France

Au soir du 23 avril à la télé, ni stupeur, ni trouille, ni sidération

Aucun choc sur les plateaux télé au soir d'un premier tour qui voit Marine Le Pen se qualifier pour le second tour.

Marine Le Pen à Henin-Beaumont, le 23 avril 2017 | Joël SAGET / AFP
Marine Le Pen à Henin-Beaumont, le 23 avril 2017 | Joël SAGET / AFP

Temps de lecture: 4 minutes

Vous vous souvenez? En 2002, quand le visage de Jean-Marie le Pen s'est affiché sur nos écrans pas super plats? Sur les plateaux télé, les visages s'étaient figés. Même s'ils faisaient tout pour conserver un flegme tout professionnel, on voyait bien, dans le regards des journalistes télé, des experts, des sondeurs, qu'ils étaient sur le cul. On sentait que, même dans les coulisses, c'était l'incompréhension générale. La stupeur, la trouille, la sidération. Des frissons partout.


Le 23 avril 2017, quand à 20h et quelques secondes, les scores annoncent Emmanuel Macron à 23,7% et Marine Le Pen à 21,9%, les visages des uns et des autres attablés sur les différents plateaux (BFM, TF1, France2, Cnews), ne laissent presque rien paraître. Sur France 2, Jean-Pierre Raffarin –par ailleurs de couleur marron– a à peu près la même tête que si l'on venait de lui annoncer que l'anticyclone des Açores s'était barré des côtes normandes. David Pujadas a sa tête de quand il annonce «Parents mode d'emploi» après son JT de 20 heures habituel. Même Florian Philippot sur France 2 et David Rachline n'exultent pas plus que ça. Ils ont leurs raisons.

Bref. Personne ne tombe de son petit tabouret.

Manifester contre le FN, c'est être un trouble-fête

C'est que 21,9% pour le Front national, c'est «pas tant que ça» me dit un copain par SMS. Sur les chaînes d'info, l'heure n'est pas non plus à la stupéfaction. Faut dire que les sondages nous avaient bien préparés à ce scénario, voire à pire. Sur Cnews, c'est plus le «pari réussi» d'Emmanuel Macron qui est commenté. A 20h38, Laurence Ferrari s'inquiète du retard de prise de parole du candidat après un bref reportage sur les manifs anti-racistes de la place de la République après lequel elle enjoint son journaliste à «faire attention» à lui. Il y a quinze ans, les manifestations anti-FN étaient décrites comme des mouvements démocratiques: désormais, manifester contre le FN, c'est être un trouble-fête.

Le reporter en direct du QG de Debout la France commente le résultat en disant que «Marine le Pen a ravi la place de patriote, de souverainiste» à Nicolas Dupont-Aignan. Faisant donc de MLP une simple candidate «souverainiste et patriote». Sur le plateau l'édiotiraliste Françoise Degois parle même d'«échec du Front national».

Sur France 2, à 21h06, David Pujadas et Léa Salamé engueulent les invités pour qu'ils se taisent parce que «priorité au direct»: Marine Le pen s'exprime. Elle est la seule à voir pris la mesure des résultats en déclarant que «c'est un résultat historique». Et ouais. Depuis une heure, ça analyse les résultats comme on commente le premier jour des soldes ou une baisse des températures. Mais c'est bien un résultat historique.

7 MILLIONS DE VOIX

7 millions de voix! Quand Jean-Marie Le Pen glanait 4,2 millions de suffrages en 2002, on était nombreux à témoigner de notre stupéfaction. Moi, à 21h05 en 2002, j'avais déjà un keffieh autour du cou, et je roulais des clopes place de la République avant de beugler «première deuxième troisième génération» en sautillant. Et si les journalistes télé ne picolaient pas des Heineken sur le plateau en écrivant des refrains d'hymnes anti-racistes sur des banderoles, on avait quand même le sentiment d'être un peu en communion avec eux. Qu'ils partageaient notre étonnement, et un peu de notre peur.

Ce soir, sur TF1, le reporter en direct de Henin-Beaumont va causer de la musique diffusée dans la salle («Stayin' alive» des Beegees), France 2 diffuse en duplex les images d'un couple de militants FN qui dansent le rock pendant que Jean-François Copé et François Bayrou s'écharpent. Sur BFMTV, Marion Maréchal-Le Pen est à peine contredite.

Il est 21h43, et je n'ai pas entendu les mots «raciste», «xénophobe», «antisémite, «mise en examen». Pas de mentions des récentes déclarations de la candidate frontiste sur la rafle du Vel d'Hiv, ou la persécution des protestants. Il est à peine fait mention des positions anti-européennes du parti d'extreme-droite. En revanche, BFMTV nous gratifie, comme depuis trop longtemps, de l'analyse psychologisante d'Anna Cabana, et de la crétine expression assénée par Luc Chatel: «les Français ont envie de renverser la table».

Comme j'étais occupée à écouter Anna Cabana faire le thème astral d'Emmanuel Macron, j'ai raté l'allocution de Jean-Luc Mélenchon affirmant qu'il n'a «aucun mandat pour appeler 450.000 personnes» pour s'exprimer à leur place.

Léa Salamé et David Pujadas ont à peine le temps de réagir à cette déclaration (première fois de ma vie que je veux voir débouler Bourdin sur un plateau), c'est le moment où Emmanuel Macron se décide enfin à s'exprimer. Et lui-même s'exprimera à peine sur sa rivale frontiste et affirme qu'il ne s'agit pas de «voter contre».

Un genre de kermesse inoffensive et joviale

Première réaction de Léa Salamé après le direct: interroger Nicolas Bay. C'est un peu comme si après un reportage sur le gavage des oies, Salamé avait interviewé un canard. Pendant que Christain Estrosi commente à son tour l'allocution du candidat de «En Marche», France 2 diffuse les images d'un genre de chenille exécutée par la mère et la sœur de Marine Le Pen. La liesse dans les locaux frontistes est donc donnée à voir comme un genre de kermesse inoffensive et joviale.

23h00: TF1 diffuse Esprits criminels. C'est tentant.

23h02: Florian Philippot, qui se sent un peu comme chez mémé, qualifie Emmanuel Macron de «continuateur» de François Hollande. (flemme d'aller sur le site de Larousse mais il parait que ça existe). Philippot est interrompu pour un direct depuis le QG du FN: les militants font la chenille.

Plus ça va, plus j'ai l'impression d'assister à une soirée diapo du mariage d'une vague cousine facho. Par acquis de conscience, je zappe sur France 2, juste à temps pour entendre Salamé couper Poutou pour lancer Nathalie Saint Cricq (en surdose d'Euphytose) faire une analyse dont je n'ai rien compris. Pas grave, ça dure 40 secondes. Il est visiblement beaucoup plus urgent de suivre le van d'Emmanuel Macron qui se dirige vers un restaurant pour un dîner en famille, «fenêtres ouvertes» et «grillant les feux rouges», insiste lourdement Pujadas.

Bizarrement, avec une mine et un ton beaucoup plus grave que quand s'affichait la tête de Marine le Pen en seconde position. J'arrête avant de savoir si Emmanuel Macron va commander son steak saignant ou non. Pourtant, il est pas exclu que ce soit plus commenté que le Front national au second tour.

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