France

L'écœurement des Français face aux «affaires» politiques donne l'espoir d'un sursaut démocratique

Les Français ne s’accommodent pas des passe-droits et autres conflits d’intérêts révélés par les «affaires». Leur aspiration à plus de transparence démontre que la corruption n’est pas endémique en France, et que l’esprit de la démocratie peut l’emporter sur le «tous pourris».

CHARLY TRIBALLEAU / AFP
CHARLY TRIBALLEAU / AFP

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«C’est une image qui me blesse», a déclaré François Fillon à l’«Émission politique» du 23 mars sur France 2 après que le journaliste David Pujadas a présenté une synthèse des poursuites dont le candidat à la présidentielle de la droite et du centre est la cible. Mais le journaliste avait aussi exhumé une séquence plus ancienne dans laquelle François Fillon déclarait: «On n’est respecté que lorsqu’on est honnête, qu’on est transparent». «Je suis honnête», a martelé l’ancien Premier ministre. Pour la transparence, le débat est ouvert.

Certes, on ne lui reprochera pas d’avoir employé sa femme comme attachée parlementaire, puisque cette pratique est légale, et qu’il y a eu recours «comme des centaines de parlementaires avant moi et des centaines après moi», a-t-il insisté. Le problème n’est pas là, mais dans le caractère supposé fictif de cet emploi rémunéré sur fonds publics, et dans la hauteur de la rémunération.

C’est à ce niveau que le dossier, qui colle aux basques du candidat, manque de transparence. Au point que François Fillon a dû confesser diverses «erreurs» sur cet emploi comme sur l’acceptation de cadeaux d’amis dits désintéressés –qu’il s’agisse d’un prêt sans intérêt consenti par un homme qu’il a lui-même élevé au grade de grand croix dans l’ordre de la légion d’honneur, ou de costumes offerts par un avocat habitué à jouer les intermédiaires plus ou moins occultes et qu’il a finalement rendus. Beaucoup d’erreurs…

Transparence et élection: qui confisque quoi?

Avec ces affaires, «on cherche à nous confisquer l’élection», accusent les soutiens de François Fillon. En l’occurrence, c’est surtout la démocratie qui pourrait se plaindre qu’on cherche à lui confisquer la transparence qui fonde la confiance du peuple dans les élus. C’est pourquoi le débat s’est propulsé au cœur d’une campagne électorale où on attendait d’autres affrontements programmatiques. Jusque dans les détails.

Par exemple, que penser du mutisme de François Fillon et de son équipe, sollicités par l’ONG Transparency International sur les engagements du candidat à l’élection présidentielle en matière de la transparence et d’éthique de la vie publique? Les dix autres candidats, interrogés comme lui sur onze propositions sélectionnées, ont répondu sur la vérification de la situation fiscale, le contrôle des dépenses, le non cumul des mandats, l’indépendance de la justice… Malgré les relances, le candidat de la droite et du centre fut le seul à refuser de faire connaître ses engagements, a constaté Daniel Lebègue, président de l’ONG. La transparence… «et alors?», pourrait rétorquer son entourage, comme après l’annonce de la mise en examen du candidat …

Une accumulation que l’opinion ne supporte plus

«L’affaire» Fillon n’est pourtant que le dernier avatar d’une succession d’électrochocs qui ont, depuis plusieurs décennies, éprouvé la démocratie française. Par exemple, pendant longtemps, en France, les personnalités exerçant un mandat public n’ont pas jugé prioritaire de rendre des comptes à l’opinion publique sur la façon de gérer les deniers publics qui leur sont alloués dans l’exercice de leur mandat. Au point qu’en 2010, en matière de transparence de la vie publique, la France en Europe pointait au… 26e rang sur 27, devançant seulement la Slovénie. Un score véritablement honteux! 

L’opinion publique allait-elle s’en accommoder? Non. Et le monde politique allait en faire l’expérience. Après certaines révélations notamment d’évasion fiscale avec en apothéose les comptes à l’étranger d’un ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, en totale infraction avec la législation qu’il était censé faire appliquer, les responsables politiques ont été montré du doigt.

Les différentes affaires dans lesquelles l’ancien président Nicolas Sarkozy est cité ou mis en examen avaient déjà choqué les citoyens qui réclament à leurs élus d’assumer leur devoir d’exemplarité. François Fillon avait d’ailleurs cru bon de discréditer son concurrent à la primaire de la droite, avec cette pique devenue fameuse: «imagine-t-on le Général de Gaulle mis en examen». Une attaque qui s’est retournée contre lui avec le soupçon d’emploi fictif de son épouse, puis sa mise examen pour détournement de fonds public et recel d’abus de biens sociaux.

Contrer le «tous pourris»

Cette fois, après d’autres affaires comme celle, entre autres, de l’éphémère secrétaire d’État Thomas Thévenoud frappé de «phobie administrative», la coupe est pleine! La célérité avec laquelle l’ex-ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux, a été démissionné par Matignon le démontre: il fallait enrayer la propagation de l’accusation de «tous pourris». Car c’est un fléau pour la démocratie dès l’instant où le lien de confiance entre les élus et leurs mandants est rompu.

La jurisprudence Bérégovoy-Balladur, qui remonte à 1992 et dont pâtirent des hommes comme Bernard Tapie, Gérard Longuet ou Dominique Strauss-Kahn, stipule que tout ministre impliqué dans une affaire judiciaire doit quitter le gouvernement; elle n’aura jamais été appliquée de façon aussi expéditive que pour Bruno Le Roux!

Le corps électoral ne supporte plus ces coups de couteaux dans l’éthique. Pour 57% des Français, les personnes exerçant des responsabilités importantes ou ayant du pouvoir seraient corrompues pour une grande partie d’entre elles et 38% pour une petite partie, révèle une enquête récente (mars 2017) de Transparency, qui insiste sur son caractère apolitique. La rapidité de l’éviction de Bruno Le Roux est le signe que l’exécutif a perçu le caractère délétère de la situation.

Des parlementaires corrompus selon huit Français sur dix

Ces résultats sont d’autant plus alarmants que, déjà en août dernier, une autre enquête de cette ONG montrait que les députés et sénateurs sont considérés par 77% des Français comme corrompus, ce qui en fait la catégorie la plus touchée par ce fléau parmi les personnes de pouvoir. La représentativité nationale n’est plus perçue comme exemplaire.

Mais lorsqu’on remarque que les députés européens, les membres de l’exécutif, les dirigeants de grandes entreprises, les syndicalistes, les experts et les journalistes sont tous suspectés de corruption par six Français sur dix ou plus, on prend conscience de la profondeur du mal.

D’où la pétition lancée par Transparency International et Powerfoule «pour un Parlement exemplaire», sur la base de quatre propositions clefs dont la transparence des indemnités parlementaires (sources d’opaques manipulations) et la prohibition des emplois familiaux.  Autant de mesures identifiées depuis plus de vingt ans mais que les parlementaires ont rechigné à adopter… jusqu’à ce que les scandales éclatent.

La corruption n’est pas endémique en France

Néanmoins, pour Daniel Lebègue, cet indice élevé de perception de la corruption serait malgré tout une «bonne nouvelle». Parce que quatre Français sur cinq considèrent que la limitation du cumul des mandats, l’encadrement du financement de la vie politique et celui du lobbying sont des mesures «efficaces» pour lutter contre la corruption. Et parce que, selon lui, la corruption en France ne peut être perçue comme «endémique» avec, pour 524.000 élus dans l’Hexagone, 687 décisions de justice recensées en trois ans pour atteintes à la probité.

Bien sûr, c’est déjà beaucoup… mais relativement contenu sur une population aussi importante. «L’immense majorité des élus est honnête», oppose Daniel Lebègue au dénigrement des élus qui enfle dans le pays. Et, plus globalement, il souligne qu'«en France, 2,5% des Français ont été témoins ou victimes de faits de corruption, alors que la proportion atteint 20 ou 30% dans certains pays».

Enfin, malgré les affaires révélées au public aujourd’hui, il considère que des progrès ont été faits depuis 2010. C’est ce que semble refléter l’indice de perception de la corruption établi en 2016 par l’ONG, qui a fait remonter la France au 23e rang mondial et au 13e rang dans l’Union européenne.

Un nouvel arsenal à compléter

Des lois ont été promulguées en 2013 dans le sillage de l’affaire Cahuzac. Elles sont à l’origine la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ont renforcé  la lutte contre la fraude fiscale et institué le parquet national financier. En 2014, le non cumul des mandats a été adopté après des décennies de tergiversations pour une entrée en application à la mi-2017. Et la loi Sapin 2 de 2016 a créé le statut des lanceurs d’alerte pour leur offrir une protection. Elle a aussi introduit un début d’encadrement des représentants d’intérêts pour tenter de rendre plus transparent leur travail d’influence auprès des élus. Il faudra bien, aussi, traiter le cas des emplois familiaux...

Dernière disposition en date et hasard du calendrier, l’Agence nationale contre la corruption a été installée le 23 mars en présence du chef de l’État, en plein débat sur la transparence de la vie publique. Comme un pied de nez dans un improbable scénario de cinéma au milieu des affaires Fillon et Le Roux.

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