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Pour un droit à la paresse numérique

Le numérique dévore notre vie réelle et, sans que l'on y prenne garde, conduit à une dépendance excessive. Jusqu'à l'addiction. Il est urgent de ralentir et de nous mettre sur pause. Mais le slow-digital pourrait n'être le privilège que de quelques uns.

©WeDoData
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Depuis le 1er janvier 2017, un droit à la déconnexion numérique permet au salarié de s'affranchir d'un employeur un peu trop intrusif. Enfin, disons qu'il devient théoriquement possible et après négociation des plages horaires, de ne pas réagir à une sollicitation numérique. Passons sur la mise en pratique de ce droit et considérons que cette petite avancée est louable dans un contexte socio-technique d'hyper numérisation de nos vies professionnelles. Mais quid des usages personnels et de la dépendance que nous avons développée aux interfaces et aux usages numériques?

A l'heure où nos gouvernants évoquent la nécessaire numérisation des écoles et des pratiques d'apprentissage, l'urgente transformation digitale des organisations publiques et privées, au moment où nos environnements sociaux s'hybrident en se peuplant d'intelligences artificielles (IA), ne serait-il pas souhaitable de revenir sur les promesses heureuses de l'homme augmenté, et de ralentir, débrancher, déconnecter, s'éduquer à l'usage raisonné? Il est plus que temps de mettre du slow dans sa pratique numérique.

L'origine du mal

La contrepartie de la gratuité c'est notre attention. Plus nous utilisons un service numérique et plus la plateforme qui le propose en sait sur nous, nos goûts, nos dégoûts, nos amis, etc. Cette compréhension fine des comportements détermine un tunnel de navigation qui va doucement, si l'on n'y prend garde, nous enfermer dans des chambres d'écho plus ou moins étanches. On trouve sur le web ce que l'on a déjà aimé, déjà trouvé. Est-ce un problème? Non si on le comprend, un peu plus si tout ceci nous échappe car des comportements addictifs en découlent.

Nous citerons deux mécanismes de persuasion cognitive et qui doivent nous interpeller: celui de la récompense aléatoire et celui des nudges. Pour faire simple, le nudge s'apparente à une science du design des choix. Autrement dit la façon dont on présente un ensemble de choix est déjà une manière d'influencer sur le choix final. C'est une main algorithmique invisible que l'on trouve partout: vidéos, livres, amis, photos, tweet, information, etc. En second lieu, l'addiction s'alimente à mesure que la récompense se fait de plus en plus aléatoire. Ainsi, moins l'on sait quand la notification intervient (un like, un j'aime, une alerte, un commentaire, etc) et plus l'on est tenté d'aller vérifier qu'elle est là, que les "amis" sont bien présents. L'industrie du jeu à Las Vegas est pionnière dans la mobilisation de ces principes en particulier dans le design des machines à sous. Dans une enquête originale menée en 2016 sur 2.335 étudiants représentatifs de la population française, 75% des répondants déclaraient consulter leur smartphone dès le réveil. Parmi eux, 46% d'entre eux vérifient leur SMS et 22% vérifient leur activité sur les réseaux sociaux. 51% déclarent le faire mécaniquement, en pleine conscience d'une addiction (Suire, 2016).

Pourquoi cela pourrait s'aggraver

2016 a été l'année des Intelligences Artificielles, 2017 sera celle de l'Intelligence Artificielle et émotionnelle. Déjà des dystopies se conjuguent aux utopies en la matière. On peut s'amuser avec son ChatBot, on peut tomber amoureux de Her mais Ex-Machina pourrait nous éliminer. On peut être fasciné par le Watson d'IBM et très inquiet de la dégénérescence des IA de WestWorld. Nous allons entretenir une relation ambivalente avec cette intelligence diffuse mais avec peut-être une dimension addictive supplémentaire. Ces nouvelles plateformes numériques vont jouer avec le registre émotionnel: le ludique, la surprise, la découverte, l'encouragement, la réprimande, etc. Ces registres vont êtres exploités par les IA. Cela laisse présager une dépendance d'autant plus forte que nous allons externaliser un nombre croissant de fonctions cognitives vers ces IA (le calcul, le stockage, l'orientation, l'apprentissage, etc) et donc dire encore plus de notre intimité à ceux qui conçoivent ces plateformes, soit un peu toujours les mêmes : les GAFAM, les NATU, les BATX, les IBM, etc.

Que faire ?

Le slow-digital c'est l'apprentissage de la déconnexion, c'est la rationalisation de la pratique qui va bien au-delà du simple droit à se couper temporairement du numérique. Il s'agit de ne pas succomber à l'injonction du tout digital et à la numérisation sans contrainte. En effet, les plus faibles, et pas toujours ceux que l'on croit victimes de fracture numérique, sont les plus exposés. Par exemple, les milleniums que nous avons enquêtés, dont on croit à tort qu'ils sont digital natives, sont pour plus de la moitié de notre échantillon en souhait de déconnexion ou de détox.  C'est dire s'il y a urgence à sensibiliser et former au fonctionnement et à la réflexivité. Sinon seuls les plus aguerris maîtriseront le code sans doute mais aussi les modèles d'affaire, les logiques d'usage, les interactions hommes machines, au fond un état d'esprit afin de comprendre, de ralentir et même peut-être de se révolter. Mais les autres? Les plus nombreux?

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