France

La vraie soirée de débat présidentiel n’était pas sur TF1

Pendant que les cinq favoris de l’élection s’écharpaient sur TF1, les «petits candidats» étaient sur les plateaux délaissés, de «TPMP» à Explicite, pour se faire entendre.

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Image extraite de «Touche pas à mon poste» sur C8.

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L'impatience était palpable chez les journalistes. Le premier «Grand Débat» #LeGrandDebat de la présidentielle, attendu depuis plusieurs semaines, a eu lieu le 20 mars sur TF1. Il s'agissait d'un moment fort de la campagne, mais plus de 50% des candidats n'étaient pas conviés sur le plateau. Les téléspectateurs ont ainsi seulement écouté les favoris, à savoir François Fillon, Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Les autres candidats, qui ont pourtant réuni les 500 parrainages nécessaires, ont alors fait de leur mieux pour se faire entendre loin du brouhaha de TF1. Vous ne les avez pas vus ce lundi soir, mais Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, François Asselineau et Jacques Cheminade étaient bien présents dans les médias. Récit de cette «autre soirée». 

18h16: Jean Lassalle reste au calme, chez lui

Première surprise: Jean Lassalle n’est pas à Paris. Sur CNEWS, le député sans étiquette explique être resté chez lui à Lourdios-Ichère, dans les Pyrénées-Atlantique, au calme. «A partir du moment où on accepte qu’il y a des candidats et des sous-candidats, il ne faut pas qu’on s’étonne qu’il y ait des électeurs et des sous-électeurs», lâche-t-il, souriant, avant de resservir la même punchline un peu plus tard sur BFMTV.  

 

18h19: «Les journalistes m’ont traité comme un chien.»

«Ils réservent le débat à un club, on sait ce qu’ils vont dire, ce qu’ils vont faire», marmonne Jacques Cheminade, 74 ans, doyen des onze candidats à la présidentielle sur RTL, tout en regrettant pourtant que les Français ne le connaissent toujours pas. Et puis, tout à coup, il évoque la responsabilité des médias et lâche: «Les journalistes m’ont traité comme un chien.» En fin de cette interview, qui a duré à peine plus de cinq minutes et n’a permis que d’effleurer le programme économique de Cheminade, Marc-Olivier Fogiel lui lance, moitié amusé, moitié piqué: «Vous voyez, tous les journalistes ne sont pas tous des chiens.» 

 

18h29: L'autre débat se met difficilement en place

Les coups durs se multiplient pour Explicite, le média lancé fin janvier par les anciens journalistes de la chaîne i-Télé et présent uniquement sur les réseaux sociaux. Alors que ses journalistes annonçaient en grande pompe la tenue d’un débat à 19h30 avec Philippe Poutou, Nathalie Arthaud et Jacques Cheminade, ils ont dû faire face à plusieurs changements. D’abord une nouvelle heure, 20h30, ce qui réduit la fenêtre de visibilité en amont du débat de TF1. Puis l’annulation de Philippe Poutou, du Nouveau Parti anticapitaliste. Le candidat a passé la journée avec les ouvriers de l’usine Ford de Blanquefort, actuellement en grève, et est finalement annoncé plus tard dans la soirée… sur CNEWS, où ont donc travaillé de nombreux journalistes d’Explicite. 

 

18h45: François Asselineau, l'Europe et la CIA

François Asselineau, le souverainiste accro à YouTube, prend la parole sur Public Sénat pendant près de vingt minutes. La journaliste Savéria Rojek s’attaque d’entrée au cœur de la campagne du candidat de l’Union populaire républicaine (UPR): «Sortir de l’euro, de l’Union européenne, de l’OTAN… Est-ce bien réaliste comme programme?» François Asselineau invoque alors l’article 5 de la Constitution et explique que son programme «consiste d’abord à conserver l’indépendance nationale». Ce qu’oublie le candidat, c’est que l’article 5 demande aussi «le respect des traités».«Qui fournit et qui finance Daech, si ce n’est l’Arabie Saoudite et le Qatar?», lance-t-il enfin quand on lui parle de la menace terroriste, quelques instants après avoir réaffirmé que les États-Unis sont également impliqués

Savéria Rojek aborde alors les théories complotistes régulièrement véhiculées par le candidat de l’UPR, notamment sur la soi-disant implication de la CIA dans le découpage des régions françaises ou dans le combat du dalaï-lama. Préparé comme jamais, Asselineau montre à l’écran différents articles de presse vieux de plusieurs années censés appuyer ses thèses. «Moi je cite les journalistes», explique-t-il, invitant la journaliste à faire son travail. Pas le temps de fact-checker ses dires, l’interview prend fin. 

 

19h20: Nicolas Dupont-Aignan, la star de l'autre soirée

Heure de gloire pour Nicolas Dupont-Aignan. Pendant que FOG parle de son dernier livre sur CNEWS, un bandeau événement annonce l’intervention du candidat à 21 heures sur CNEWS. 

 

19h30: «Je ne pensais pas que cela ferait un tel buzz.»

Face à Ruth Elkrief, Nicolas Dupont-Aignan, encore lui, vient expliquer le «buzz» de la vidéo où on le voit quitter le plateau du JT de TF1 pour protester contre le «Grand débat» sur cette même chaîne. Vidéo qui, a ce jour, cumule 12 millions de vues sur sa page Facebook«Je ne pensais pas que ça ferait un tel “buzz”, comme on dit aujourd’hui, jure-t-il. Ce qui est important, c’est de voir que les gens ont été choqués par ce qu’a fait TF1. […] Je n’avais pas prémédité, on m’avait mis un sujet, une pub, pour le débat juste avant mon intervention. Avec ça on me disait “Tu viens coco, on te donne une miette, la charité, et après c’est fini”. Je n’accepte pas ça. […] Je l’ai fait aussi pour les autres, je suis fier de crier la soif d’égalité.» Le temps d’appeler François Fillon à renoncer et à le soutenir, le président de Debout la France file rejoindre l’équipe «Touche Pas A Mon Poste», qui a opté aujourd’hui pour un décor floral. Sur CNEWS, Jacques Séguéla, salue le coup de com’ hanounesque du «petit» candidat. 

19h51: Mais le buzz ne lui déplaît pas

Sur TMC, qui appartient au groupe TF1, l’équipe de «Quotidien» menée par Yann Barthès a justement décidé de s’attaquer à son «buzz» sur le plateau du JT de la première chaîne.

 

20h00: «Il s’est fait tej comme une de-mer par TF1»

Nicolas Dupont-Aignan se fait attendre dans «TPMP». Cyril Hanouna préfère faire revenir son ancien complice Bertrand Chameroy, parti il y a un an dans la douleur. «Il s’est fait tej comme une de-mer par TF1», glisse quand même l’animateur à propos du candidat du «buzz». 

 

20h25: L'autre débat commence

L’équipe d’Explicite lance son live sur Facebook et Periscope en avance. Après une rapide présentation des candidats, les deux journalistes, Sonia Chironi et Antoine Genton, chargés du débat, déroulent les thèmes et relaient les questions posées par les internautes. Malgré quelques soucis de micro, on entend ainsi Jacques Cheminade expliquer sa position sur le chômage et sa volonté de combattre le «capitalisme dérégularisé». Il vante alors un «esprit de combat contre l’occupation financière» et demande une «nouvelle libération». Nathalie Arthaud, candidate de Lutte Ouvrière, rappelle son programme, à interdire les licenciements au sein des sociétés bénéficiaires comme BNP Paribas et propose de mieux répartir les horaires de travail pour créer plus d’emplois.

 

20h42: «Rassrah de rassrah.»

«On ne fait pas de politique ici, mais vous vous êtes là, explique Cyril Hanouna à Nicolas Dupont-Aignan, qui vient d’arriver sur le plateau de «TPMP». Est-ce que vous avez la rassrah [mot voulant dire “être perdu, blasé, angoissé”, NDLR] de ne pas être sur TF1 ce soir?» Le candidat de Debout la France répond par l’affirmative avant d’expliquer: «Imaginez que vous avez été sélectionné pour les Jeux olympiques, lance-t-il, reprenant une métaphore qu’il avait déjà proposé à Ruth Elkrief plus tôt dans la soirée. Et là vous arrivez sur la piste d’athlétisme, et une chaîne vous dit que ça ne va pas.» «Pas de politique, pas de politique», relance régulièrement Cyril Hanouna, effrayé à l’idée que l’émission ennuie ses fanzouzes adorées. A la fin de son passage, moins de dix minutes après son arrivée, on demande à Dupont-Aignan de juger les hommes et femmes politiques importants du moment, en choisissant entre les deux mots préférés d’Hanouna, rassrah et darkah (un «délire», quelque chose de «cool»). Emmanuel Macron? «Rassrah parce qu’il est très faux-cul.» Marine Le Pen et Benoît Hamon? Ne se prononce pas. François Hollande? «Rassrah de rassrah.» Hanouna explose de rire avant de le remercier, de rappeler l’existence de son livre-programme et de lui offrir une paire de babouches. 

 

21h05: Quand le «Grand Débat» commence, «L'autre Débat» chute

Chez Explicite, après avoir parlé d’emploi et d’économie avec sa rivale, Jacques Cheminade évoque un sujet qui lui a permis d’avoir un large écho dans les médias: les jeux vidéo. Il s’agit selon lui d’une «promotion de la culture de la destruction, de la violence, de l’irrationnel». Au moment où le débat de TF1 commence, l’audience du live chute et passe de 1.000 à 800 personnes en quelques secondes.  

Au tout début du débat de TF1, deux candidats –François Fillon et Marine Le Pen– commenceront leur intervention en soulignant qu'ils ne sont pas au complet. C'est le seul moment où l'on parlera des «autres», les six qui n'ont pas été invités.

21h12: Nicolas Dupont-Aignan a-t-il un hologramme?

Décidément, c'est sa soirée. Nicolas Dupont-Aignan, qui remet en doute la non-existence du don d’ubiquité, est sur le plateau de CNEWS, chaîne qui, comme C8 dont il vient, appartient également au groupe Canal+. On lui parle encore de son buzz, de l’impact de son coup d’éclat dans les sondages, mais également, un peu, de son programme. «Je suis le seul à proposer une vraie baisse des impôts. Moins 60 milliards en cinq ans, tout ce qu’ont pris Hollande et Macron, je le redonne aux Français.» Là encore, il ne reste que quelques minutes. A priori, il va maintenant délaisser les plateaux et regarder le débat dont il a été exclu et qui bat son plein sur la première chaîne. 

21h39: «Qu’est-ce que vous pensez de la choucroute garnie?»

François Asselineau explique sur le plateau de CNEWS sa lassitude face au «Grand débat» et au trublion Dupont-Aignan, qu’il range dans le fameux système aux côtés des «gros» candidats. «Ce n’est pas un débat. C’est une succession de prises de paroles et de questions de journalistes qui leur demandent: “Qu’est-ce que vous pensez de la choucroute garnie?”» Le candidat du Frexit revient alors sur sa volonté de sortir tous les traités qui l’engagent avec l’Union Européenne ou de l’OTAN. Il nous a aussi gratifié d’un point sondage: «On s’apercevra que les sondages ne correspondent pas du tout à la réalité des événements.» 

22h10: L'autre soirée prend fin... pour l'instant 

Après 1h45 de débat calme où de grands thèmes comme le chômage, le handicap ou la culture ont évoqués par Jacques Cheminade et Nathalie Arthaud, les deux journalistes d'Explicite rendent l'antenne. Le débat n'avait pas grand chose à voir avec le rival hollywoodien de TF1, que ce soit sur le fond ou la forme. En guise de conclusion, Jacques Cheminade et Nathalie Arthaud résument leur pensée et leur programme. «Se libérer de l’occupation financière et culturelle pour bâtir un ordre de justice, de paix par le développement mutuel et de vraie croissance physique», explique le premier. 

«J’appelle les travailleurs, les ouvriers, les employés, les chômeurs, à rejeter cette duperie de l’élection, qui installe toute une pression pour qu’on choisisse parmi trois ou quatre candidats qui sont tous des adversaires, des serviteurs dévoués de la bourgeoisie. Je les appelle à affirmer leurs intérêts, leur politique, qui est d’abord et avant tout une politique de lutte pour un emploi, un salaire, un logement. Je les appelle tout simplement à faire un vote de conscience de classe, et un vote de combativité et de fierté ouvrière.»

 

Alors que le débat sur TF1 s'éternise, les autres candidats restent loin des plateaux, à l'affût de la moindre sollicitation médiatique leur permettant de faire entendre leur voix dès lors que le «Grand débat» rendra l'antenne. Par chance pour ces candidats parfois considérés comme «secondaires», un débat sera organisé pour tous début avril, sur CNEWS et BFMTV. Les six «oubliés» de TF1 attendront les favoris de pied ferme. 

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