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C'est un dossier symbolique, une étape obligée pour les deux finalistes dans la course à l'Élysée. Fin janvier, l'entreprise Whirlpool d'Amiens a annoncé aux salariés sa volonté de délocaliser l'activité vers la Pologne. Depuis, l'usine est décrite comme le «nouveau Florange» accompagnée d'une forte mobilisation sociale et médiatisation, comme lors de la dernière cérémonie des César. Il était donc logique qu'Emmanuel Macron et Marine Le Pen se rendent sur place en pleine campagne présidentielle.
Sauf que le candidat d'En Marche!, annoncé à Amiens ce mercredi 26 avril, n'avait pas anticipé que sa rivale le double et parte à la rencontre des employés sur le parking de l'usine pendant que lui consultait l'intersyndicale.
Le split-screen le plus cruel de l'histoire des campagnes électorales... #Macron #LePen pic.twitter.com/YxN1joTTmJ
— Antoine Maes (@AntoineMaes) April 26, 2017
Quelques heures plus tard, il s'est donc rendu à son tour sur place, créant rapidement un attroupement hostile autour de lui. Après plusieurs minutes de colère et d'attente, les salariés de Whirlpool ont enfin engagé la discussion avec Emmanuel Macron, originaire lui-même d'Amiens.
Emmanuel Macron accueilli par des sifflets à Whirlpool pic.twitter.com/AM2USS9JEx
— BFMTV (@BFMTV) April 26, 2017
Mais l'agitation est telle que les chaînes comme BFMTV ont dû mal à se frayer un chemin. Pour permettre un échange entre le candidat et les ouvriers tenus à distance par les caméras, celles-ci sont laissées à l'extérieur du site derrière les grilles. Macron, lui, entre, accompagné de sa propre équipe qui filme la séquence et la diffuse en direct. Les chaînes d'info continue se tournent alors vers la page Facebook du candidat.
«Pourquoi on ne vous a pas vu auparavant?»
Le candidat affronte d'emblée une question, posée dans la matinée par un syndicaliste: «Pourquoi on ne vous a pas vu auparavant?» Il évoque alors son passage au ministère de l'Économie et son devoir de réserve dans les mois qui ont suivi sa démission. Mais très vite, au milieu des «Marine présidente!», la discussion se transforme en partie de ping-pong: Emmanuel Macron débute une phrase, un salarié de Whirlpool riposte dans la seconde, le candidat esquisse une réponse, la foule insiste. Par exemple, à «Je ne viens pas faire des promesses et je ne les ferai jamais», un homme dans la foule répond «Comme M. Hollande?»
«C'est dommage de le dire M. Macron, lance un représentant des salariés, mais s'il y en a pas une qui serait pas venue faire son cinéma ce matin, nous ne seriez pas venu.» «Mais demandez lui, répond Macron en pointant du doigt un autre syndicaliste, je l'ai dit avant, au début de notre réunion». Le syndicaliste prend le micro, confirme sa version, et explique que sa femme lui a appris, par SMS, que la candidate était venue à l'usine et avait pris une photo avec elle.
Les huées continuent pourtant, notamment quand le candidat en marche évoque les possibilités de plan social et de repreneur pour Whirlpool. «La réponse à ce qui vous arrive, ce n’est pas de supprimer la mondialisation ou de fermer les frontières. Ceux qui vous disent ça vous mentent.» «Pour nous il est trop tard malheureusement», estime un représentant syndical, pendant qu'un autre explique que les patrons ne «partagent jamais le gâteau» avec eux.
«On est des illettrés»
Puis une ancienne polémique remonte à la surface: «On est des illettrés», peut-on entendre dans la foule, référence à une déclaration de Macron qui, en septembre 2014, expliquait qu'un nombre important de femmes de l'abattoir Gad étaient «illettrées». Emmanuel Macron tente alors de répondre, mais est rapidement interpellé sur autre chose. «Je ne vous fais pas de promesses en l’air, je vous dis juste: le redressement de la France, il va prendre du temps. Et je reviendrai pour rendre compte.»
-«Tout ce qu'on veut nous c'est un travail, ça fait trente ans qu'on travaille, on va nous le retirer notre travail. Tout ce qu'on nous dit à la direction, c'est que c'est une page qui se tourner et qu'il faut qu'on encaisse.»
-«Pour Whirlpool je vous ai dit ce qu'on allait faire», répond le candidat.
-«Mais est-ce que c'est sûr toutes ces promesses?», entend-on alors.
Puis, le mot «formation» est lâché, le même mot employé par Nicolas Sarkozy et François Hollande. «Ça a mené à quoi? Fallait pas la dire celle-là», intervient un employé, qui vient de surgir devant le candidat et ne cache pas son agacement quand il pense voir Macron esquisser un sourire. «Moi non plus je rigole pas», jure ce dernier.
"Les ouvriers sont des illettrés", "des cadeaux pour le patronat": Emmanuel Macron violemment interpellé à Amiens pic.twitter.com/PVQdxAToKk
— BFMTV (@BFMTV) April 26, 2017
Quand on en vient à parler des patrons de Whirlpool, une femme l'accuse d'être «le business», d'être «d'accord avec tous ces gens-là, les actionnaires». Au milieu de nouvelles huées, on entend «Il était au gouvernement», «c'est ses lois», et une nouvelle fois le mot «illettré» qui, décidément, colle à la peau du candidat. «Monsieur Macron, on va vous payer une retraite à 44 ans, c'est honteux», lance un homme, faisant référence aux revenus touchés par toute personne ayant exercé la fonction de Président de la République une fois qu'elle a quitté l'Élysée. «On va la payer comme Giscard, cinquante ans!»
Emmanuel Macron ne peut retenir un rire, avant d'affirmer qu'il n'est pas là pour «faire de la démagogie». Dans la foule, des gens le comparent alors à Hollande et rigolent quand il jure n'être ni de gauche, ni de droite.
Un salarié: "On dirait Hollande!"
— Geoffrey Bonnefoy (@clarkent2007) April 26, 2017
Une salariée embraye: "Ouais, c'est un copié-collé!"
Pendant plusieurs secondes, Macron est pris à partie par un employé, qui lui reproche d'être une girouette et s'amuse en répondant «elle est plus vieille», quand le candidat tente expliquer la «vraie différence» entre lui et la candidate du Front national. «Avoue qu'il était mauvais Hollande», renchérit un autre, à qui Macron ne cache pas sa lassitude: «Mais arrêtez...» «Il y a pas de recette miracle, je ne suis pas venu vous promettre des monts et merveilles, mais j'ai pris deux engagements pour Whirlpool, le combat je le mènerai.»
«Vous me serrez la main?»
Au milieu de la foule, surgit alors François Ruffin, fondateur du journal Fakir, réalisateur du documentaire Merci Patron! et candidat de la France Insoumise aux législatives.
«Vous payez aujourd'hui de ne pas avoir pris position sur le sujet pendant la campagne, lance celui qui a aidé à la médiatisation de la fermeture à venir de l'usine. [...] Vous parlez d'entreprises délinquantes, malheureusement Whirlpool n'est pas une entreprise délinquante, c'est son fonctionnement normal, c'est le fonctionnement ordinaire de l'économie.»
Après avoir salué son «courage d'être au milieu de la mêlée», Ruffin l'interpelle sur la hausse des dividendes, le CICE, la lutte contre les paradis fiscaux. Sans réponse précise. Emmanuel Macron invoque alors la «liberté d'entreprendre», mais est très vite pris rattrapé par la foule. Il insiste sur l'optimisme («Il y a des emplois», assure-t-il avant qu'un salarié lui réponde «Oui, à l'Élysée») et sur la question de la taxation des produits fabriqués à l'étranger («Vous continuerez à acheter des sèches-linge», «Pas à Whirlpool!»).
"Vous êtes au milieu des vaincus de la mondialisation. Dans leur famille, ils peuvent citer plusieurs plans sociaux d'affilée." #Whirlpool
— François Ruffin (@Francois_Ruffin) April 26, 2017
Puis, après une quarantaine de minutes d'échange, Emmanuel Macron décide de partir et salue les employés. Plusieurs personnes dans la foule lui parlent alors de leurs «mains sales» d'ouvriers et lui lancent «Vous me serrez la main, M. Macron?», comme si une autre polémique passée avait frappé le candidat. Après une rapide recherche, nous n'avons pas trouvé de trace d'une histoire autour d'Emmanuel Macron et de «mains sales». En revanche, nous avons trouvé un article du site parodique Le Gorafi intitulé: «Emmanuel Macron: “Quand je serre la main d’un pauvre, je me sens sale pour toute la journée”» Une phrase que le candidat n'a jamais prononcée mais qui alimente depuis de nombreuses rumeurs.
Et de préciser que cette histoire vient a priori d'un article du Gorafi https://t.co/Ualif6tHjC
— Akhillé Aercke (@AAercke) April 26, 2017