Société / France

Alzheimer: dépistage précoce par le sang dès 2011?

Faudra-t-il dire aux personnes concernées qu'elles sont à haut risque?

Temps de lecture: 3 minutes

La société française ExonHit Therapeutics vient d'annoncer le lancement commercial d'un test de détection sanguine de la maladie d'Alzheimer. Pour l'heure ce test n'est destiné qu'à l'usage des laboratoires spécialisés et des centres de recherche. Il devrait permettre de faciliter les études actuellement en cours concernant cette affection neurodégénérative en permettant d'identifier, à la fois plus rapidement et plus facilement, les personnes susceptibles d'être concernées. Pour l'heure le test est nommé «AclarusDxTM Alzheimer» et devrait avant tout permettre aux multinationales pharmaceutiques engagées dans ce domaine de progresser dans leur recherches.

Diagnostiquer le risque d'être atteint de la maladie d'Alzheimer à partir d'une simple prise de sang et ce bien en amont des premiers symptômes qui la caractérisent? L'affaire mérite que l'on s'y intéresse.

Les premières informations concernant la possibilité d'un dépistage à la fois sanguin et précoce remontent au printemps 2006. Les responsables d'ExonHit Therapeutics firent alors savoir qu'ils avaient déposés auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle un «brevet d'invention» sur un groupe de gènes permettant à partir d'une simple prise de sang d'identifier les personnes considérées comme présentant un risque supérieur à la moyenne d'être atteinte par la maladie d'Alzheimer.

Il s'agissait là, a priori, d'une véritable percée puisqu'à la différence de nombreuses autres affections il n'existe pas de test biologique permettant de porter, de manière certaine, le diagnostic de cette affection. Ce diagnostic ne peut être envisagé qu'après élimination des autres forme de démences et ce au terme d'un examen clinique approfondi. En réalité seule une analyse post-mortem du tissu cérébral permet d'affirmer qu'il s'agissait bien de la maladie d'Alzheimer.

En 2006 les responsables d'ExonHit Therapeutics expliquaient avoir identifié une «empreinte moléculaire associée au dialogue entre le système immunitaire et la neurodégénérescence caractéristique de la maladie d'Alzheimer». Cette approche novatrice se fondait alors schématiquement sur les altérations d'un phénomène physiologique situé au coeur même du processus aboutissant à la création des protéines à partir de l'information contenue dans les gènes (les spécialistes parlent ici d' «épissage alternatif»). On sait que la dérégulation de ce mécanisme peut être à l'origine de certaines maladies. Pour ce qui est de celle d'Alzheimer, le postulat est que l'atteinte dégénérative de certains neurones (d'origine encore mystérieuse) entraîne une cascade d'évènements moléculaires dont certains stigmates pourraient, très tôt, être identifiés dans les cellules immunitaires présentes dans le sang.

«Il s'agit d'une approche intéressante mais qui n'en est qu'à un stade très préliminaire, expliquait au Monde, en 2006 le professeur Bruno Dubois (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris), directeur de l'unité neuro-anatomie fonctionnelle du comportement et de ses troubles de l'Inserm. Une des difficultés consistera à valider cette technique, les résultats biologiques devant être confrontés à des diagnostics issus d'examens cliniques.»

Trois ans plus tard où en est-on? Au vu des résultats obtenus, ExonHit Therapeutics estime être bel et bien sur la bonne voie. Elle vient ainsi d'annoncer que son test est disponible sous le statut RUO (Research Use Only). Il permettrait de faire l'économie des examens d'imagerie cérébrale et des prélèvements de liquide céphalo-rachidien par ponction lombaire. A l'unité ce test devrait être facturé 600 euros HT, les prélèvements sanguins étant expédiés dans le laboratoire de la compagnie situé à Gaithersburg (Maryland).

Dans un deuxième temps, si les résultats espérés sont au rendez-vous, un test pouvant être prescrit par un médecin spécialisé pourrait être commercialisé à compter de 2011, annonce le fabriquant. Il lui faudra pour cela avoir alors obtenu l'aval des autorités sanitaires et pharmaceutiques européennes et américaines. ExonHit Therapeutics n'est pas la seule firme sur ce créneau économiquement et médicalement prometteur: la société norvégienne Diagenic vient elle aussi de lancer une série d'études préalables à la commercialisation d'un test de dépistage sanguin précoce de la maladie d'Alzheimer.

Face à cette affection, d'autres approches sont en cours de développement, comme celles cherchant à repérer par diverses voies les premiers signes de la maladie, qui seraient repérables au moins dix ans avant que le diagnostic ne soit officiellement porté: troubles de mémoire observés par la personne ou ses proches depuis plus de six mois, confirmation de la nature de ces troubles par des tests spécifiques.

Pourquoi diagnostiquer?

L'affaire est d'importance. On estime à environ 30 millions le nombre des personnes aujourd'hui atteintes de la maladie d'Alzheimer dans le monde. Du fait, notamment, du vieillissement de la population ce nombre devrait quadrupler d'ici à 2050. En France, 800.000 personnes, soit 18 % des plus de 75 ans, souffriraient d'ores et déjà de cette affection.

L'affaire est d'importance et la situation est quelque peu inédite. On pourrait se demander quel intérêt il peut y avoir à porter le diagnostic le plus précoce possible d'une prédisposition à une maladie pour laquelle on ne dispose d'aucun traitement ayant démontré une réelle efficacité. Les promoteurs des travaux en cours répondent en substance qu'un diagnostic plus précoce (avant même l'apparition des premiers symptômes) permettra de faciliter les recherches en cours; a fortiori si ce diagnostic peut être porté à partir d'une simple prise de sang.

La problématique éthique qui est ici soulevée n'est pas sans similitudes avec cette autre approche en cours de développement qui vise à repérer de diverses manières les premiers signes de la maladie et ce si possible au moins dix ans avant que le diagnostic ne soit officiellement porté: troubles de mémoire observés par la personne ou ses proches depuis plus de six mois; confirmation de la nature de ces troubles par des tests spécifiques etc.

Question, brutale: que faire face à une personne dont on découvre qu'elle présente plus de risques que la moyenne, à court ou moyen terme, d'être atteinte d'une maladie incurable qui lui fera perdre la conscience même d'exister? Lui dire? Se taire?

Jean-Yves Nau

Image de une: septembre 2009, MadameTomaz, atteinte de la maladie d'alzheimer, dans sa maison à Lisbonne. Nacho Doce/Reuters

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