France

On a expliqué notre présidentielle à un journaliste américain

Dialogue autour d'un scrutin dont les rebondissements pourraient presque rendre les Américains jaloux.

Un graffiti représentant Marine Le Pen et Donald Trump à Paris, le 8 avril 2017. JOËL SAGET / AFP.
Un graffiti représentant Marine Le Pen et Donald Trump à Paris, le 8 avril 2017. JOËL SAGET / AFP.

Temps de lecture: 15 minutes

L'élection de Trump, il y a six mois, et la perspective d'une possible victoire de Marine Le Pen ont accru l'intérêt des Américains pour notre présidentielle –même Barack Obama s'y est mis! Mais avec son système à deux tours (et sans collège électoral), la présidentielle française reste un moment assez exotique pour les observateurs américains. Pour améliorer les relations transatlantiques, nous avons engagé un dialogue sur ce sujet, pendant la dernière semaine de campagne, avec Jeremy Stahl, journaliste à Slate.com et détenteur d'un double passeport franco-américain.

Jeremy Stahl: Jean-Marie, merci de prendre le temps de discuter avec moi. Le but ici est que toi, spécialiste de la politique à Slate.fr, tu me débarrasses de mon ignorance sur l'élection française. La rédactrice en chef de Slate.fr est venue dans une chaîne Slack de Slate.com, il y a quelques semaines, pour nous demander si nous avions des réactions au débat qui venait d'avoir lieu, et tout le monde a littéralement eu la même: ¯\_(ツ)_/¯

Moi compris, alors que je possède un passeport français, mais que je ne connais quasiment rien de ce qui se passe en politique dans le pays de naissance de ma mère (oups).

Jean-Marie Pottier: Quasiment rien? Ça veut dire que tu connais quelques trucs?

Jeremy Stahl: Voici ce que je sais, ou crois savoir: vous avez un groupe de personnes en lice pour le premier tour d'une élection qui en connaîtra probablement un second. L'une d'elles est Marine Le Pen qui, en tant que présidente, pourrait être comparée à notre administration actuelle dans ses influences  néofascistes ou nationalistes, et plus généralement sa personnalité controversée. Je sais aussi qu'elle est la fille de l'ancien candidat à la présidentielle Jean-Marie Le Pen qui, d'une certaine façon, est encore pire qu'elle.

Il y a aussi une poignée de gens ennuyeux, dont l'un devrait probablement devenir le prochain président. Je crois qu'il y a un certain Micron qui est un outsider en politique tout en faisant pourtant partie du système, et un Fillion qui est le candidat des conservateurs, mais est pénalisé par des affaires, et des socialistes ou communistes dont personne n'a rien à faire. Merci de m'instruire et de m'expliquer pourquoi toutes les choses stupides que je viens de dire sont des raccourcis grossiers.

Jean-Marie Pottier: D'abord je te rassure: cette élection présidentielle française est si folle qu'elle pourrait presque rendre l'élection américaine envieuse en comparaison, donc nous sommes tous condamnés aux raccourcis. Et tu as bon sur quasiment tout. Le probable second tour: il y a onze candidats, et il est quasiment certain qu'aucun d'entre eux ne dépassera les 30% le 23 avril, et nous ne connaîtrons donc pas notre nouveau président avant le 7 mai. Marine Le Pen est bien notre candidate la plus «trumpienne», mais avec une importante différence avec les États-Unis: elle est la dirigeante d'un parti tiers, pas d'un des deux principaux partis, les socialistes et les conservateurs. Contrairement à Trump, qui a réussi à «pirater» la primaire républicaine, elle préside un parti qui occupe peu de positions de pouvoir: deux députés, deux sénateurs, une poignée de villes... Elle a hérité le Front national de son père en 2011 et a tenté de prendre ses distances avec ses positions racistes et antisémites. Avec, à mon sens, une différence importante: elle veut être élue présidente, lui ne voulait pas (en 2002, il a été quasiment terrifié de sa qualification pour le second tour).

Emmanuel Macron est le candidat à la fois outsider et insider. Outsider parce qu'il n'a que 39 ans, n'a jamais détenu le moindre mandat et était à peine connu du grand public il y a trois ans. Insider parce qu'il a un CV de très haut niveau (les plus grandes écoles, les plus hauts postes dans la fonction publique...) et a été un des principaux conseillers de François Hollande, avant de le trahir.

François Fillon, le candidat conservateur, était le grand favori pour l'emporter en novembre dernier quand il a gagné la primaire: il n'avait plus qu'à se baisser pour ramasser l'élection. Mais durant sa campaigne, il a été affaibli par deux choses: un programme économique très austère, «thatchérien», et surtout, les accusations sur son utilisation d'argent public, en tant que parlementaire, pour rémunérer sa femme et ses enfants.

Benoît Hamon est ce «socialiste dont personne n'a rien à faire». Un candidat respectable avec un programme intéressant, mais beaucoup de dirigeants socialistes, qui lui reprochent la façon dont il s'est opposé à Hollande durant sa présidence, ont choisi de soutenir Macron, dont l'ancien Premier ministre Manuel Valls.

Et j'arrive pour finir à ta seule erreur: nous avons un candidat «communiste», Jean-Luc Mélenchon (même s'il n'est pas, au sens propre, le candidat du Parti communiste), mais tout le monde s'intéresse à lui désormais! Si Macron a été la surprise de la campagne d'hiver en début d'année, lui est la surprise de la campagne de printemps et a réussi une réelle percée. À l'heure actuelle, Macron et Le Pen sont donnés à environ 23-24% dans les sondages, et Mélenchon et Fillon à 18-19% chacun, avec Hamon à seulement 8-9%, et nous avons donc quatre candidats pour seulement deux places au second tour, avec six duels possibles! «Les jeux sont faits, rien ne va plus»...

JS: Voilà qui est déjà amusant et éclairant. Prenons les candidats un par un. En ce qui concerne Le Pen, toute cette histoire de prise de distance vis-à-vis de l'antisémitisme et du racisme ne me semble pas si évidente et si accomplie, de ce que j'ai pu voir. Parmi les très rares choses que je sais d'elle, glanées au fil de mes lectures quand la presse américaine s'est intéressée à elle –en dehors de ses propositions les plus évidentes comme son soutien au Brexit et son souhait que la France organise un référendum similaire– figure le fait qu'elle veut que les Français binationaux, comme moi, abandonnent soit leur autre nationalité soit leur passeport français (allez vous faire voir, Marine Le Pen).

D'après mes souvenirs, on lui a spécifiquement posé la question à propos des Israéliens et elle a répondu quelque chose comme «eux aussi», sur un sujet particulièrement sensible à cause de tout le passé crypto-nazi du Front national sous son père (je suppose par ailleurs que cette politique affecterait bien plus de binationaux de pays nord-africains et de religion musulmane, comme le Maroc ou l'Algérie). Par ailleurs, elle a récemment dit quelque chose au sujet de la non-responsabilité de Vichy dans l'Holocauste, quelque chose comme ça? Je n'ai pas les détails de cette histoire, cela semblait juste affreux. Au final, je crois que ma question est la suivante: les gens croient-ils encore à cette histoire bidon d'un «Front national plus apaisé, plus tranquille»? Et du coup, mon autre question serait: cela les préoccupe-t-il? Aux États-Unis, beaucoup de gens qui ont voté pour Trump aimaient en fait ses positions les plus ouvertement nationalistes, les plus «déplorables», si tu veux. J'imagine que c'est la même chose en France? Tout ceci est déprimant. J'ai vraiment hâte de discuter des autres candidats maintenant.

JMP: C'est une question aussi intéressante que compliquée. Pour répondre à ta question sur les «déplorables», j'ai le sentiment que ce sujet n'a pas dominé la campaigne parce que les polémiques autour du FN ont davantage porté sur des scandales financiers (à propos de l'utilisation de fonds publics au Parlement européen) que sur des remarques racistes, et car les autres candidats, peut-être à cause de l'expérience du Brexit et de Trump, ont essayé de ne pas stigmatiser ses électeurs.

Plus largement, je prendrai comme point de départ l'épisode Vichy que tu mentionnes parce qu'il est ambigu. Certaines personnes ont lu de travers les commentaires de Marine Le Pen et les ont qualifiés de révisionnistes, ont pensé qu'elle disait qu'aucun Français n'avait participé à la déportation de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Pas du tout, car elle n'a pas le même fond raciste et antisémite que son père (notons par ailleurs que le FN a réalisé des progrès substantiels auprès des électeurs juifs). Elle a en fait essayé, de manière assez étrange, de s'inscrire dans la lignée de Charles de Gaulle, qui affirmait que la France n'était pas responsable de la déportation des Juifs –le régime de Vichy, qui est vu comme inconstitutionnel, l'est, mais pas la France en elle même, parce que la «vraie France» résistait aux nazis depuis Londres. Cette position a été rectifiée, d'abord par Jacques Chirac, puis par ses successeurs Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui ont tous reconnu la responsabilité de la France en tant que nation, nation alors profondément divisée entre la Collaboration et la Résistance.

Cet épisode est révélateur parce que Marine Le Pen a tenté de se présidentialiser, de parler à un désir de «grandeur», de refus de critiquer notre passé, comme quelqu'un qui sait qu'elle devra dépasser les 50% des voix pour l'emporter. Mais même si certaines de ses idées séduisent largement (par exemple, un récent sondage sur la France et les idées du FN montrait que 52% des Français pensaient qu'on donnait trop de droits à l'islam et aux musulmans, et 51% que le pays accueille trop de migrants), ce n'est pas le cas d'elle ni de son parti. 58% des sondés pensent toujours que le FN constitue une menace pour la démocratie et, quand on leur demande si le FN représente une «droite patriote» ou une «droite xénophobe et nationaliste», 40% choisissent la première réponse et 49% la seconde. Il y a toujours un «plafond de verre» pour les idées du FN dans la politique française, même s'il est plus haut qu'auparavant.

JS: Ce «52% des Français pensent qu'on donne trop de droits à l'islam et aux musulmans» sonne assez «déplorable» à mes oreilles, mais je suis sûr que les États-Unis ne feraient pas mieux. Je ne veux pas trop m'attarder sur ce sujet de l'histoire à la sauce Chirac / Sarkozy / Hollande, mais le gouvernement de Vichy n'était-il pas le gouvernement officiel de la France? En tout cas, je ne ferais pas confiance à Le Pen sur le sujet de l'antisémitisme en ce qui me concerne (et je connais et j'ai dans ma famille, je crois, le type de Juifs qui votent Le Pen dont tu parles).

Passons à Macron: c'est le type qui est supposé gagner, n'est-ce pas? Et il est genre le «candidat des médias» (à la fois un produit des médias et quelqu'un qui a travaillé dans les médias), est-ce correct ou est-ce que j'invente ces deux choses? J'ai rencontré quelqu'un qui vit à Lille et qui était très hésitant au sujet de son vote, mais qui détestait Macron. Il le considérait comme un représentant des élites de la pire espèce, et le comparait, ce qui est d'une certaine façon encore pire, à Hillary Clinton. Si je saisis bien, Lille est un peu le Michigan français, si c'est le cas et que Le Pen fait dans la région aussi bien que Trump dans la Rust Belt, ouille.

JMP: Pour répondre rapidement à ta question sur Vichy, la situation était compliquée: le gouvernement de Vichy était le gouvernement français officiel à l'époque (même si sa constitutionnalité pure fait encore débat), mais la France libre en exil à Londres a affirmé, dès octobre 1940, qu'elle était le véritable gouvernement et que Vichy n'était qu'un régime fantoche aux mains des nazis, affirmation qui a été traduite dans l'ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine. Quand on lui a demandé, lors de la Libération de Paris, de proclamer la République, De Gaulle a répondu que la République «n'avait jamais cessé d'exister».

Mais revenons à Macron. Tu as raison, c'est le vainqueur le plus probable, celui qui est actuellement donné légèrement en tête par les sondages au premier tour, et à plus de 50% au second face à ses trois adversaires potentiels, Le Pen, Fillon et Mélenchon. C'est assez inhabituel parce qu'il fait campagne sur un programme de type «ni droite ni gauche» qui n'a jamais eu beaucoup de succès en France: c'est vu comme une bonne chose pour l'emporter au second tour, mais souvent comme un problème pour engranger suffisamment de voix, sur des bases partisanes, pour passer le premier.

Bien sûr, il est largement critiqué par la gauche comme par la droite. J'imagine que l'électeur de Lille que tu as rencontré est de gauche, pas de droite? C'est intéressant parce que comme tu l'as souligné, le Nord est un genre de Michigan français, un ancien bastion industriel en crise où la gauche était puissante et où le FN est haut aujourd'hui (Le Pen a obtenu plus de 40% des voix aux élections régionales de décembre 2015, et sa circonscription est à 30 kilomètres de Lille). Et Lille est une ville socialiste dont la maire, Martine Aubry, l'adversaire d'Hollande pour l'investiture socialiste en 2012, est très opposée à Macron: quand elle a été interrogée une énième fois à son propos l'an dernier, elle a répondu «Macron...Comment vous dire? Ras le bol!» Un bon résumé des critique d'une partie de la gauche traditionnelle envers Macron, qui estime qu'il est allé trop loin en faveur du libéralisme économique. De l'autre côté, la droite l'attaque en disant qu'il est l'héritier de Hollande, son «fils préféré», puisqu'il a été secrétaire général adjoint de l'Élysée, même s'il l'a trahi en annonçant sa décision de se présenter en candidat indépendant à l'automne 2016. Et il y a un troisième type de critique, qui provient des deux côtés (essentiellement la gauche radicale et l'extrême droite), qui le décrit comme l'incarnation du Système avec un grand S: il est vu avec une curiosité bienveillante par les médias (même s'il a droit à sa juste part de critiques), a étudié dans les établissements les plus prestigieux, a été l'associé d'une grande banque d'affaires (en revanche, il n'a pas travaillé dans les médias) et a, cinq ans avant d'intégrer l'équipe de Hollande, travaillé pour une commission chargée de réfléchir à des réformes, mise en place par Nicolas Sarkozy.

La comparaison avec Clinton que tu mentionnes est intéressante parce qu'il y a beaucoup de points communs (deux candidats de compromis, deux insiders, deux vainqueurs probables, populaires dans les médias intellos...) mais il y a, je pense, deux différences majeures: j'avais le sentiment que Clinton proposait en gros une certaine continuité, et que l'électorat démocrate manquait d'enthousiasme à son propos parce qu'il la connaissait trop et depuis trop longtemps; Macron, très souvent, adopte lui la posture de l'outsider qui va secouer le système, et il existe une curiosité à son propos dans l'électorat, mais qui s'accompagne d'une forte incertitude car, finalement, nous le connaissons assez mal (il a seulement 39 ans et se présente à une élection pour la première fois!).

JS: Très éclairant une nouvelle fois, merci! L'électeur de Lille considérait Le Pen comme une option, je ne parierais pas sur son degré de progressisme... Mais la chose étrange avec ces guerres de tranchées culturelles et ces mouvements nationalistes blancs comme Trump, Le Pen et le Brexit, est qu'ils semblent briser des frontières traditionnelles entre progressistes et conservateurs, au moins économiquement. En tout cas, je crois que je comprends mieux Macron maintenant.

Passons à Hamon: ne serait-ce pas une bonne chose pour lui d'avoir combattu Hollande durant sa présidence? Je veux dire, Hollande n'est-il pas le plus impopulaire président français depuis... le début? Et donc, le fait de s'opposer à lui –spécialement en courant le risque d'apparaître comme un hérétique à l'intérieur du parti du président– ne devrait-il pas passer pour une position courageuse et lucide, digne d'éloge et, au final, profitable politiquement? Ou sommes-nous juste dans une situation où la marque socialiste est tellement empoisonnée en France à cause de Hollande que tout candidat qui porte cette étiquette n'a aucune chance en 2017? (Et, au fait, qu'est-il arrivé à Ségolène Royal?).

JMP: Ségolène Royal est toujours là! Elle a essuyé une large défaite quand elle a tenté de conquérir une nouvelle fois l'investiture socialiste en 2012, et est maintenant une des ministres qui comptent au sein du gouvernement, à l'Environnement. Elle n'a pas encore dit si elle voterait Hamon ou Macron au premier tour (et à même dit, contredisant Hollande au passage, que Mélenchon faisait une «très bonne campagne»!), ce qui te dit tout des divisions actuelles des socialistes français...

Le problème avec Hamon est que son opposition à Hollande a été ambigüe au début, et le reste. Au printemps 2014, il a formé une alliance des quinquagénaires ambitieux avec le futur Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l'Économie Arnaud Montebourg pour évincer le Premier ministre de l'époque Jean-Marc Ayrault... pour au final se faire lui-même virer du gouvernement quatre mois plus tard quand il a demandé, avec le même Montebourg, une réorientation de la politique économique. En janvier 2017, il a vaincu Valls lors de la primaire du Parti socialiste, mais cette victoire fait partie de son problème: le PS est toujours officiellement le parti du président, et Hamon est supposé en représenter tous les électeurs, ceux loyaux à Hollande et Valls et ceux qui les critiquent. Et dans les mois qui ont précédé, beaucoup d'électeurs de gauche critiques envers Hollande avaient déjà fui, pour les plus libéraux d'entre eux, vers Macron, ou, pour les plus radicaux, vers Mélenchon, qui n'ont pas à prétendre qu'ils unissent un parti déjà existant: leurs partis sont bâtis autour d'eux.

JS: En ce qui concerne Mélenchon, on parle de quelqu'un radical à quel point? Et s'il est aussi haut dans les sondages, a-t-il vraiment une chance de se qualifier pour le second tour? Ou est-ce que le comportement de certains électeurs de gauche, terrifiés par la perspective que Le Pen puisse gagner s'ils soutiennent Mélenchon au premier tour, va tirer son score à la baisse?

JMP: D'un point de vue américain, très radical, je pense! Il veut par exemple mettre en place un taux marginal d'imposition maximal à 90% pour les revenus annuels supérieurs à 300.000 euros (durant la précédente campagne présidentielle, il avait lancé: «Au-dessus de 30.000 par mois, je prends tout!»). Il y a cinq ans, il était donné autour de 15% à un moment de la campagne, mais a fini à 11% car certains de ses électeurs ont choisi de voter pour Hollande pour assurer sa qualification au second tour. Cette année, il est donné autour de 18%-19% mais les choses sont un peu différentes car il fait figure de candidat le plus fort aux yeux de la gauche «classique» (Macron ayant un positionnement plus ambigu, à cheval sur le centre-gauche et le centre-droit) et peut bénéficier d'un désir de celle-ci d'avoir un représentant au second tour, et aussi du ralliement d'électeurs protestataires. Mais la situation est tellement complexe que les sondages montrent aussi que des électeurs de gauche pourraient voter directement pour Macron pour empêcher un second tour entre la droite et l'extrême droite, ce qui maintient Mélenchon dans un statut d'outsider –puissant, mais un outsider. Mais la situation est si folle ici que les sondeurs ont même testé un second tour Macron-Mélenchon!

JS: Et que se passe-t-il avec ce Fillon? Il a empêché un retour victorieux de Sarkozy, puis a été atteint par un scandale, et maintenant, en gros, s'est à peu près rétabli?

JMP: S'il n'est pas élu président le 7 mai, Fillon restera dans les mémoires comme l'un des plus gros désastres électoraux de notre histoire. Quand il a battu, à la surprise générale, Sarkozy et l'ancien Premier ministre Alain Juppé lors des primaires en novembre dernier, l'élection semblait gagnée pour lui: il était donné à 30% au premier tour et autour de 65% dans un second tour contre Le Pen. Il a ensuite souffert de deux problèmes. D'abord, il a gagné les primaires sur un programme économique assez radical, par exemple sur l'assurance-santé, qu'il a lui-même qualifié de «thatchérien», ce qui n'a jamais été très populaire ici et a fonctionné auprès de l'électorat de la primaire, mais beaucoup moins dans l'électorat en général. Ensuite sont arrivés les affaires, dans un phénomène de poupées russes: d'abord une affaire sur l'emploi de sa femme comme assistante parlementaire, puis une autre à propos de l'emploi de ses enfants, puis une autre sur des costumes de luxe offerts par un conseiller spécialisé dans les affaires africaines, etc etc... Tout cela est très problématique pour lui, qui avait construit sa campagne sur sa réputation d'intégrité: durant les primaires, il avait lancé, dans une allusion transparente à Sarkozy, «Qui peut imaginer le général De Gaulle mis en examen?» Ces derniers temps, il a stoppé l'hémorragie dans les sondages, mais y reste évalué à environ 19%, ce qui est très faible pour un candidat de droite.

JS: Et comment était le débat de jeudi soir?

JMP: Surréaliste. Il y a deux choses que tu dois savoir, d'abord que dans les dernières semaine avant une élection, nous avons une égalité totale de temps de parole pour tous les candidats: celui qui est annoncé à 0,5% des voix a le même temps de parole que celui qui est annoncé à 30%. Ensuite, nous n'avons pas de tradition de débat avant le premier tour (et seulement un dans l'entre-deux-tours). Pour la première fois, il y a donc eu un débat à onze début avril, mais celui de jeudi soir ne consistait qu'en une série d'interviews de quinze minutes, avec en gros les mêmes sujets pour tout le monde et aucune discussion. Et puis, environ une heure après le début, les présentateurs ont annoncé aux téléspectateurs la nouvelle de l'attaque sur les Champs-Élysées et, un par un, les candidats qui n'étaient pas encore passés y ont réagi. Juste après était prévue une déclaration finale de chaque candidat, et bien sûr tout le monde a commenté l'attaque, presque en temps réel.

JS: Si tu devais pronostiquer le résultat maintenant, qui enverrais-tu au second tour, et qui sera le prochain président de la République selon toi?

JMP: Si je devais parier, mon instinct me dirait que Le Pen sera un peu plus haut qu'annoncé (autour de 24-25%) et que Macron bénéficiera d'un vote utile d'électeurs de gauche effrayés par un second tour Le Pen-Fillon pour arriver juste derrière (vers 23-24%), quelques points au-dessus de Fillon et Mélenchon (disons autour de 17-19%). Puis, au second tour, il y aura l'habituel front anti-Le Pen de la part des électeurs de Hamon et Mélenchon, et aussi d'une proportion substantielle d'électeurs de Fillon, qui devrait permettre à Macron de l'emporter avec environ 60%, peut-être un peu plus. Mais ne parie pas toutes tes économies sur mes pronostics, car la politique française est devenue hautement imprévisible depuis un an! Par exemple, Le Pen connaît des sondages assez médiocres depuis plusieurs jours, et la plus grande des surprises pourrait bien être son élimination au premier tour...

À mon tour de te poser une question pour finir: si j'ai bien compris, tu as un passeport français, cela veut-il dire que tu votes dimanche?

JS: Haha. Je n'ai pas vécu en France depuis une bonne décennie, donc je vais passer mon tour. Mais maintenant, je me sens suffisamment informé, au point que J'AURAIS PU participer. Merci Jean-Marie! J'espère que la suite de l'élection se passera bien.

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