Monde

Malaise en Afrique après le mandat contre Omar al-Bashir

Nombre de dirigeants du Continent noir craignent de se retrouver un jour sur le banc des accusés

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Loin de provoquer l'enthousiasme, l'émission le 4 mars par la Cour Pénale Internationale (CPI) d'un mandat d'arrêt contre Omar Hassan al-Bashir, le président du Soudan, crée un malaise sur le continent noir. Sans contester la nature des crimes reprochés au président soudanais, nombre d'Africains s'interrogent : ne s'agit-il pas d'une forme de néocolonialisme ? D'une justice occidentale qui s'appliquerait essentiellement aux Africains, aux pays faibles et à ceux qui n'ont pas l'heur d'être des amis de l'Europe et de l'Amérique ? « Comme par hasard, estime Le Quotidien de Dakar, cet homme est africain et arabe. En réalité, les Occidentaux sont dans un univers mental qui leur permet de transformer l'équité en principe à géométrie variable selon la tête et la provenance des individus concernés ».

L'éditorialiste de ce quotidien sénégalais qui dénonce pourtant régulièrement les crimes commis au Darfour ajoute : « Clairement, la justice internationale est à multiples vitesses. L'inculpation n'aurait jamais eu lieu si Omar al-Bashir était un allié inconditionnel des Etats-Unis, de la France ou de la Grande-Bretagne. C'est cela qui est choquant ! La guillotine s'abat toujours en priorité sur les pauvres. Il ne fait pas de doute que l'acte posé par la CPI est indissociable des rivalités dans cette partie de l'Afrique. Le Soudan, allié de la Chine et de la Russie, est depuis longtemps dans le collimateur euro-américain ».

L'attitude de la CPI irrite d'autant plus certains Africains que le continent noir est la principale cible de la justice internationale :  cette décision intervient alors que la Belgique vient de demander à la même cour d'ordonner au Sénégal de poursuivre Hissène Habré, l'ex-dictateur tchadien, réfugié à Dakar. Au nom de la compétence universelle, la justice belge s'est saisie de cette affaire : elle est prête, depuis 2005, après quatre ans d'instruction, à juger Hissène Habré qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990. Elle demande au Sénégal de le juger ou de l'extrader en Belgique.

Le Sénégal a placé Hissène Habré en résidence surveillée. Il a été chargé par l'Union africaine de le juger dès 2006. Mais le régime d'Abdoulaye Wade ne semble guère pressé de placer un ancien dirigeant africain sur la sellette, même si Hissène Habré est accusé d'avoir éliminé physiquement des dizaines de milliers d'opposants.

Selon La Sentinelle de Dakar, « Abdoulaye Wade multiplie les chausse-trappes. Le fait-il sous la pression du fameux « syndicat des chefs d'Etat africains », dont beaucoup ont des choses à se reprocher ? Il craint sans doute d'ouvrir la boîte de Pandore en livrant Hissène Habré ».
Là est sans doute le fond du problème. Nombre de dirigeants africains craignent de se retrouver un jour sur le banc des accusés. Même ceux qui ont été « démocratiquement » élus.

Le « syndicat des chefs d'Etat » n'est pourtant pas le seul à s'inquiéter ou à se mettre en colère. En République démocratique du Congo (RDC), une grande partie de l'opinion n'a pas compris pourquoi Jean Pierre Bemba, ex-Premier ministre, a été traduit devant la CPI pour des crimes commis par ses troupes en Centrafrique. Si les Congolais ne nient pas la gravité des faits qui lui sont reprochés, ils ont souvent l'impression qu'il n'a pas « fait pire que les autres ». « Pourquoi lui et pas le Président Joseph Kabila ? » s'exclament des Kinois. Selon un récent rapport de l'ONG Human Right Watch, le régime de Kabila aurait élimé physiquement près de 500 opposants au cours des derniers mois.

Nombre de Congolais ont l'impression que les décisions de la CPI sont politiquement motivées. Selon eux, il s'agissait, pour l'Occident, d'éliminer Bemba, qui avait atteint le deuxième tour de la présidentielle et qui était le plus sérieux rival du Président, et de laisser la voie libre à Joseph Kabila. Un simple fantasme ? Peut-être. En tout cas, cette décision de justice a contribué à augmenter considérablement la défiance vis-à-vis  de l'Occident, accusé de « toujours vouloir manipuler l'Afrique ».

Même la comparution devant les juges de La Haye du seigneur de la guerre libérian, « Charles Taylor » n'a pas fait l'unanimité sur le continent noir. Le « lord of war » avait accepté de quitter le pouvoir parce qu'il croyait que l'immunité lui était acquise. L'ex-Président du Liberia s'était d'ailleurs installé dans une belle résidence, à Calabar, du Sud du Nigeria, lorsque les juges sont venus interrompre ses « vacances » au bord de l'océan Atlantique. « S'il avait su que son parcours s'achèverait ainsi n'aurait-il pas tenté de s'accrocher au pouvoir et d'y mourir les armes à la main ? » s'interrogent les exégètes de la « pensée taylorienne ».

Aujourd'hui, l'atroce guérilla ougandaise de l'armée de la Résistance Seigneur (LRA), qui répand la terreur jusqu'en RDC ne semble pas pressée de déposer les armes. Il est vrai que son chef, Joseph Kony sait qu'il a toutes les chances de se retrouver un jour devant les juges de la CPI. Du fond de la jungle, il suit sans doute avec beaucoup d'attention la trajectoire de Charles Taylor. Et l'idée de rendre les armes ne doit pas souvent lui traverser l'esprit.

Pierre Malet

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