Culture

«Adieu Mandalay» fraie son chemin dans la jungle tragique des migrations clandestines

Filmé avec émotion et énergie, le récit de la quête des personnages du film de Midi Z est à la fois témoignage, aventure et questionnement.

Wu Ke-xi (Liang-qing) et Kai Ko (Guo)© Les Accacias
Wu Ke-xi (Liang-qing) et Kai Ko (Guo)© Les Accacias

Temps de lecture: 2 minutes

Le rafiot pour passer la frontière, la corruption à chaque tournant, le travail exténuant et sous-payé. Midi Z raconte cela.

Mais aussi les rencontres qui rapprochent face au danger, les gestes d’accueil de compatriotes, les sentiments qui naissent entre ces deux jeunes Birmans entrés clandestinement en Thaïlande, fuyant la guerre et la misère.

Et encore la chaleur, l’humidité, la puissance surhumaine de ces deux jungles asymétriques, la jungle urbaine de Bangkok, la jungle végétale tout autour.


Adieu Mandalay se joue là, éclot là: dans ce triangle entre son récit collectif, sa chronique individuelle, et la sensualité de ses plans.

Plans fixes le plus souvent, qui accueillent aussi bien le bouillonnement de l’énergie de ces jeunes gens déterminés à s’en sortir à tout prix, la violence des rapports de domination, la qualité d’un moment de répit, de repos, d’amitié entre filles, de tendresse entre le garçon et la jeune femme. Qui donne aussi toute sa puissance fantasmagorique à ce cauchemar à la fois hyperréaliste et onirique.

Hyperréalisme et onirisme

On voit que le jeune réalisateur, déjà remarqué pour une série de courts métrages magnifiques et pour ses longs, dont l’impressionnant Ice Poison, a enquêté, écouté, observé.

Il est allé dans les villages de la jungle où on vend des papiers dont nul ne sait s’ils passeront pour vrais, dans les arrières cuisines des bistrots où les filles sont soumises au bon vouloir des patrons et aux rafles de la police, dans les usines textiles où les ouvriers se dopent aux amphétamines pour tenir des cadences surhumaines, et en crèvent.

Ce récit, il existe et prend sa force de n'être jamais univoque, encore moins misérabiliste. Midi Z se situe constamment du côté de l'élan, des incroyables ressources de vitalité, de courage, de colère aussi, que déploient ses personnages.

Tragédie planétaire

Selon un cheminement paradoxal, son film atteint une dimension romanesque, film d’aventure, film d’amour, film d’horreur, par la précision même des situations décrites –et un sens du cadre et du rythme qui confirme que ce cinéaste birman mais qui vit et conçoit ses films à Taïwan est bien une des principales figures du nouveau cinéma d’Extrême-Orient.

Mais Adieu Mandalay, aussi saturé d’attention à la réalité particulière de ces hommes et de ces femmes, se révèle de surcroit porté par une question plus ample, plus abstraite, plus universelle.

La quête éperdue des papiers est une réalité bien sûr, et dont l’urgence est facile à comprendre. À ce titre déjà, le sort de Liang-qing et de Guo, les personnages principaux est loin de ne concerner qu'eux, et ceux qui les entourent, ces quelque 2 millions de Birmans illégaux en Thaïlande.

Elle entre en résonnance avec la tragédie planétaire de la migration clandestine, qui concerne directement des centaines de millions d’être humains aujourd’hui –en fait quasiment l’humanité toute entière si on mesure combien en subissent les bénéfices et souvent aussi les inconvénients les habitants des pays développés.

Fatals papiers, gouffre d'identité

Mais en attachant peu à peu les spectateurs à l’intimité de ses deux protagonistes, Midi Z rend sensible une autre dimension associée à ces fameux, à ces fatals «papiers».

La passion, au sens le plus fort et le plus douloureux du mot, pour l’obtention de ces documents mobilise la question de l’identité, sans séparer l'aspect technique, concret, administratif de celui bien plus opaque et vertigineux de la compréhension, pour soi et vis-à-vis des autres, de qui on est, d’au nom de quoi on fait ce qu’on fait.

C’est l’honneur du film de ne pas réduire ses personnages à des figures-types d’un drame de société pourtant bien réel.

En même temps que leur combat exemplaire face des situations aussi terribles que fréquentes, en même temps que la valeur de témoignages des injustices atroces sur lesquelles fonctionne un monde qui est aussi le nôtre, Adieu Mandalay donne accès à un trouble individuel, auquel des réponses différentes, toutes compréhensibles, peuvent donner lieu à d’autres drames encore.

Ainsi, à partir d’une situation très «cadrée», déjà documentée par un grand nombre d’articles et de films mais réétudiée à nouveaux frais, un authentique travail de cinéma déploie des richesses, des complexités, des émotions et des interrogations bien plus vastes.         

Adieu Mandalay

de Midi Z,

avec Kai Ko et Wu Ke-xi.

Durée: 1h48.

Sortie le 26 avril.

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