mais je ne vois pas la mode continuer très longtemps parce que j'ai vu évidemment la mode Pokémon Go arriver et disparaître mais aussi les chaussures qui s'allument en fin d'année dernière.»

Toys'R Us en a déjà vendu près de 20.000. Chez JouéClub, 30.000 exemplaires ont été écoulés, et les magasins doivent répondre quotidiennement à plus de 200 appels téléphoniques, d'après Le Figaro. Mais qu’est-ce qui fait qu’un objet rencontre son public? La première chose, m’explique Pascal Pinteau, est toute bête, c’est une histoire de dimension. Le jouet doit tenir dans la poche d’un enfant.

«Dans les années 1970, un fabricant a eu l’idée de changer le format des petites voitures, on est passé de modèles réduit d’une grosse dizaine de centimètres à des mini modèles, les Matchbox de taille d’une boite d’allumette. Un objet qui tient dans le creux de la main d’un enfant d’école élémentaire. Les Matchbox ont été un énorme carton.»

Ce qui fonctionne aussi, c’est la combinaison petit écran et jouets de petite taille, faciles à emporter. Le succès le plus éloquent en la matière est Pokémon: «Depuis les années 1990, les Pokémon continuent de séduire et d’innover, comme le montre l’exemple de Pokémon Go. Une nouvelle série va arriver, un parc d’attraction est prévu...»

 

Mais le succès peut être éphémère, ou ne pas arriver du tout:

«Les enjeux financiers sont énormes. Matel et Hasbro font énormément de tests pour savoir ce qui peut plaire aux enfants. Des experts des marques observent des gamins jouer derrière des miroirs sans tain. Ils choisissent des enfants de tous âges, des deux sexes et de milieux différents pour analyser ce qui pourrait marcher partout et se diffuser dans toutes les cours d’école.»

Il reste une part d’imprévisible, on ne sait pas pourquoi un truc prend ou pas et dure ou non… certaines réussites sont a priori mystérieuses, Pascal Pinteau, également réalisateur, avec Michel Viotte, d’un documentaire sur les jouets, l’explique par le «talent du jouet»: «Derrière un jouet qui marche il y a souvent une idée originale, parfois une innovation (comme pour le Spinner) à la fois technique et ludique. C’est cet aspect nouveau qui va ravir les gamins et créer du désir chez une partie importante des enfants.»

Le retour de la pâte à prout

Parfois les innovations sont surprenantes, vous vous souvenez sûrement de la pâte à prout ou, dans le même genre, de la pâte Slime qui aurait fait son retour dans les cours de récré aux États-Unis en début d’année. Une simple recherche permet de trouver des tas de tutoriels pour un fabriquer soi-même, mais cette merveille est popularisée depuis les années 1970  et fut déjà vendue dans les années 1950. Elle provient des recherches sur les polymères synthétiques entamées dans les années 1920. De même, pendant la guerre 39-45 aux États-Unis la recherche d’un élastomère synthétique équivalant au caoutchouc a abouti à une pate visqueuse, élastique et rebondissante appelé «Silly putty» ou «Magic Putty». Les aléas de la recherche peuvent aboutir à de grands succès commerciaux.

Les clés du succès pour un un objet sont donc qu'il doit tenir dans la poche, présenter les attraits de la nouveauté et être suffisamment bon marché pour que les parents cèdent facilement… Mais, du côté des fabriquants, c'est encore mieux s'il est collectionnable pour qu'à la fin, les quelques euros d'achat, dépense indolore mais bien réelle, aboutissent à de gros bénéfices. Le «hand spinner» coche toutes les cases.

Et un succès c’est bingo pour les marques qui commercialisent le nouveau hit des cours d'école et un bon petit racket parental en perspective. La personne qui a payé pour toutes les cartes Pokémon qui trainent partout dans mon appartement, c’est moi (je préfère ne jamais calculer combien tout cela m’a coûté). Des dépenses que toutes les familles ne peuvent pas se permettre, rappelle Rachid Zerrouki:

«Le reproche qu’on peut faire à toutes ces modes, c'est le gros marché derrière. Les élèves ne sont pas tous égaux face à ces phénomènes donc ça engendre beaucoup de jalousie, de conflits, etc. Donc même si j'en reconnais de bons cotés, je ne vois pas d'un très bon oeil le fait qu'ils envahissent les cours de récréation. J'ai eu à gérer un vol de hand spinner 

Mais certains parents sont parfois très contents de payer, continue Pascal Pinteau:

«Les parents nostalgiques de leur enfance mettent dans les mains des enfants les choses qu’ils ont aimées petits. Cela touche toute la culture pop aujourd’hui, les films, les BD. Les jouets suivent ce mouvement. C’est ce qui explique le fait que certains jouets fassent leur come back à 30 ans d’écart, comme le Rubik’s cube récemment.»

Le hand spinner a une autre particularité, il est au départ conçu pour les enfants autistes et pour apaiser le stress des enfants diagnostiqués hyperactifs. Les autres jeux de cour de récré, assez chronophages et onéreux, peuvent-ils aussi avoir un intérêt autre que l'amusement pour les enfants? Pour Rachid Zerrouki, la réponse est positive:

«Les scoubidous peuvent permettre de développer la dextérité, la persévérance et on peut les inviter en cours d’art visuel. Quant aux Pokémon, même si je n'ai jamais utilisé ces objets en cours, les cartes de ce jeu sont des alliées redoutables pour le programme de maths en cycle 3 (du CM1 à la sixième) puisque chacune pose l'élève devant un problème différent qui nécessite une opération voire deux. La carte Pikachu inflige 50 dégâts (je crois) multipliés par le nombre de cartes défaussées par le joueur. Donc l'élève doit compter le nombre de cartes (dénombrement) puis le multiplier par 50, et tout ça en jouant. Regardez les cartes, vous trouverez plein d'exemples encore plus complexes que celui de Pikachu!»

Sur internet, on trouve plein de vidéos de figures plus ou moins difficiles réalisables avec un spinner. De quoi travailler l’agilité et sa dextérité des gamins. Et de quoi se consoler en passant à la caisse.

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