France

Décalées, trop en avance... Les propositions étonnantes des anciens candidats à la présidentielle

En épluchant toutes les professions de foi de 1965 à 2012, nous avons retenu des idées qui nous racontent l'évolution du scrutin et de notre société.

De gauche à droite: Marcel Barbu, Alain Krivine, Bertrand Renouvin, Frédéric Nihous et Jacques Cheminade. AFP / AFP / AFP / JOSE NAVARRO/AFP / PASCAL GUYOT / AFP.
De gauche à droite: Marcel Barbu, Alain Krivine, Bertrand Renouvin, Frédéric Nihous et Jacques Cheminade. AFP / AFP / AFP / JOSE NAVARRO/AFP / PASCAL GUYOT / AFP.

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Condensé des programmes des candidats aux élections, les professions de foi n'excluent pas, évidemment, parfois des idées étonnantes, voire farfelues, de la part de ceux qui ont aspiré à devenir un des présidents de la Ve République française. Décalées, trop en avance, symboles de leur époque... Nous en avons sélectionné onze qui racontent à leur manière l'histoire du scrutin et de notre société.

«Fixer le prix du blé à 47,5 francs le quintal, toutes taxes déduites, de la viande à 370 francs les 100 kilos vifs et du lait à 0,59 francs le litre pour 34 g. de m.»

Jean-Louis Tixier-Vignancour, sans étiquette (extrême droite), 1965

Le nez dans la mondialisation et le libre-échange généralisé, nous oublions souvent qu’à une époque pas si lointaine, la fixation des prix était une politique envisageable. Le candidat d’extrême-droite Jean-Louis Tixier Vignancour nous ramène à une époque presque désuète, où l’Etat pouvait décider du prix du «quintal de blé» ou des «100 kilos vifs» de viande. Une manière de nous rappeler qu’en 1965, c’était encore le politique, et non l’économique, qui tenait les rênes du «nécessaire».

«Constitution de milices ouvrières, organisation de piquets d'autodéfense, de comités de vigilance, de brigades d'intervention contre “les provocations et agressions fascistes” des SAC, CDR, CFT dans les lycées, les facultés et les quartiers»

Alain Krivine, Ligue communiste en 1969, puis Front communiste révolutionnaire en 1974

Alain Krivine était un candidat trotskiste, un vrai: le représentant de la Ligue communiste révolutionnaire (ancêtre du NPA) envisage donc un État militant. Sus, donc, aux «commandos réactionnaires», les Comités de défense de la République (CDR) et le Service d’action civique (SAC), des groupes gaullistes de maintien de l’ordre, assimilés à des «fascistes». Quant aux CRS, principaux agents de la «répression» des manifestations de Mai 68, ils seront dissous par l’État communiste de Krivine. Et le candidat n’en démordra pas, réitérant sa proposition en 1974 pour lutter contre ce qu’il appelle un possible «coup d’État de la bourgeoisie».

«Favoriser l'accession à la résidence de week-end en campagne»

Louis Ducatel, sans étiquette (radical-socialiste indépendant), 1969

L'année 1969 est synonyme de prospérité et de progrès dans nos esprits de 2017. Mais on oublie aussi qu’à l’époque, la construction massive de barres d’immeubles et l’exode rural créent une forme d’angoisse, notamment chez les laissés pour compte de l’urbanisation effrénée. Louis Ducatel, candidat iconoclaste sans parti, promettait en conséquence de faire respirer le bon air de la campagne à ces Français stressés… Un voeu pieux, resté lettre morte.

«Permettre l'épanouissement d'une société communautaire fondée sur l'amitié pour redonner un sens de l'existence et une espérance à notre peuple»

Bertrand Renouvin, Nouvelle Action royaliste, 1974

Bertrand Renouvin dispose d’un profil singulier: né en prison d’une mère écrouée parce que résistante, père mort à Mathausen, militant royaliste dès l’adolescence… Il n’était pas encore en âge de voter que son existence était imprégnée des plus grands moments de l’Histoire. C’est peut-être cela qui lui permettra de donner un sens grandiloquent à ses propositions… comme celle de «permettre l’épanouissement d’une société communautaire fondée sur l’amitié». Face à la pensée productiviste qui se répand et vante la croissance, Bertrand Renouvin veut revenir aux fondements philosophiques de la France. Et vante plutôt sa «culture», son «art de vivre» et son «langage».

«Création d'un ministère de la Paix»

Pierre Juquin, communiste rénovateur, soutenu par le Parti socialiste unifié et la Ligue communiste révolutionnaire, 1988

Alors que la guerre froide s’approche de sa fin, Pierre Juquin anticipe déjà ses conséquences. Pour éviter de replonger dans les conflits, le candidat à l’élection présidentielle de 1988 propose de créer un «ministère de la Paix», chargé de s’assurer de la paix dans le monde. «Communiste rénovateur», exclu du PCF en 1987, Juquin prône l’égalité des peuples et le désarmement total du pays, en renonçant principalement à l’arme nucléaire. Son appel ne reçoit que peu d’écho, avec 2,10% des suffrages exprimés au premier tour.

Médicalisation des drogues dures pour protéger les toxicomanes et lutter contre le sida

Dominique Voynet, Les Verts, 1995

En 1995, 110.000 personnes sont porteuses du virus du sida en France. Un chiffre qui alarme la candidate écologiste Dominique Voynet, anesthésiste de professsion. Elle n’y va donc pas par quatre chemins: en plus de la prévention, il faut autoriser l’accès aux drogues dures dans un cadre médical pour «protéger les toxicomanes», qui figurent parmi les principaux contaminés par le VIH. Une proposition encore plus poussée que les déjà controversées «salles de shoot» ouvertes en France plus de vingt ans plus tard.

«Promouvoir un label éthique “Respect des Femmes” engageant les entreprises, les publicitaires et les médias contre les images dégradantes»

Christine Boutin, Forum des républicains sociaux (FRS), 2002

De son opposition acharnée au Pacs à ses foucades anti-avortement, Christine Boutin s’est toujours faite la porte-parole d’une certaine vision de la famille… et des bonnes moeurs en société. Ainsi, dans sa profession de foi en 2002, la candidate chrétienne cherche à protéger la société des «images dégradantes» de la femme que l’on peut voir dans les publicités ou les médias. Christine Boutin ne semble plus faire confiance au rôle des parents qui mettent les mains devant les yeux de leurs enfants pour cacher des seins qu’ils ne sauraient voir… C’est à l’Etat de s’en charger, en promouvant un «label éthique “Respect des Femmes”». Quinze ans plus tard, elle doit enrager en regardant les clips de Nicki Minaj diffusés à la télévision!

Promotion du bien-être animal, mais pas au détriment de l'Homme

Frédéric Nihous, Chasse, pêche, nature et traditions, 2007

Dirigeant de CNPT, Frédéric Nihous se sent nécessairement concerné par la cause animale. Par contre, ne lui parlez pas de la question animalière dans les idées écologistes. Nihous est pour le bien-être animal, attention, mais pas avant celui de l’Homme sur la Terre. Il n’hésite pas à qualifier certaines idées concernant protection et les droits des animaux de «délires» et parle même d'une «écologie punitive», qu’il souhaite combattre. Une certaine vision de la France peut-être, mais surtout une certaine vision des bêtes.

Baisser de 10 centimes le prix du litre d'essence en contrôlant Total

Nicolas Dupont-Aignan, Debout la République, 2012

Pour récupérer de l’argent, l’idée de piocher dans les caisses des entreprises françaises les plus florissantes est tentante. Mais Nicolas Dupont-Aignan avait lui une autre idée en tête. Pour pallier aux fluctuations dangereuses et de plus en plus haute du prix du pétrole, le candidat de droite souhaitait, en 2012, que l’État reprenne le contrôle de Total pour mieux déterminer le prix de l’essence pour les citoyens. Difficile à imaginer alors que l’État s’était désengagé du groupe pétrolier sous le gouvernement d’Édouard Balladur (qui appartenait alors au même parti que Dupont-Aignan) et que le plus gros actionnaire ne possède aujourd’hui que 5,6% de l’entreprise. Bref, une proposition aussi surprenante que difficilement applicable.

«Maîtriser la fusion thermonucléaire et les réactions matière antimatière pour créer une dynamique d'acroissement de l'appareil productif»

Jacques Cheminade, Solidarité et Progrès, 2012

Prenons un instant, voire un Doliprane, pour analyser cette mesure. Jacques Cheminade insiste en 2012 sur l’importance du progrès technique et notamment du développement de la physique nucléaire, qui étudie le noyau atomique et ses interactions avec les particules qui les rencontrent. La fusion nucléaire est notamment le processus physique créateur d’énergie dans le soleil et la plupart des étoiles.Cette technologie est selon le candidat la meilleure manière de maîtriser la création de matière et donc d’améliorer la production en France. Alors que les études sur le sujet remontent aux années 50, aucune utilisation civile de ce procédé n’a réellement eu lieu.

Élection d'un vice-président de la République au suffrage universel à la tête du ministère des Droits de l'homme

Marcel Barbu, sans étiquette, 1965

Retour à la case départ pour finir avec Marcel Barbu, petit candidat de la présidentielle 1965, quasiment oublié aujourd’hui. Pourtant, celui que le général de Gaulle décrivait comme un «brave couillon» est l’un des candidats les plus atypiques de l'histoire: se décrivant comme le défenseur des «chiens battus», il était capable d’éclater en sanglots à la télévision en s’adressant De Gaulle. Avec un programme prônant «la liberté et le respect de l’homme, par l’amour, par la justice et la vérité», il était tout naturel que le candidat propose la création d’un ministère des Droits de l’homme, chargé d’organiser le «sauvetage de toute homme et de toute communauté en danger de mort». Mais l’entrepreneur au grand coeur n’a obtenu que 1,15% des voix…

Pour cette élection présidentielle, Slate.fr s'est associé à un projet de quatre étudiants du Centre de formation des journalistes (CFJ) décryptant l'histoire des campagnes présidentielles à travers un des passages obligés de tous les candidats: la profession de foi. Cet article constitue le deuxième d'une série après un article consacré à l'émergence des questions d'égalité femme-homme.

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