France

Attentat déjoué: comment empêche-t-on une attaque terroriste d'arriver?

En France, plus d’une vingtaine d’attentats ont été déjoués depuis un an. Comment ces projets sont-ils détectés?

Marseille, le 18 avril 2017 I BORIS HORVAT / AFP
Marseille, le 18 avril 2017 I BORIS HORVAT / AFP

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Mardi 18 avril à Marseille, deux individus soupçonnés de préparer un attentat à l’occasion de l’élection présidentielle ont été interpellés par la DGSI. La Direction générale de la sécurité intérieure, service de renseignement du ministère de l’Intérieur, est au cœur du dispositif antiterroriste. Selon son site officiel, elle œuvre à «la collecte d’indices ou d’éléments matériels parfois diffus mais qui, rassemblés, peuvent mettre au jour la préparation d’une action terroriste». 

À ses côtés travaille le Service central du renseignement territorial (SCRT), dont le rôle est proche de celui des anciens renseignements généraux (RG): avoir des «yeux» et des «oreilles» partout pour mailler le territoire et traquer les «signaux faibles» indiquant une radicalisation violente. Ces services côtoient la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) et le renseignement de la gendarmerie (SDAO).

Le renseignement intérieur collabore étroitement avec les autres structures de la «communauté du renseignement»: la DGSE (renseignement extérieur) qui «vient en appui à la DGSI lorsque la menace contre le territoire national est détectée à l'étranger», la Direction du renseignement militaire (DRM), la DRSD (contre-ingérence) la DNRED (douanes) et Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy. L’ensemble est piloté par le ministère de l’Intérieur et le Conseil National du Renseignement. Deux organes, l’UCLAT et l’EMOPT, sont censés faciliter la coordination entre les services, qui collaborent également avec la justice antiterroriste et les services de police antiterroristes. Mais c’est la DGSI qui centralise l’information, et qui effectue généralement les interpellations.

Plusieurs canaux d’information

Selon le gouvernement français, environ 2.000 personnes sont impliquées dans une forme de radicalisation religieuse violente ou des filières de recrutements djihadistes. La plupart sont connues des services de renseignement, mais les surveiller toutes en permanence est matériellement impossible. En traquant les «signaux faibles» de radicalisation, le renseignement territorial (SCRT) alimente la liste des individus à surveiller.

Les services de renseignement peuvent découvrir les projets d’attentats par plusieurs moyens. Premièrement, le renseignement humain, c’est-à-dire le recrutement d’informateurs, est fondamental. Deuxièmement, la surveillance physique (filatures), les écoutes téléphoniques et l’interception des autres communications, notamment électroniques (e-mails, applications de messagerie, réseaux sociaux). Ainsi, il semble que les mineurs en contact avec le djihadiste Rachid Kassim aient été trahis par leurs conversations sur Telegram. Troisièmement, les dénonciations et signalements effectués auprès des services de sécurité, parfois via le numéro vert «Stop Djihadisme» ou la plate-forme PHAROS.

Enfin, le partage d’informations entre services de renseignement est important: c’est ainsi qu’un projet d’attentat a été déjoué ce mardi 18 avril. Selon le Figaro, les services de renseignements britanniques ont découvert que le djihadiste Mahiedine Merabet cherchait à entrer en contact avec l’EI pour lui transmettre une vidéo d’allégeance. L’individu y apparaissait avec un pistolet-mitrailleur, un drapeau noir de l’organisation et avec un exemplaire du journal le Monde où figurait François Fillon. Les renseignements britanniques ont donc prévenu leurs homologues français.

Les signaux qui alertent

Certains terroristes sont interpellés parce que leur comportement indique qu’ils préparent un attentat ou qu’ils souhaitent se rendre en zone syro-irakienne. Cela peut apparaître dans les propos qu’ils tiennent (évocation de la cible, menaces contre les forces de l’ordre, publications de vidéos d’allégeance...) ou dans les démarches qu’ils effectuent (achat d’armes et d’équipement, préparatifs de départ pour la Syrie, installation de caches...).

C’est le cas des frères Salim et Ahmed Mosteghanemi, interpellés le 6 juillet 2015 à Fontenay-sous-Bois. Selon le rapport de la commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, ils «avaient attiré l’attention en tant que velléitaires pour le djihad syrien et par un comportement conspiratif. Ils avaient envisagé une action violente sur le territoire national contre des militaires, des policiers et/ou des juifs, et cherché à acquérir une arme de poing dans la perspective d’un vol à main armée.»

Quant à Tyler Vilus, arrêté le 2 juillet 2015 à Istanbul lors de son retour de Syrie, où il avait été en contact avec Abdelhamid Abaaoud, c’est «son parcours dans les rangs de Daech et sa recherche de clandestinité ont laissé craindre son implication dans un projet terroriste à court terme», selon le même rapport.

Ensuite, les perquisitions peuvent permettre d’obtenir des preuves matérielles de leurs projets d’attentats et de leurs liens avec des organisations terroristes. Hakim Marnissi, qui projetait un attentat contre des militaires de la base de Toulon, a fait l’objet d’une perquisition, permettant de découvrir «des cagoules noires, un poignard de combat et deux pièces de monnaie de Daech.» Il a été arrêté par la DGSI le 29 octobre 2015.

Chez Issa Khaïev, un Tchétchène de 27 ans soupçonné d’être passé par la Syrie, une perquisition administrative a permis de découvrir une vidéo où il faisait allégeance à l’EI. Il a été interpellé le 15 décembre 2015. Enfin, dans une cache utilisée par Reda Kriket, arrêté le 24 mars 2016, «la découverte d’armes de guerre, de substance explosive (TATP) et de matériel entrant dans la fabrication d’engins explosifs improvisés» a démontré l’existence d’un projet d’attentat.

Une mission qui se complique

La structure administrative du renseignement français demeure excessivement complexe, ce qui ne facilite pas son travail. Plusieurs rapports parlementaires ont proposé des pistes pour simplifier son fonctionnement, qui n’ont pour la plupart pas été mises en œuvre. Le renseignement rencontre également des difficultés liées au manque de moyens humains et matériels. Enfin,«la coopération avec les services de renseignements étrangers fonctionne bien sur le plan bilatéral, mais on manque d'outils de partage, notamment au niveau européen, pour mutualiser les informations», selon Jean-Charles Brisard, directeur du Centre d’Analyse du Terrorisme.

Par ailleurs, de plus en plus de projets d’attentats sont effectués par des individus seuls, soit inspirés par la propagande djihadiste, soit «téléguidés» par un donneur d’ordres comme Rachid Kassim. Ces terroristes ne cherchent pas à se procurer des armes ni à fabriquer des explosifs élaborés, et n’ont pas forcément de contacts physiques avec d’autres terroristes. Autant d’indices qui ne pourront pas alerter les enquêteurs. Larossi Aballa était surveillé de près par la DGSI, mais son projet d’attentat contre des policiers à Magnanville, avec un simple couteau, n’a pas été détecté. Malheureusement, on sait depuis l’attentat de Nice que ce terrorisme «low-cost» peut-être aussi meurtrier qu’une attaque impliquant des armes de guerre.

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