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Quatre losers peuvent-ils sauver l’Europe?

Ce 6 mars, François Hollande, Angela Merkel, Paolo Gentiloni et Mariano Rajoy, dînent ensemble à Versailles: «Il ne s'agit pas de définir à quatre ce que doit être l'Europe, ce n'est pas notre conception, mais nous sommes les quatre pays les plus importants et il nous revient de dire ce que nous voulons faire avec d'autres, ensemble», a expliqué le président de la République française.

Angela Merkel et François Hollande le 27 janvier 2017 à Berlin | ADAM BERRY / AFP
Angela Merkel et François Hollande le 27 janvier 2017 à Berlin | ADAM BERRY / AFP

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L’Union européenne qui fêtera le 25 mars le 60ème anniversaire du traité de Rome, son texte fondateur, est bien malade. La rencontre, dans la capitale italienne des dirigeants des Vingt-huit réduits à vingt-sept après le référendum en faveur du Brexit, aurait dû être l’occasion au-delà d’une célébration nostalgique d’une nouvelle étape dans l’intégration européenne. A part quelques beaux discours, il n’en sera rien. Les divergences sont trop fortes, le scepticisme trop répandu, la montée des partis populistes dans la plupart des Etats européens trop évidente pour que les chefs d’Etat et de gouvernement soient capables de dépasser les intérêts égotistes et apporter des réponses communes aux divers défis qui les assaillent.

Comme cela semble impossible à vingt-sept, pourquoi ne pas essayer à quelques-uns? Ce n’est pas nouveau. Qu’on l’appelle «l’Europe à géométrie variable» ou «l’Europe à plusieurs vitesses», l’idée que tous les pays membres n’ont pas la même vision de l’avenir, le même enthousiasme pour l’intégration, la même capacité à renoncer à des pans de souveraineté, offre une porte de sortie à la paralysie. La possibilité d’une Europe à plusieurs vitesses existe dans les traités. Pas besoin de nouveaux référendums où les risques de rejet de l’Europe sont de plus en plus grands, pour la mettre en œuvre. D’ailleurs elle existe déjà, même si l’on ne le dit pas trop fort afin de ne pas vexer les «petits» pays ou les retardataires. L’espace Schengen de libre circulation ne comprend que 22 Etats de l’UE (26 en comptant les membres qui n’appartiennent pas à l’UE). Même chose pour la monnaie commune: seuls 19 Etats ont adopté l’euro. Les autres restent en dehors de la zone euro, soit parce qu’ils ne remplissent pas les critères, soit parce qu’ils ne veulent pas abandonner leur monnaie nationale.

Le dîner de l'espérance

Faut-il baisser les bras? Quatre dirigeants européens ne le pensent pas. Ils se retrouvent autour d’un dîner, lundi 6 mars. Outre François Hollande, l’hôte de la soirée, la chancelière allemande Angela Merkel, le président du conseil italien Paolo Gentiloni et le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, seront présents à Versailles. L’amorce d’un «noyau dur» au sein de l’Union européenne? De quoi rendre jaloux d’autres dirigeants qui se considèrent pas comme des membres de deuxième classe? La crainte serait vaine. A priori, ce sont les quatre pays les plus puissants de l’UE. Ils ne veulent pas faire bande à part. Ils entendent se mettre d’accord en petit comité avant soumettre leurs idées à l’ensemble de leurs partenaires. «Il ne s'agit pas de définir à quatre ce que doit être l'Europe, ce n'est pas notre conception, mais nous sommes les quatre pays les plus importants et il nous revient de dire ce que nous voulons faire avec d'autres, ensemble», a dit François Hollande en lançant son invitation.

Cette modestie affichée n’a pas seulement pour but d’apaiser les partenaires exclus du dîner de Versailles, notamment les «petits» qui se méfient toujours d’une entente entre «grands». Elle reflète la situation précaire dans laquelle se trouvent les quatre commensaux.

Angela Merkel est déjà en campagne pour une réélection en septembre, rendue problématique par la tonitruante entrée sur la scène intérieure allemande de l’ancien président du Parlement européen Martin Schulz. Menacée sur sa droite par l’Alternative pour l’Allemagne, le parti populiste anti-islam et eurosceptique, elle n’a pas intérêt à faire violence à sa réserve spontanée envers l’Europe pour pousser un grand projet d’intégration.

Mariano Rajoy est aussi un chef de gouvernement en minorité aux Cortès, à la merci du soutien d’un parti socialiste en déroute. Paolo Gentiloni, qui a succédé à Matteo Renzi à la suite de l’échec du référendum institutionnel, est un président du conseil de transition après la scission du Parti démocrate.

Vers le statu quo?

Quant à François Hollande... son séjour à l’Elysée s’achèvera dans quelques semaines. Débarrassé de l’hypothèque d’une nouvelle candidature à la présidence, il pourrait se sentir libre de proposer des idées ambitieuses. Mais sa crédibilité est faible. Toutes ses timides tentatives de relance de l’Europe, fondée en particulier sur la coopération franco-allemande, n’ont pas eu de suite. Et personne ne prendrait au sérieux un dernier baroud d’honneur de ce pro-européen contrarié, disciple de Jacques Delors, qui n’a pas surmonté le traumatisme de l’échec du référendum sur la Constitution européenne de 2005. On voit donc mal les dineurs de Versailles tomber d’accord sur une initiative spectaculaire, à la mesure du défi que pose à l’Europe le retrait de l’Amérique suite à l’élection de Donald Trump.

Avec quatre éclopés à son chevet, l’Europe est mal partie. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, qui avait été chargé de présenter un projet en vue de l’anniversaire du traité de Rome, a avancé cinq hypothèses. Parmi elles, un saut dans le fédéralisme dont il n’ose même pas prononcer le nom et… le statu quo. Craignons que ce soit cette dernière solution, agrémentée de quelques fioritures, qui l’emporte.

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