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Au Somaliland, la famine frappe une terre oubliée par la communauté internationale

Etat de facto indépendant depuis 1991, le Somaliland n'est pas reconnu par les Nations unies et végète à l'écart des circuits économiques malgré sa stabilité politique. Une situation de sous-développement qui l'expose à la famine qui frappe actuellement l'Afrique de l'Est.

Un enfant souffrant de malnutrition pris en charge dans un centre de l'Unicef dans la ville de Baidoa en Somalie, le 15 mars 2017. Crédit photo: TONY KARUMBA / AFP
Un enfant souffrant de malnutrition pris en charge dans un centre de l'Unicef dans la ville de Baidoa en Somalie, le 15 mars 2017. Crédit photo: TONY KARUMBA / AFP

Temps de lecture: 4 minutes

Il y a tout dans ce nom de Somaliland. Ce territoire aride bordé par les eaux du golfe d'Aden sur sa côte nord, par les frontières avec Djibouti à l'est, l'Ethiopie au sud et la Somalie à l'est, est toujours officiellement rattachée à l'État somalien selon les statuts de l'ONU, mais est en réalité de facto indépendant depuis 1991, à l'issue d'une guerre de trois ans. L'appellation de cette terre, qui compte une syllabe de plus que son voisin officiel, est une nuance entre l'indépendance réelle et l'absence de reconnaissance internationale. 

Mais depuis le début de l'année 2017, la sécheresse frappe indifféremment la Somalie et le Somaliland. Le «-Land» n'a plus ici d'importance. Une grave crise alimentaire menace des millions de personnes dans la Corne de l'Afrique. 

«Six ans après que la famine a été déclarée dans plusieurs zones du centre et du sud de la Somalie, le pays est une fois de plus au bord de la catastrophe. Cette fois-ci, la sécheresse est plus étendue, touchant le Somaliland, le Puntland (une autre région autonome, NDLR) et les zones pastorales de la Somalie, ainsi que le centre et le sud du pays, les zones les plus touchées par la famine en 2011. Le nombre de personnes en danger immédiat est plus élevé et les enfants sont parmi les plus affectés», nous indique dans une note l'Unicef, l'agence des Nations unies pour l'enfance. 

Plus de 35.400 enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère ont été traités avec des aliments thérapeutiques dans des centaines de centres nutritionnels dans toute la Somalie entre janvier et février. Ce qui représente une augmentation de 58 % par rapport à la même période en 2016, selon les Nations unies.

«La répétition d’épisodes pluvieux médiocres a provoqué une situation d’extrême sécheresse»

Roland Marchal, spécialiste de l'Afrique de l'Est au Centre de recherches internationales de Sciences-Po. 

«Ces chiffres sont un signal d'alarme, note Leila Pakkala, la directrice régionale de l'Unicef pour l'Afrique de l'Est et australe. Les enfants meurent de malnutrition, de faim, de soif et de maladie. Lors de la famine de 2011, environ 130.000 jeunes enfants sont morts, dont la moitié avant que la famine ne soit déclarée. Nous travaillons avec nos partenaires sans relâche pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas.»

Le Somaliland, un îlot de stabilité

Mais si spectre de la famine –qui n'est pour le moment pas officiellement déclarée en Somalie contrairement au Soudan du Sud– menace plusieurs régions bien distinctes de Somalie, la réalité sur le terrain n'est pas la même partout. 

«Dans le nord de la Somalie, au Somaliland, il n’y a pas de véritable conflit. Mais la répétition d’épisodes pluvieux médiocres a provoqué une situation d’extrême sécheresse. Dans le sud de la Somalie c’est un peu différent. L’accès au marché alimentaire est rendu difficile à cause de la situation sécuritaire, explique Roland Marchal, spécialiste de l'Afrique de l'Est au Centre de recherches internationales de Science-Po et auteur de textes universitaires sur la Somalie. L'organisation terroriste Al-Shabaab contrôle toujours des territoires dans le centre et le sud du pays et dispose de capacités de nuisance. Mais ce groupe terroriste a aussi retenu la leçon de la famine de 2011 en distribuant de la nourriture aux populations. C’est une stratégie de propagande que plusieurs entités politiques ont également faite depuis le début de la famine cette année en Somalie.»

Disposant de son propre gouvernement, de sa Constitution, de sa capitale Hargeisa, le Somaliland et ses 3,5 millions d'habitants est une région plus stable que le reste de la Somalie, dont la région voisine du Puntland. Elle se tient à l'écart des conflits entre groupes djihadistes, milices claniques et autorités gouvernementales qui fragilisent toujours grandement l'État somalien. Ce dernier n'a pas de pouvoir réel en dehors de la capitale Mogadiscio et sa région, comme nous l'expliquions ici

«Depuis sa déclaration d'indépendance autoproclamée en 1991, le Somaliland a, contrairement à de nombreuses prévisions, réussi à établir un système démocratique de gouvernance», selon les mots de la Banque mondiale dans une note datant de 2014.

Deux femmes portent des jerricans remplis d'eau en direction du camp de réfugiés de Baidoa en Somalie, le 14 mars 2017. TONY KARUMBA / AFP

Loin du monde 

Malgré la bonne tenue de ses institutions, le Somaliland est cependant pénalisé sur le plan économique par l'absence de reconnaissance internationale. Il est en effet exclu des circuits économiques et commerciaux mondiaux, ce qui y rend les investissements très difficiles puisque sans garanties. Une situation semblable à l'Abkhazie, ancienne province de la Géorgie et de facto autonome depuis la chute de l'URSS, mais pas reconnu par l'ONU. Lors d'un voyage dans cette région dont les frontières sont administrées par l'armée russe, j'avais observé des villes bloquées vingt ans en arrière et une économie privée du tourisme (faute de visas), de biens de consommations modernes et de projets de développement. 

Un budget gouvernemental équivalent à celui de la ville de Grenoble

Le Somaliland est donc coincé et pris au piège en cas d'épisode climatique extrême.

«Paradoxe de la géopolitique mondiale, la communauté internationale reconnaît et soutient à coups de milliards de dollars la Somalie voisine, décimée par les shebab, un groupe terroriste islamiste. Dans ce pays failli, le gouvernement n’a aucun contrôle sur son territoire, les visiteurs ou les ONG sont cantonnés dans un hôtel ultra-sécurisé à proximité de l’aéroport et il n’y a plus aucune structure judiciaire depuis vingt ans. Le Somaliland est certes parvenu à bâtir les socles indispensables d’un Etat, mais vingt-cinq après sa séparation, il est difficile d’aller plus loin. Il faudrait obtenir des prêts auprès des institutions financières mondiales pour construire des routes, pour payer ses fonctionnaires», pouvait-on lire en 2016 dans un reportage publié dans le journal Libération.  

Ce n'est pas le bruit des armes et la mauvaise gestion politique qui pousse le Somaliland dans les bras de la famine, comme c'est le cas dans le sud de la Somalie, mais le sous-développement mêlé à la très sévère sécheresse du moment. Le budget du gouvernement autoproclamé ne dépasse par les 240 millions d'euros, l'équivalent d'une ville comme Grenoble, pour un territoire de 3,5 millions d'habitants, note le journal Le Monde dans un article.

Du bétail qui ne vaut plus rien

«Au Somaliland, il y a le facteur climatique qui s'ajoute à la pauvreté endémique, confie Jean-François Riffaud, porte-parole d'Action contre la faim, qui compte 300 humanitaires actuellement en Somalie. Mais dans les autres régions de Somalie, on ajoute à cela l'aspect sécuritaire et la fragilité de l'État»

L'épicentre de la sécheresse se situe pourtant au Somaliland, selon l'ONU et les ONG. «Des membres d'Action contre la faim sur place m'ont confié que des éleveurs vendaient leurs chèvres 45 euros par tête il y a 6 mois, contre seulement 15 euros aujourd'hui en raison de l'extrême maigreur des bêtes», poursuit Jean-François Riffaud. Une catastrophe alors que l'exportation de bétail représente la principale part du PIB du Somaliland. 

L'État autoproclamé, qui reçoit de l'aide humanitaire, regarde désormais vers le ciel. 

«La question cruciale aujourd’hui, ce sont les pluies. Si elles arrivent le moins prochain, la famine aura été sévère mais pas dramatique. En revanche, si la pluie ne tombe pas avant juin ou juillet, la situation risque d’être vraiment dramatique», pointe l'universitaire Roland Marchal. 

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