France

Conflit routier: Qui signe, qui paie ?

La signature d'un accord le 11 décembre entre les syndicats des chauffeurs routiers et une organisation patronale a levé la menace d'une grève et de blocus d'entrepôts. Grâce à qui?

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Dans le conflit routier, on a frôlé le ridicule lorsque, pour débloquer la négociation, Dominique Bussereau, Secrétaire d'Etat aux Transports, a proposé aux fédérations patronales un allègement de 100 millions d'euros de la taxe carbone, pour que les entreprises le répercutent dans les hausses de salaires. C'était une demande patronale, et l'Etat était, en l'absence d'accord, pris en otage avec la perspective de blocages dès dimanche soir et une économie de Noël totalement désorganisée.

L'Unostra, un syndicat de petits patrons routiers, l'avait clairement affirmé: alors que les transporteurs bénéficient déjà d'un allègement de 36% de cette taxe, il réclamait qu'il soit porté à 75%, comme pour les marins pêcheurs et les agriculteurs. En plein sommet de Copenhague, la France qui veut être en pointe du combat contre le réchauffement climatique, aurait envoyé un bien dangereux signal à tous les autres pays en reculant sur sa contribution climat énergie sous la pression d'un lobby routier, alors que l'action du gouvernement avec cette taxe consiste au contraire à favoriser les modes de transports moins polluants que la route.

Un coup de pouce à 100 millions d'euros

C'était aussi une façon de faire porter aux contribuables le poids d'augmentations de salaires auxquelles le patronat routier ne voulait pas souscrire, et d'ouvrir la porte à d'autres revendications catégorielles de même nature. Toutefois, des associations pour la défense de l'environnement sont montées au créneau pour que la fiscalité environnementale ne soit pas vidée de son sens. Et les syndicats de routiers ont permis d'éviter le pire en refusant que cette disposition entre dans la balance.

Finalement, la taxe carbone ne sera pas écornée... mais les 100 millions sont restés sur la table sous forme d'exonérations de charges. La France ne sera pas montrée du doigt à Copenhague, mais le contribuable paiera quand même pour les hausses en question. Les vrais gagnants de l'affaire sont les clients des transporteurs - de l'industrie et de la grande distribution - qui voient l'Etat faire les frais d'une partie de ces revalorisations alors que, en toute logique dans un système libéral, les transporteurs auraient dû la répercuter sur leurs clients.

Discussions marathon

Mais le gouvernement voulait aller vite. Dominique Bussereau s'était donné jusqu'à la fin de la semaine pour débloquer la situation, on n'avait pas le temps d'appeler d'autres interlocuteurs à entrer dans le jeu. Refusant de lâcher du lest et pressées par les médiateurs de conclure, trois des quatre représentations patronales (FNTR, OTRE et Unostra) préférèrent quitter la table des négociations. Finalement, à l'issue de discussions marathon et grâce - entre autres - à l'enveloppe du gouvernement, la fédération patronale TLF et les syndicats se sont accordés vendredi sur un compromis (des hausses de salaires de 4% pour les plus bas salaires et 2,9% pour les plus hautes). Une mesure à 400 millions d'euros qui s'applique d'abord aux membres de la fédération signataire et qui devrait être ensuite étendue à l'ensemble de la branche, bien que les autres fédérations et syndicats patronaux, absents du dernier round de négociation, ne l'aient pas signée. Le débat, maintenant, va monter sur la représentativité du signataire patronal.

Quant aux autres points d'achoppement comme une remise à plat de la convention collective et un 13e mois, ils ont été renvoyés à des Etats généraux du transport routier qui, après ceux de la presse aujourd'hui terminés et ceux de l'industrie qui courent jusqu'à février, devraient se tenir à leur tour. De quoi reporter des décisions qui fâchent et d'éventuels nouveaux bras de fer après les élections régionales...

Sauver l'économie de Noël

La signature par une fédération patronale d'un accord que d'autres refusent, reflète la grande diversité des entreprises dans le secteur du transport et de la logistique, et les intérêts parfois contradictoires de ces fédérations. TLF regroupe avant tout de grandes entreprises qui, pour la plupart, avaient déjà négocié des accords salariaux. Par ailleurs, bon nombre d'entre elles sont spécialisées dans les transports de messagerie et réalisent une part importante de leur activité au mois de décembre. Elles ne tenaient pas à voir le conflit se durcir si aucun accord n'était conclu. C'est pourquoi les représentants de TLF, sous la pression de ces groupes, ont maintenu le dialogue avec les syndicats de salariés. Avec mission d'aboutir pour sauvegarder le «business as usual».

Dissensions patronales

A l'inverse, la FNTR condamne cet accord. Et elle menace de s'opposer à l'extension. Mais cette fédération est parfois critiquée par sa base qui souhaiterait plus de virulence dans la défense des intérêts professionnels. En représentant une ligne dure dans la dernière négociation et en insistant sur la charge supplémentaire infligée aux entreprises d'un secteur déjà malmené par la crise (en 2009, le nombre de faillites a doublé dans le transport routier), la FNTR peut afficher un radicalisme de nature à lui rallier les suffrages de certains adhérents qui, jusqu'alors, la critiquaient. OTRE, autre syndicat, est d'ailleurs né d'une scission de certains d'entre eux avec la FNTR, mais reste toutefois minoritaire tout comme l'Unostra qui a perdu de son influence.

Ainsi, même si un rapprochement entre TLF et FNTR semblait se dessiner au cours des derniers mois, les ponts sont à nouveau coupés - ce qui ne saurait déplaire à la deuxième qui peut ainsi se présenter comme le défenseur des intérêts des PME du transport, laissant à la première son image de fédération de grosses entreprises aux intérêts divergents.

Des dossiers lourds pour les Etats généraux

Au-delà des clivages professionnels internes assez classiques, la négociation sur les salaires piétinait. «Depuis un an, on savait que la situation allait un jour déraper», commente Patrice Salini, économiste spécialiste du transport. Il fallait sortir de ce débat entre les chefs d'entreprises et leurs conducteurs pour pouvoir ouvrir d'autres dossiers et sortir des incohérences dans lesquelles les empilages successifs de réglementations ont placé le transport routier. Par exemple, le «cabotage routier» a été très largement déréglementé, et il est de toute façon incontrôlable. Il permet à des camions européens d'autres nationalités de concurrencer les camions français, même pour des transports effectués à l'intérieur de l'Hexagone. Après son déclin dans le transport international à cause d'une  moindre compétitivité, le pavillon français (20% seulement des tonnages à l'international) risque de reculer maintenant en transport national. C'est à ce problème que les autorités doivent maintenant s'attaquer.

Par ailleurs, les entreprises routières qui estiment faire des efforts pour la sauvegarde de l'environnement, supportent mal le discours des pouvoirs publics qui placent les transporteurs au rang des plus gros pollueurs alors que leur outil de travail - le camion - est indispensable à l'économie et à la vie quotidienne. Les routiers s'inquiètent des  reports de trafic de la route vers le chemin de fer et le fluvial, moins émetteurs de CO2. Ils dénoncent les «taxes vertes» qui les pénalisent. Et la réglementation sociale, plus stricte en France qu'au niveau européen, est un frein à la compétitivité face à une concurrence étrangère qui n'a pas les mêmes contraintes. Autant de sujets qui devraient figurer au programme des Etats généraux dont le principe a été retenu dans l'accord conclu vendredi. Mais le programme est si vaste et l'empilement de mesures si ancien que les Etats généraux en question pourraient bien tourner court, sauf pour des mesures aussi précises que le 13e mois ou la constitution d'une mutuelle spécialisée.

Gilles Bridier

Image de une: camions en France, reuters

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