France

Cette campagne est mystique

Sous ses airs de laïcité, cette campagne est pétrie de mysticisme et de religion.

Eric FEFERBERG / AFP
Eric FEFERBERG / AFP

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Et tout à coup, dimanche 9 avril, clôturant son meeting de Marseille face à une Méditerranée étincelante sous le soleil et un Vieux port de carte postale, on entendit Jean-Luc Mélenchon prêcher cette bonne parole à ses 70.000 fidèles: «Et maintenant, mes frères, mes sœurs, donnez-vous la main. C’est la paix!». Ce même dimanche des Rameaux, une semaine avant Pâques, les chrétiens du monde entier –comme à chaque messe après la récitation du Notre Père– faisaient un «geste de paix» en donnant la main au voisin et lui disant: «La paix du Christ soit avec toi».

Quelques minutes avant, le candidat de la France insoumise avait martelé les mots: «Il faut que cesse la guerre contre les pauvres». Une injonction sortie tout droit de la bouche du pape François. Et il avait invoqué l’exigence du «bien commun», principe suprême de la «doctrine sociale» de l’Eglise, contre les «intérêts singuliers».

Rarement dans une campagne électorale aura-t-on autant fait profession de foi de… laïcité! Et en même temps, dans les meetings ou à la télévision, adopté autant de postures religieuses, imité autant la gestuelle, l’incantation, le rite, la liturgie des cérémonies. Le mardi 11 avril à Lille, le même Jean-Luc Mélenchon –manifestement inspiré par le mystère pascal de la souffrance et du «sang» versé (par le Christ) comme signe de mort et de résurrection - s’est livré à une morbide menace contre François Fillon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron: «Si vous élisez un de ces trois-là, vous allez cracher du sang».

Chantre de l’extrême-droite intégriste, Patrick Buisson ne s’y est pas trompé et, dans Le Point, a reconnu l’un des siens et rendu hommage à «un discours qui emprunte des symboles à la spiritualité». Il en a conclu:

«Si le christianisme est le refus de la domination absolue de la marchandise –ce que la Bible condamne comme le culte des idoles–, Mélenchon est plus chrétien que Macron quand celui-ci se rend à Las Vegas ou entend faire de la France une smart nation».

Comment ne pas se souvenir ici des origines catholiques de Jean-Luc Mélenchon, de son passé de servant de messe qui, en 2012, déclarait déjà à L’Express: «Je ne me suis jamais moqué de la foi et je ne le ferai jamais». Ajoutant pour l’hebdomadaire chrétien La Vie: «J’éprouve une jubilation à discuter avec des gens qui ont la foi. Ils se situent dans un espace comparable au mien, dans un domaine plus grand que soi.» Il revendiquait alors être «le seul dirigeant de gauche» à lire les encycliques des papes. Cinq ans après, dans une interview à Famille chrétienne, il récidive: «Je suis de culture catholique, je connais la maison!»

Macron, prédicateur mystique

Emmanuel Macron aussi connaît la maison et n’est pas en reste. Le 10 décembre 2016, à la fin de son meeting de la Porte de Versailles, exalté après une homélie incantatoire d’une heure et demie, écarte les bras en croix, lève ostensiblement les yeux au ciel et, dans une pose quasi-mystique, hurle au micro, jusqu’à s’égosiller, pendant trente secondes:

«Mon projet, je le porterai dans la durée, je le porterai jusqu'au bout! Maintenant, votre responsabilité, c'est d'aller partout en France pour le porter, et pour gagner! Ce que je veux, c'est que vous, partout, vous alliez le faire gagner! Parce que c'est notre projet! Vive la République, et vive la France!» Le candidat d’En marche est immédiatement étrillé par les réseaux sociaux. On moque son style «christique», ses airs de gourou et de «télévangéliste».

 

La comparaison des meetings électoraux avec les shows religieux à l’américaine n’est pas nouvelle. Lors de la campagne de 2007, Ségolène Royal, avec ses drapés bleu et blanc, ses longs voiles, son regard extatique et ses pas de danse, avait rejoué la figure de la «Madone». Pas nouvelle non plus l’analogie entre les partis de masse, comme le PCF d’hier, leur hiérarchie, leur mystique, leurs rites, la communion de leurs fidèles, et les grandes Eglises mondiales. Mais aujourd’hui, avec l’omniprésence de la télé et des réseaux sociaux, l’ingérence de plus en plus puissante des communiquants, la primauté donnée au charisme, au buzz, au raccourci, à l’audience, à la théâtralisation des rassemblements, c’est toute la politique qui transpire la religion.

Emmanuel Macron reviendra, deux mois plus tard dans le Journal du dimanche, sur cette posture mystique:

«La dimension christique, je ne la renie pas. Je ne la revendique pas non plus. Je ne cherche pas à être un prédicateur christique».

Il a admis avoir reçu un «message» un peu spécial, l’assurant qu’il avait «été choisi par ce qui est au-dessus de nous», soit par Dieu lui-même! Il en a tiré la leçon que si les Français détestent de plus en plus les hommes politiques, ils ne renoncent pas pour autant au sacré. Mais le candidat d’En marche! ne se sent pas une vocation prophétique: «Beaucoup de gens ont ça en tête, car la politique, c’est mystique. Mais moi, je ne crois pas à la transcendance éthérée. Je ne sépare pas Dieu du reste»! Brigitte Macron, son épouse, aurait pourtant confié un jour à un ami:

«Tu sais, ce n’est pas marrant de vivre avec Jeanne d’Arc»!

En bon chrétien, Emmanuel Macron demande toujours dans ses meetings le respect de l’adversaire, interdit à ses supporters de le siffler ou le huer. Il en appelle à la «bienveillance». Lui aussi, comme Mélenchon, a des réminiscences de son éducation chez les Pères jésuites de La Providence à Amiens. Avant sa vie de banquier, il avait fréquenté le philosophe protestant Paul Ricoeur et collaboré à Esprit, revue de chrétiens progressistes. Mais le candidat d’En marche! a parfaitement intégré le jeu laïque. Il se plaint «des écoles confessionnelles qui enseignent la haine de la République», mais sa laïcité est plus souple que celle d’un Manuel Valls: «Je ne crois pas qu'il faille inventer de nouvelles lois, de nouvelles normes, pour aller chasser le voile à l'université ou traquer ceux qui, lors des sorties scolaires, peuvent avoir des signes religieux».

«Je vous aime»

Si les coups pleuvent dru dans les meetings ou les débats télévisés, les mots «amour», «bienveillance», «espérance», lexique d’une spiritualité molle et un peu racoleuse, reviennent aussi dans la galaxie sentimentalo-mystique de cette campagne. Macron clôt volontiers ses discours par un retentissant «Je vous aime». Mélenchon quant à lui, autoproclamé «candidat de la paix», fait appel au sentiment: «Ca se voit, ça s’entend. Vous sentez bien, mes amis, que la vague se lève»

Marine le Pen, de son côté, se dépeint aussi en «femme de cœur», demande à être mieux connue et reconnue, à être délestée de son image d’ «antihéros», figure imposée et mécanique de la rancœur et de la haine. «Derrière la femme politique, il y a la mère, la sœur…», implore t-elle. Dans une interview à La Croix du 14 avril, elle dit encore: «Je suis extrêmement croyante et j’ai la chance de ne jamais avoir douté. Mais je suis fâchée avec l’Eglise dont je pense qu’elle se mêle de tout, sauf de ce qui la concerne».

Seul François Fillon dépare. Lui ne revendique pas l’amour des autres, mais un choix de raison: «Je ne vous demande pas de m’aimer», ose t-il clamer en plein meeting, porte de Versailles le 9 avril, choquant même ses militants. «Je vous demande seulement de me soutenir». Et pour cause… En moins de trois mois, courbé sous le poids des affaires, le candidat républicain est passé de l’homme sincèrement croyant, confessant et pratiquant, qu’il revendiquait au début de sa campagne, soutenu par les milieux catholiques traditionnels, à la figure du menteur, du trafiquant, du Malin. De la dévotion à l’outrage. Guetté et rattrapé par le destin tragique d’Œdipe, le héros grec, et de Job, l’homme souffrant de la Bible, devenus, si on se souvient de René Girard, les deux figures classiques du «bouc-émissaire»: «Œdipe s’en sort en reconnaissant ses fautes. Job, en protestant jusqu’au bout de son innocence, voit ses malheurs s’aggraver», écrit, avec pertinence, un écrivain, Pauline Dreyfus, dans le quotidien La Croix.

Ainsi va l’étonnante campagne présidentielle de 2017. La politique qu’adorent les médias et la publicité est de plus en plus celle des punch-lines, du buzz incessant et de l’émotion dégoulinante. Mais aucun candidat n’oublie que la religion reste un pôle de références et de convictions, un pourvoyeur de rites, de sens, de mystères et de symboles, le lieu des rassemblements les plus réguliers et fervents. Alors, quand bien même la pratique religieuse décline et s’effondre, que la connaissance des dogmes et des rites approche de zéro, que la figure du «religieux» pacifique devient rare, étrange, indifférente à l’audimat, les hommes politiques continuent de puiser à l’expérience mystique, dans des liturgies devenues folkloriques, étranges, exotiques. Comme s’ils avaient intégré le succès, souvent éphémère, des «téléprédicateurs» à partir de médiations courtes, de messages simples, directs et personnalisés par un chef charismatique ou un gourou.

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