Monde

Une voix tchétchène en Russie

Le prix Reporters sans frontières 2009 est décerné à Dosh, un magazine tchétchène publié à Moscou

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Le 3 décembre 2009, le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, s'est livré pour la huitième fois à l'exercice des questions-réponses télévisées avec des citoyens de son pays. Dans le duopole incertain qu'il constitue avec le Président Medvedev, l'heure de l'affrontement à découvert pourrait bien avoir sonné.

Ce «dialogue en direct» a pris des allures de discours fleuve, d'une durée de quatre heures, lors duquel l'ancien Président a répondu à plus de «quatre-vingt-dix questions», comme on peut le lire sur le site du parti pro-Kremlin «Russie Unie». Bien sûr on retiendra qu'il y a été question de la crise et des élections présidentielles de 2012 auxquelles les deux figures de l'aigle russe n'excluent ni l'un ni l'autre de se présenter. Mais un aspect devrait retenir notre attention, car il pourrait bien être l'une des pierres d'angle de l'affrontement de deux visions de la Russie.

Qu'avait donc à répondre l'homme fort de la Russie au chef de l'Etat, Dimitri Medvedev, qui a déclaré avec beaucoup d'alarme dans son discours sur l'Etat de l'Union en novembre dernier : «Je vais parler en toute franchise: le niveau de corruption, de violence, la domination exercée par les clans dans les républiques du Nord-Caucase est tout simplement sans précédent».

Que la menace terroriste reste élevée en Russie (l'attentat ayant causé le déraillement du train express reliant Moscou à Saint-Pétersbourg servant de base à cette harangue), qu'il faut traiter ces criminels avec la plus grande dureté, que le Caucase est en proie à de graves troubles, mais qu'une troisième guerre n'est pas sur le point d'y être déclenchée. Le pire n'est pas certain donc. Mais le contexte actuel laisse à craindre qu'une nouvelle offensive ne se prépare et du moins le spectre s'en profile-t-il. Car si elle est exclue, pourquoi évoquer la possibilité même d'une troisième guerre de Tchétchénie ? Ces quelques mots, font froid dans le dos.


D'une part, les peuples du Caucase sont livrés à une violence quasi ininterrompue depuis le début de la première guerre, dont le quinzième «anniversaire» tombait le 1er décembre. Ensuite, pour celui qui connaît le désespoir de ces quinze années, les propos du chef de gouvernement russe ne peuvent que faire craindre de nouvelles souffrances. Que la Tchétchénie retombe dans l'horreur, entraînant dans son sillage les républiques voisines déjà gangrenées par le conflit.

Ce qu'il en sera, nous n'en savons rien. Ce que nous savons ou pouvons savoir en revanche, grâce à quelques journalistes qui se sont donné pour mission de nous en tenir informés, c'est le quotidien des peuples du Caucase. Ces témoins sont toujours moins nombreux, à mesure que s'allonge la liste des victimes parmi les défenseurs des droits de l'homme et des journalistes. Et l'année 2009 fut à cet égard, douloureuse. C'est sur eux que Reporters sans frontières a souhaité attirer l'attention, et à leur courage de tous les jours, à leur persévérance infinie, que nous avons voulu rendre hommage en remettant le 2 décembre 2009 le prix Reporters sans frontières, dans la catégorie Média, au mensuel tchétchène Dosh.

Ce magazine, désormais publié à Moscou aborde toutes les questions concernant le Caucase russe et ses habitants, y compris les plus sensibles comme celle des violations des droits de l'homme. Pour cela, la rédaction de Dosh s'appuie sur un réseau de correspondants locaux et des contributeurs permanents qui n'écartent aucune question et s'efforcent de cerner les enjeux, les horreurs, les espoirs, les réalités de cette région et d'analyser /in fine/ les résultats de la logique politique à l'œuvre. Avec professionnalisme, en s'appuyant sur les faits, en rassemblant les témoignages, Dosh (qui signifie «Le mot»), donne une voix au Caucase, en Russie et en russe, depuis 2003.

Une voix ténue mais écoutée. A en juger par les menaces reçues, les pressions exercées et les tentatives d'approche dont les rédacteurs en chef font l'objet. Mais aussi par les courriers de lecteurs, dont nombre proviennent de jeunes hommes, originaires du Caucase, croupissant en prison, ou de familles appelant à l'aide.

Dosh remplit une fonction fondamentale, parce qu'il donne à voir du Caucase et de ses habitants un autre visage que celui de «terroristes» ou de «criminels dangereux», trop souvent véhiculé par la vulgate politique. Porteurs d'un message à cent lieues d'un tel discours, ses journalistes sont plus souvent regardés comme des «ennemis de la Russie» que comme des «phares» éclairant la nuit caucasienne. «Ennemis» au sein de leur propre Nation, «traîtres» au discours majoritaire, ils sont isolés. Comme Amira Hass, lauréate du Prix RSF dans la catégorie journalistes, qui a décrit dans Haaretz les conséquences de l'opération «Plomb durci» dans les territoires palestiniens, ils font quotidiennement l'expérience de l'isolement parmi ceux qu'ils voudraient le plus toucher et faire réagir.

Et nous qui recevons, dans la sécurité des rues françaises, ces mots chèrement glanés, nous leur devons solidarité et soutien, un hommage, même silencieux. N'oublions pas que la Russie et le vieux continent sont appelés à renforcer leurs liens. Avec quelle Russie voulons nous, allons-nous, nous engager ? Ce qui s'est passé et se déroule aujourd'hui même dans le Caucase, n'est pas un détail de la société russe. A nous de nous en soucier, car notre futur pourrait bien en dépendre.

 

Reporters sans frontières

Image de une: un petit garçon tchétchène à vélo devant un véhicule de l'armée russe, Grozny en Tchétchénie, Mars 2009. REUTERS/STR New

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