Boire & manger

Le Duc, la table indispensable pour tous les amateurs de poisson

Depuis un demi-siècle, ce restaurant parisien part à la quête des goûts vrais de la pêche durable.

Restaurant Le Duc © Lisa Klein Michel
Restaurant Le Duc © Lisa Klein Michel

Temps de lecture: 6 minutes

Tout en haut du boulevard Raspail, pas loin du cimetière Montparnasse, Le Duc des frères Minchelli, marseillais d’origine, a connu de graves problèmes de fréquentation dès l’ouverture, dans les années 1960: les poissons crus ou à peine cuits ont fait fuir la belle clientèle qui criait au scandale, se sentant flouée d’avoir à manger des langoustines croquantes, jamais passées par la poêle, de la provocation!

Salle du restaurant Le Duc © Lisa Klein Michel

En fait, les deux frères, Paul aux fourneaux et Jean, maître de la salle à manger décorée comme un yacht «old fashion», avaient émigré de Marseille, à la Flotte-en-Ré et s’étaient lancé dans la restauration marine, leur passion de toujours.

Au contact des pêcheurs locaux, ils avaient bien observé la manière simple et angélique de savourer des filets de bar cru, des rougets à peine saisis, du homard (en saison) dans sa robe naturelle, du thon rouge et des noix de Saint-Jacques sorties de leur coquille et dégustées tel quel, un tour de moulin à poivre et rien de plus. Une révolution? Non, une autre façon de se nourrir des joyaux de la mer.

«Pour les deux frères, pêcheurs dans l’âme, les poissons et les crustacés chez eux à la Flotte avaient le bon goût, la fraîcheur, la saveur iodée que l’on devait retrouver dans l’assiette: ainsi, avaient-ils en bouche la vérité des cadeaux de la mer à peine sortis de l’eau», confie Pascal Hélard, breton de Saint-Brieuc, le chef actuel de Le Duc.

Il a succédé à Paul Minchelli, extraordinaire sorcier de la faune marine, parti cuisiner rue Mazarine (75006). Son frère Jean, très attachant, patron de la salle confortable, est décédé en 1991.

Carpaccio au restaurant Le Duc © Lisa Klein Michel

Répertoire unique

Le Duc sans ses valeureux créateurs a poursuivi son chemin grâce à Jeanne Minchelli, la veuve de Jean, à la tête de Le Duc. L’élégant Pascal Hélard, le chef, passé par Laurent de Marc Pralong et la Barrière de Clichy, a su maintenir et développer le répertoire unique à Paris de ce restaurant pionnier de la gastronomie marine, riche d’une quarantaine de préparations d’une stupéfiante diversité: trois recettes de Saint-Jacques, six grosses langoustines soufflées ou à la mayonnaise (60 euros), cinq préparations de homard, trois de bar de ligne, des crevettes, une soupe de poissons (20 euros), une salade de crabe frais (40 euros) et un must absolu, le tartare de bar et saumon partout copié (15 euros). Un seul plat de viande: le filet de bœuf aux huîtres perle blanche (40 euros).

Filet de bœuf aux huîtres perle blanche au restaurant Le Duc

En réalité, les deux frères ont surfé sur la vague de la nouvelle cuisine prônée par Gault & Millau, grands défenseurs du style Le Duc: dépouillement et légèreté. C’est l’époque, le début des années 1960-1970, où les compositions poissonnières héritées d’Escoffier (Le Guide culinaire, 1903) ont peu de finesse, recouvertes de feuilletage, nappées de sauces collantes. Quelle était la saveur du turbot camouflé dans un appareil pâteux et la saveur de la sole farcie d’une mystérieuse chair de poisson, de mie de pain et de crème?

Le homard Thermidor du maître Escoffier, né à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), était recouvert d’une sauce béchamel à la crème mélangée à de la moutarde –et du beurre fondu à la surface.

C’est l’époque où chez Paul Bocuse à Collonges au Mont d’Or (trois étoiles depuis 1965), le loup de Méditerranée est emballé dans une croûte farineuse, découpée en salle et mouillée d’une sauce Choron tomatée: l’archétype du plat de concours et de cuisine d’hier que le grand Paul conserve sur sa longue carte (aujourd’hui encore), témoignage d’une certaine maestria culinaire.

De cela, ces apprêts lourdingues, ces poissons masqués par des artifices –deux sauces inutiles pour un turbotin– les Minchelli n’en veulent pas chez Le Duc. Ce n’est ni leur culture, ni leurs racines, ni leur manière de mettre en valeur les rougets, les lottes, les saumons, les cabillauds, les grosses soles apportées chaque matin à Rungis par leur mandataire livreur, en contact avec de bons pêcheurs des côtes bretonnes ou normandes. Les Minchelli sont alors parmi les plus fins dégustateurs des trésors de la mer, leur mémoire gustative forgée à la Flotte-en-Ré est leur boussole.

Fricassée de lotte à la provençale © lesrestos.com

Combien d’années de demi succès, de salles presque vides? Ils ont tenu bon la barre de ce Le Duc révolutionnaire, persuadés d’être dans le vrai et puis, impossible pour eux de singer le homard Newburg (carcasses pilées), le bar en croûte de sel ou les langoustines noyées dans un beurre maître d’hôtel de Lasserre et Maxim’s, vestiges d’une époque révolue.

Pascal Hélard © Lisa Klein Michel

Ambiance «yacht d'autrefois»

Les Minchelli, aventuriers de la mer, et aujourd’hui le chef Hélard, 53 ans, le disciple qu’ils ont rêvé d’avoir, déploient une sorte d’amour pour les produits de la mer, et le chef breton s’avoue tout ému de découvrir le matin des langoustines vivantes de 8 centimètres, les bars aux écailles nacrées, le saumon sans colorant, le cabillaud ferme et le homard bleu destiné à la rarissime soupe tiède (70 euros). Tous ces trésors qu’il va s’agir d’embellir, de cuire doucement à la poêle et de parler à ces cadeaux marins, comme le fait Alain Passard à l’Arpège: deux humanistes de la bonne chère.

Crevettes sautées © lesrestos.com

Le Duc est-il le meilleur restaurant de poissons de Paris, comme l’ont clamé les fidèles d’hier? François Mitterrand, fou des coquillages, Françoise Sagan, Claude Berri, Marguerite Duras, Serge Gainsbourg, Claude François et ceux d’aujourd’hui: Pierre Bergé, propriétaire de Prunier, les éditeurs d’Albin Michel tout proche et ce fameux chroniqueur de tables bien enrobé, une fine gueule qui a perdu dix kilos en trois mois, basses calories à chaque repas. Le Duc a suscité nombre de copieurs, la rançon du succès.

Les grands restaurants ne meurent pas si on sait s’en occuper et les préserver de la décadence et du temps destructeur: c’est ce que disait Roger Viard, directeur historique de Maxim’s à la grande époque des trois étoiles.

Le Duc, dans son ambiance «yacht d’autrefois», a été étoilé au Michelin en 1990 puis rétrogradé pour des raisons mystérieuses et injustes: la table marine ne connaît pas la crise, on affiche complet tous les soirs, l’addition n’est pas donnée. Les poissons de pêche durable ont un coût singulier, et Pascal Hélard ne lésine pas sur la qualité: pas de grande cuisine simple sans matières premières impeccables.

Coquilles Saint-Jacques © restaurantleduc

Jeanne Minchelli, l’épouse courageuse et généreuse du regretté Jean, au caractère bien trempé, vient de passer le relais à son fils Dominique à l’humour décapant, très apprécié des personnels de salle et de cuisine.

À midi, la création remarquée du menu à quatre plats a drainé une nouvelle clientèle connaisseuse qui fuit les tristes brasseries vides au dîner de Montparnasse, sinistrées hélas –impossible de stationner et la crise qui n’en finit pas.

Oui, Le Duc a créé une mode gustative qui s’est ancrée dans le paysage gourmand de la capitale : cela s’appelle le succès.

• 243, boulevard Raspail 75014 Paris. Tél.: 01 43 20 96 30. Menu au déjeuner à 55 euros. Carte de 70 à 130 euros. Meursault au verre. Fermé dimanche et lundi.


Le Michelin 2017 distingue 23 restaurants de poissons à Paris dont quatre étoilés. En voici une sélection:

 

Antoine

Que les quais de Seine, côté Alma, l’éventail de créations marines de Thibault Sombardier qui progresse pas à pas. Bouillabaisse en saison, turbot de l’Île d’Yeu, thon albacore et saumon d’Écosse. Vue sur la Tour Eiffel. La deuxième étoile est en vue.

• 10, avenue de New York 75016 Paris. Tél.: 01 40 70 19 28. Menu au déjeuner à 48 euros, menu Terre/Mer à 138 euros en six services. Fermé dimanche et lundi.

Helen

Une carte de poissons frais, peu cuits, inspirée de la manière de Le Duc, le chef et le directeur sont passés par la grande adresse de Montparnasse. Dorade en carpaccio, sardines de la Méditerranée, sole meunière, chariot de pâtisseries.

• 3, rue Berryer 75008 Paris. Tél.: 01 40 76 01 40. Menu au déjeuner à 48 euros, 130 euros au dîner. Sommelière calée en vins blancs. Fermé samedi midi, dimanche et lundi.

Restaurant Petrossian, le 144

Armen Petrossian et son fils Mikaël, expert en dim sum (restaurants Yoom) ont confié la table du premier étage de la boutique historique à un jeune chef, Julien Viollet, à la créativité stimulante. En dehors du parfait saumon fumé en coupes du tsar, des œufs au caviar et tartare de bœuf au caviar, exquises compositions terre/mer.

• 144, rue de l’Université 75007 Paris. Tél.: 01 44 11 32 32. Menu au déjeuner à 39 euros, une aubaine, dîner à 95 et 150 euros. Fermé dimanche et lundi.

Rech

Repris et dynamisé par Alain Ducasse, ce restaurant de poissons a hérité d’un bon cuisinier, Damien Leroux, qui concocte l’aile de raie à la grenobloise, la bourride (poissons blancs) en soupe parfumée, la lotte piquée à l’ail et le bar de ligne, tout cela préparé avec goût et générosité. Une excellente adresse près de la porte maillot

• 62, avenue des Ternes. Tél.: 01 45 72 29 47. Menu au déjeuner à 44 euros, une affaire, au dîner à 54 euros. Fermé dimanche et lundi.

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