Santé

Mettre les smartphones au cœur de la santé publique

Des applications mobiles adaptées aux besoins de chaque population pourraient nous permettre d’être plus autonomes dans la gestion de notre propre santé, fournissant des outils numériques pour dépister, modifier, et prendre en charge les risques, en relation étroite avec les professionnels de santé et de prévention.

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Notre système de santé attend - avec une infinie patience - que nos habitudes de vie (alcool, sédentarité,..) se transforment en pathologies pour nous prendre en charge de manière rapide et efficace. C’est pourquoi, en France, nous vivons vieux, mais pas en bonne santé. Et que la mortalité prématurée (avant 65 ans) est l’une des plus élevée d’Europe de l’Ouest [1]. Cette situation résulte de politiques de prévention souvent limitées à des slogans - certes accrocheurs – («fumer tue»; «un verre ça va, trois verre, bonjour les dégâts»; «manger-bouger»; «cinq fruits et légumes par jours») mais ayant une efficacité limitée. Il ne s’agit pas de remettre en cause la fourniture d’informations et de conseils. Mais de reconnaitre surtout que nous manquons d’opportunités pour améliorer nous-mêmes nos habitudes de vie. Or, ces opportunités existent [2], et les applications mobiles représentent un moyen sans précédent de les procurer au plus grand nombre [3].

Offrir des solutions numériques adaptées aux besoins de santé des différentes populations

Des solutions numériques combinant applications mobiles sur smartphone/tablettes et sites internet pourraient être adaptées aux besoins de chaque public: étudiants, salariés, malades chroniques, seniors etc… La première étape sera donc de concevoir des applications dites «communautaires» pensées pour les différentes catégories de populations, et distribuées par les services et réseaux de prévention des milieux de vie concernés (universités, administrations, entreprises, lycées, hôpitaux, médecins en milieu rural, etc.).

Ces applications mobiles nous permettront de répondre à un ensemble de questions simples souvent «survolées» lors des visites médicales (qualité de vie, alimentation, alcool, exercice physique..). Ces «autoévaluations» pourront être comparées avec celles de nos pairs. Un étudiant pourra par exemple prendre conscience qu’il assiste à davantage de soirées alcoolisées que ses comparses, provoquant ainsi une prise de conscience du risque, loin des slogans moralisateurs [4]. Nous pourrons également facilement comparer nos habitudes alimentaires avec les recommandations nutritionnelles, et ainsi savoir quels apports alimentaires modifier, au lieu de nous lancer aveuglement dans un régime restrictif [5]. Ou comprendre que nos problèmes psychologiques requièrent une demande de soins [6].

Aider les professionnels de santé à rendre leurs patients autonomes

Ces outils devront être utilisés en relation étroite avec les soignants et acteurs de prévention sur le terrain, car l’interaction humaine reste essentielle [7]. Il existe plusieurs techniques et stratégies prometteuses pour nous aider à modifier nos habitudes de vie, notamment concernant l’alimentation et l’exercice [8, 9]. Ces stratégies d‘autorégulation pourront nous être fournies en version numérique via des outils connectés [10], en complément des interventions en face à face (comme l’entretien motivationnel; par exemple). Les objectifs à atteindre, l’identification des obstacles à surmonter, la planification des actions à mener et les outils nécessaires pour y arriver (conseils pratiques, planning des activités, journal alimentaire, liste de course, etc.) pourront être définis en concertation avec un professionnel de santé, et transférés directement sur nos téléphones portables.

Prolonger les interventions en dehors du système de soin

A domicile, l’application nous incitera régulièrement à autoévaluer nos habitudes de vie et notre bien-être pour nous permettre de visualiser nos progrès, recevoir des encouragements, ajuster les stratégies, et, au besoin, fixer de nouveaux objectifs [9]. Un lien pourra nous orienter facilement vers les services et ressources sociales existantes telles que les forums de discussion, les groupes d’entraide, les programmes d’activité physique, de relaxation, ou autres. Enfin, les patients atteints de maladies chroniques pourront disposer d’une aide précieuse dans la gestion de leur bien-être [11], ou pour signaler en temps réel des problèmes inhabituels (symptômes physiques, stress, sommeil, fatigue, douleur..).

L’évolution technologique que nous vivons actuellement ne remplacera pas l’interaction humaine en santé. Mais pourra renforcer son efficacité dans certains domaines. Beaucoup de travail reste à faire pour disposer d’applications pertinentes [12] pleinement intégrées aux pratiques de prévention et de promotion de la santé. Mais cela arrivera tôt ou tard, sous l’impulsion d’une génération d’usagers qui vit en permanence avec un smartphone en poche. La seule question est de savoir si la volonté politique et institutionnelle va encourager, accompagner, voire accélérer cette transformation des pratiques ou chercher de nouveaux slogans moralisateurs à afficher dans les rues.


1.            Jougla, E. Indicateurs de mortalité "prématurée" et "évitable", in Documents. 2013, Haut Conseil de la Santé Publique: Paris.

2.            Oullier, O. and S. Sauneron. Nouvelles approches de la prévention en santé publique - L'apport des sciences comportementales, cognitives et des neurosciences, in Rapport et Documents. 2010, La Documentation française: Paris.

3.            Klasnja, P. and W. Pratt. Healthcare in the pocket: mapping the space of mobile-phone health interventions. J Biomed Inform, 2012. 45(1): p. 184-98.

4.            Lewis, M.A. and C. Neighbors. Social norms approaches using descriptive drinking norms education: a review of the research on personalized normative feedback. J Am Coll Health, 2006. 54(4): p. 213-8.

5.            Rangan, A.M., L. Tieleman, J.C. Louie, L.M. Tang, L. Hebden, R. Roy, et al. Electronic Dietary Intake Assessment (e-DIA): relative validity of a mobile phone application to measure intake of food groups. Br J Nutr, 2016. 115(12): p. 2219-26.

6.            Reid, S.C., S.D. Kauer, S.J. Hearps, A.H. Crooke, A.S. Khor, L.A. Sanci, et al. A mobile phone application for the assessment and management of youth mental health problems in primary care: a randomised controlled trial. BMC Fam Pract, 2011. 12: p. 131.

7.            Zhao, J., B. Freeman, and M. Li. Can Mobile Phone Apps Influence People's Health Behavior Change? An Evidence Review. J Med Internet Res, 2016. 18(11): p. e287.

8.            Artinian, N.T., G.F. Fletcher, D. Mozaffarian, P. Kris-Etherton, L. Van Horn, A.H. Lichtenstein, et al. Interventions to promote physical activity and dietary lifestyle changes for cardiovascular risk factor reduction in adults: a scientific statement from the American Heart Association. Circulation, 2010. 122(4): p. 406-41.

9.            Michie, S., S. Ashford, F.F. Sniehotta, S.U. Dombrowski, A. Bishop, and D.P. French. A refined taxonomy of behaviour change techniques to help people change their physical activity and healthy eating behaviours: the CALO-RE taxonomy. Psychol Health, 2011. 26(11): p. 1479-98.

10.          Garnett, C., D. Crane, R. West, J. Brown, and S. Michie. Identification of Behavior Change Techniques and Engagement Strategies to Design a Smartphone App to Reduce Alcohol Consumption Using a Formal Consensus Method. JMIR Mhealth Uhealth, 2015. 3(2): p. e73.

11.          Wilhide Iii, C.C., M.M. Peeples, and R.C. Anthony Kouyate. Evidence-Based mHealth Chronic Disease Mobile App Intervention Design: Development of a Framework. JMIR Res Protoc, 2016. 5(1): p. e25.

12.          Boudreaux, E.D., M.E. Waring, R.B. Hayes, R.S. Sadasivam, S. Mullen, and S. Pagoto. Evaluating and selecting mobile health apps: strategies for healthcare providers and healthcare organizations. Transl Behav Med, 2014. 4(4): p. 363-71.

 

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