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La Russie intervient depuis longtemps dans la politique française

Si la Russie se démarque cette année par une ingérence manifeste, le pays a toujours aimé s'immiscer dans les élections présidentielles françaises. Notre journaliste Daniel Vernet a même été l'acteur involontaire d'une polémique autour de cette ingérence, lors de la campagne de 1981.

Valery Giscard d'Estaing le 22 juin 1977 à Rambouillet lors d'une visite en France de Leonid Brejnev. POOL / AFP
Valery Giscard d'Estaing le 22 juin 1977 à Rambouillet lors d'une visite en France de Leonid Brejnev. POOL / AFP

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Dans cette campagne présidentielle, la Russie ne cache pas ses préférences. Elle les manifeste même par divers moyens, des plus sophistiqués –comme la manipulation des réseaux sociaux ou les tentatives de piratage des sites des candidats considérés comme hostiles–, aux plus traditionnels –soutien affiché par le soft power russe comme l’agence Sputnik ou Russia Today qui font la part belle aux candidats amis, ceux-là mêmes qui ont l’honneur d’avoir été reçus par Vladimir Poutine, comme François Fillon et plus récemment Marine Le Pen.

Tradition soviétique

Ce n’est pas la première élection présidentielle française où Moscou affiche ses sympathies. Du temps de l’Union soviétique, c’était déjà le cas. Les soutiens n’arrivaient pas toujours là où on les aurait attendus. Certes le PC soviétique contribuait indirectement aux financements des campagnes du parti frère français, notamment par l’intermédiaire de la Banque commerciale pour l’Europe du nord. La presse soviétique exprimait sa «solidarité de classe» avec les candidats communistes quand ils se présentaient à la présidentielle, sans toutefois attendre ni espérer qu’ils gagnent.

La direction soviétique avait aussi un penchant pour le gaullisme et ses succédanés. Ils lui paraissaient les garants d’une politique étrangère indépendante des États-Unis, donc plus favorable aux intérêts de l’URSS, contrairement à la droite classique, aux centristes et aux socialistes, fourriers de l’atlantisme.

Face à François Mitterrand dont ils se méfient comme de tous les «sociaux-traîtres», les dirigeants soviétiques préfèrent VGE

Une exception cependant: Valéry Giscard d’Estaing. Il n’appartient pas à la famille gaulliste même si à l’élection présidentielle de 1974 il est soutenu par une partie des gaullistes, ceux qui ont abandonné Chaban-Delmas. Face à François Mitterrand dont ils se méfient comme de tous les «sociaux-traîtres», les dirigeants soviétiques préfèrent VGE. Et ils le montrent, au moins indirectement. Leur ambassadeur à Paris, Stephan Tchervonenko, rend visite au candidat-ministre des finances dans son bureau du Louvre, deux jours après le premier tour, sous prétexte de faire avancer quelques dossiers de coopération économique. Le signal est clair. Et ne trompe pas les communistes français qui soutiennent Mitterrand. Le PCF publie un communiqué dénonçant une ingérence dans la campagne. Il est vrai que les relations entre Moscou et plusieurs partis communistes d’Europe occidentale, dont le PCF, traversent alors une passe difficile.

Déchiffrer les signes

Les Soviétiques récidiveront en 1981. L’auteur de ses lignes a été un acteur involontaire –et secondaire– de la polémique autour du soutien de Moscou à VGE. Correspondant pour Le Monde en URSS, je scrutais alors dans la presse officielle –il n’y en avait d’ailleurs pas d’autre– les signes permettant de déchiffrer la position soviétique vis-à-vis de l’élection présidentielle. Très tôt, la Pravda, organe central du PCUS, a dénoncé «l’atlantisme» de François Mitterrand, rendu hommage au camarade Georges Marchais et loué la politique étrangère de Giscard. En mars, nouvel article du correspondant du journal à Paris. Critique de la politique économique et sociale du président sortant mais éloge de sa politique étrangère. Un homme sage qui a consolidé les positions de la France sur la scène internationale.

La balance penche donc du bon côté. Je risque une conclusion: contre Jacques Chirac et François Mitterrand, la Pravda crédite Valéry Giscard d’Estaing d’un bilan «globalement positif». Dès que Le Monde parait l’après-midi du 13 mai, c’est l’effervescence dans l’entourage du président. On cherche en vain dans l’article du quotidien soviétique la phrase entre guillemets. Et pour cause. Elle n’y figure pas. J’ai utilisé la formule en référence à un ouvrage paru quelques années auparavant, signé par quelques intellectuels du PCF qui se voulaient critiques vis-à-vis du communisme soviétique. Le livre n’en concluait pas moins à un «bilan globalement positif» de l’expérience soviétique.

Le Dictionnaire du bon usage de Maurice Grevisse qui fait autorité pour la langue française a raison: les journalistes ont tendance à abuser des guillemets. Je les avait utilisés non pour marquer une citation mais comme une sorte de clin d’œil pour souligner la parenté entre l’embarras des communistes français pour critiquer mais sans aller trop loin le parti frère soviétique et celui des Soviétiques soutenant un candidat bourgeois contre le héraut de la gauche.

L'Afghanistan avant la Syrie

Sur le fond, guillemets ou pas, rien n’était changé. Mais l’incident venait alimenter une polémique née l’année précédente après l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique à Noël 1979. Comme aujourd’hui la Syrie ou l’Ukraine, la décision de Moscou avait divisé la classe politique française. Georges Marchais, depuis la capitale soviétique, avait approuvé une action visant à mettre fin «au droit de cuissage» dans ce pays musulman. François Mitterrand l’avait condamnée; VGE restait prudent, ne désespérant pas de jouer un rôle de médiateur. En mai 1980, il rencontre le numéro un soviétique Leonid Brejnev à Varsovie dans la plus grande discrétion. Même l’ambassadeur de France à Moscou est tenu dans l’ignorance. Brejnev lui promet de retirer rapidement d’Afghanistan une partie de ses soldats.

Fort d’avoir arraché à Brejnev cette promesse, Giscard annonce le mois suivant le retrait partiel du contingent soviétique en Afghanistan à ses collègues du Conseil européen. Et en effet des mouvements de troupes ont lieu. Des unités rentrent en URSS… immédiatement remplacées par d’autres. François Mitterrand se gausse de son concurrent devenu le «petit télégraphiste» de Moscou. L’incident de la Pravda renforce le sentiment, qui n’est pas faux, que VGE s’est montré trop conciliant, voire naïf, avec les Soviétiques dans sa volonté de jouer un rôle entre les deux superpuissances à la manière d’un De Gaulle. Dans la crise dite des euromissiles qui fait rage depuis la fin de 1979, il refuse ainsi de se joindre aux protestations occidentales contre l’installation des SS-20 soviétiques qui menacent l’Europe. Il manifeste une neutralité qui convient au Kremlin. Sur ces deux questions, l’Afghanistan et les euromissiles – «les fusées sont à l’Est et les pacifistes à l’Ouest»–, Mitterrand pratiquera la politique inverse de celle de son prédécesseur, provoquant un froid dans les relations franco-soviétiques qui durera jusqu’à l’avènement de Gorbatchev en 1985.

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