France

Emmanuel Macron est-il vraiment libéral?

En trois volets, Slate.fr essaie de cerner le degré de libéralisme d'Emmanel Macron. Partie 1 par Eric Le Boucher, pour qui Emmanuel Macron est un libéral, plus que nombre de représentants de la droite qui ne goûtent pas la concurrence et qui s’accommodent des économies de «rentes» par clientélisme.

Emmanuel Macron au Touquet, le 22 avril 2017 | Eric FEFERBERG / AFP
Emmanuel Macron au Touquet, le 22 avril 2017 | Eric FEFERBERG / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

«En même temps!». Emmanuel Macron n’arrête pas d’employer cette expression qui a ouvert un boulevard aux critiques narquoises. Voilà le candidat du ni gauche ni droite, de l’indécision, de la synthèse hollandienne, du centrisme, c’est-à-dire du rien. En même temps, c’est «un moins un égale zéro».

Qu’il est difficile en France, après soixante ans du bipartisme de la Ve République, de dire qu’on peut être «à la fois» libéral et social, de droite et de gauche, pour la liberté et pour la solidarité. L’étiquetage, qui est la pire paresse de l’analyse, veut que vous soyez l’un ou l’autre, ou mieux encore: l’un contre l’autre. Le neuf de la démarche d’Emmanuel Macron est d’être l’un «et» l’autre et d’en faire un principe d’action politique (le changement du logiciel politique du pays avec la fin des deux grands partis traditionnels) et un principe de gouvernement (le pragmatisme).

Donc il est libéral. Ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, s’est battu pour des lois qui introduisent la concurrence, qui ouvrent des métiers réglementés comme le notariat ou qui facilitent le travail du dimanche. Il aurait voulu en faire plus notamment que les lois sur le travail aillent plus loin dans la «libéralisation». Libéral, il l’est et il l’est plus que nombre de représentants de la droite qui ne goûtent pas la concurrence et qui s’accommodent des économies de «rentes» par clientélisme. Nicolas Sarkozy et François Fillon auraient pu s’attaquer à toutes ces professions protégées comme les taxis: ils se sont bien gardés de le faire, par peur.

La concurrence mais «en même temps» l’État

Donc il n’est pas libéral: ministre de l’Économie, il s’est mis en travers de la route de Carlos Ghosn, le PDG du groupe Renault Nissan, en donnant aux actions détenues par l’État un droit de vote double. Il s’inscrivait dans la même ligne interventionniste que son prédécesseur, Arnaud Montebourg, avec moins de verbe mais plus d’application. Lui, ancien banquier d’affaires, savait de quoi il s’agissait dans cette bataille: empêcher que Renault ne soit «nissanisé» que le groupe japonais ne prenne peu à peu la main sur le groupe français. Comme Nissan, à la ramasse quand Renault est venu le racheter en 1999, est devenu plus puissant et plus innovant, la logique industrielle d’un basculement du pouvoir de France vers le Japon est forte. Emmanuel Macron, ministre de la France, s’y opposait. Dans les milieux d’affaires, cette introduction du vote double a provoqué une grande incompréhension. Comment? On le croyait «libéral», pro-business, il se révèle étatiste et interventionniste.

La concurrence mais «en même temps» l’État. Emmanuel Macron sait que la France souffre d’un manque de liberté économique, elle étouffe sous les règlements et la protection des rentes. Mais elle souffre aussi d’une désindustrialisation accélérée qui provoque le désarroi des classes moyennes, socle de l’électorat de Marine Le Pen et creuset des populismes. Il faut donc être libéral et industrialiste.

Même chose en matière sociale. Il est contre le social des rentes qui protège les «in» mais laisse les «out» dans le caniveau. En reflet de la coupure en deux du paysage politique, la France sociale est l’un des pays où la bipolarité du monde du travail est la plus forte. Des protégés cumulent les acquis mais tout un «précariat» cumule les désavantages et les jeunes sont condamnés à un chômage double. La solution est de donner à tous les avantages du type CDI, dit la gauche. Interdire les CDD toujours reconduits, bloquer les licenciements, etc.

La flexi-sécurité

Hélas, non seulement c’est impossible, la vie des affaires impose de la souplesse en fonction des carnets de commandes mais c’est, si on peut dire, de plus en plus impossible avec le capitalisme d’aujourd’hui qui casse «les chaînes de valeur», sous-traite et délocalise. Le meilleur compromis social est d’abord de produire en France, d’y abaisser les charges pour maintenir des emplois et de forcer l’allure pour en créer des nouveaux. On peut le regretter, demander à changer le capitalisme mais cela ne peut pas se faire à la seule échelle d’un pays, contrairement à ce que prétendent les populistes d’extrême droite et d’extrême gauche. Force est alors de prendre la réalité comme elle est pour rénover le deal capital-travail: mener une politique de l’offre mais mieux protéger les catégories les plus affectées, alléger le coût du travail mais sécuriser les parcours. Ces politiques, Emmanuel Macron ne les invente pas, elles s’appliquent dans les pays scandinaves depuis deux décennies sous le nom de flexi-sécurité.

La France n’est pas parvenue à les importer précisément à cause de la bipolarité sociale et politique, du refus de voir la réalité complexe du monde, du mauvais débat resté primaire qui se complait à ne penser qu’en termes si confortables aux bonnes consciences, du droite contre gauche, libéral contre social.

cover
-
/
cover

Liste de lecture