France

Le danger Le Pen, c'est pas en 2022, c'est maintenant

Voter Macron en 2017, ce n'est pas favoriser le FN en 2022.

Marine Le Pen à Henin-Beaumont, le 23 avril 2017 | Joël SAGET / AFP
Marine Le Pen à Henin-Beaumont, le 23 avril 2017 | Joël SAGET / AFP

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Et voilà, c’était prévisible, on voit fleurir le slogan «sans moi le 7 mai». Plus étonnant est l’un des arguments pour justifier cette position, un argument qu’on entendait déjà avant le premier tour pour lutter contre le vote qu’on appelle «utile». Il consiste à dire que si Marine Le Pen n’est pas élue cette année, elle le sera à coup sûr dans cinq ans. Et même, plus précisément, qu’il est inutile d’appeler à voter Macron puisque la politique qu’il mettra en œuvre fera monter le FN. Voter Macron en 2017, ça serait en fait renforcer le FN pour 2022.

Quelle est cette logique? Comme vous ne voulez pas de Le Pen en 2022, vous allez aider à la faire élire en 2017? Je lis que ça serait «reculer pour mieux sauter». Il doit y avoir une subtilité intellectuelle qui m’échappe.

L’idée sous-jacente, c’est que l’arrivée au pouvoir du FN serait inéluctable. Si ce n’est pas cette fois, ce sera la prochaine. Les courbes de vote du FN avec leur progression plus ou moins régulière seraient comme la croissance d’une plante, répondraient à une mécanique implacable. Je refuse de penser que c’est inéluctable et je trouve dangereux de diffuser cette idée. C’est une démission complète. On dirait presque une prédiction millénariste. «Bah de toute façon, ça va être la fin du monde.» Et profondément, je n’y crois pas. Les votes peuvent être fluctuants, inattendus. Le FN peut s’écrouler un jour, ce n’est écrit nulle part qu’il arrivera au pouvoir, Macron ou pas.  

Un contexte extraordinairement favorable à Le Pen

D’abord, si la politique était réductible à des calculs aussi exacts, tout serait plus simple. Je sais bien qu’en cours d’histoire, on nous a expliqué la montée du nazisme par la situation économique de l’Allemagne mais enfin, c’était de la vulgarisation. Le réel est infiniment plus complexe. Présentement, Marine Le Pen profite d’un contexte extraordinairement favorable. C’est même hallucinant de bénéficier d’une telle configuration. Elle a un parti soudé autour d’elle, parfaitement au pas quoiqu’on en dise et dans lequel elle profite d’une grande légitimité.

Le FN n’a pas besoin de faire de primaire puisque le FN, c’est Marine Le Pen. On y ajoute une situation économique qui rend audible voire crédible son programme. Ça ne marche pas comme ça, essayons autrement. Ça fait des années qu’on vous prévient des dangers de la mondialisation, nous avons raison, les étrangers nous font de la concurrence déloyale etc. La déception provoquée par le quinquennat de François Hollande lui profite évidemment. On n’a jamais vu un président aussi bas dans les sondages. Les électeurs des classes populaires se sentent trahis. Et par-dessus tout ça, vous ajoutez une série d’attentats qui ont traumatisé le pays. Si on additionne le tout, on peut difficilement être étonné du résultat de ce premier tour. Mais rien ne dit que la situation en 2022 lui sera aussi favorable.

Pourquoi penser que dans cinq ans nous serons dans la même situation? D’abord, en cas de défaite au second tour, des voix dissonantes vont se faire entendre au FN, entre les partisans de la ligne sociale et les plus libéraux, les identitaires durs et ceux qui essaient de polir l’image du parti. Sur ce point, il y a peu de chance que ce parti soit différent des autres. Il va y avoir engueulade, scission, remise en cause du chef. C’est arrivé à Jean-Marie Le Pen, il n’y a pas de raison que sa fille soit épargnée. Il est envisageable d’avoir en 2022 deux candidats d’extrême-droite par exemple. Le FN nous semble indéboulonnable, il ne l’est pas.  

Sur les attentats, on ne va pas se risquer à jouer les Elisabeth Tessier du terrorisme. Le chaos syrien et irakien aura forcément évolué. Un policier tué sur les Champs-Elysées trois jours avant le vote, c’est une configuration qu’on espère inédite.

Sur l’aspect économique, c’est certain qu’Emmanuel Macron ne va pas brusquement se révéler de gauche. Il est libéral, il ne s’en cache pas, au moins celui-là on ne pourra pas dire qu’il nous aura menti sur son programme. Mais là encore, je ne vois pas qui peut prévoir la situation économique mondiale d’ici 2022. L’Europe comprendra-t-elle qu’elle a bénéficié d’un sursis et qu’elle doit se réformer, proposer un autre modèle?

L’élection de 2022 se jouera différemment

Mais, le plus important, c’est qu’on peut espérer qu’en cinq ans d’autres alternatives que le Front national s’enracineront en France, que les cartes seront rebattues comme on dit et que l’élection de 2022 se jouera différemment, avec d’autres candidats et des rapports de force qui seront moins favorables à l’extrême-droite.  

La chance de Marine Le Pen de devenir présidente de la République se joue maintenant, en 2017. On ne va pas commencer à ajuster nos votes de 2017 en fonction de 2022.   

Quant à ceux qui disent qu’on leur fait du chantage: on ne vous fait pas de chantage, on demande à chacun de prendre ses responsabilités. Ça s’appelle la citoyenneté. Parfois c’est difficile, c’est douloureux. Le propre du choix éthique et moral, c’est de se dégager de ce qui fait plaisir. Mais personne ne vous braque un flingue sur la tempe pour voter au second tour. Pour l’instant, on est encore en démocratie. Chacun fait son choix en conscience. Vous pensez que le libéralisme est aussi dangereux que l’extrême-droite, c’est votre droit. Ou vous avez les boules et vous avez envie de tout faire péter sans faire barrage à l’extrême-droite. Vous pensez que la lutte anti-fasciste n’est pas prioritaire. Vous refusez de hiérarchiser les discriminations: «je ne vais pas choisir entre la haine des étrangers et la haine des pauvres». Mais assumez. Ne vous cachez pas derrière des arguments foireux comme celui de faire le jeu du FN en 2017 pour ne pas faire son jeu en 2022. Ce n’est pas une analyse politique, c’est une hypocrisie. Nous savons tous ce qu’est le Front national et le danger, c’est maintenant.  

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