Égalités

Allez vous faire foutre les féministes glamour

Un article hallucinant dans le magazine Glamour montre à quel point le combat féministe est dur à mener, et combien il est encore le seul que l'on veut codifier de façon à ne heurter personne.

Le 25 novembre 2012 à Paris, lors d'une journée de manifestation contre les violences faites aux femmes. . AFP / BERTRAND LANGLOIS
Le 25 novembre 2012 à Paris, lors d'une journée de manifestation contre les violences faites aux femmes. . AFP / BERTRAND LANGLOIS

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Voilà. Ça y est, j'en ai marre. Je suis épuisée. Et je suis triste. Et j'ai la rage. Vous savez, celle qui fait baver les féministes en quête de prépuces à déchiqueter avec leurs canines aiguisées de rombières bourrées de poils et de seum. Par opposition aux féministes-chatons, celles qui butinent joyeusement la cause des femmes entre un blanchiment des dents et deux guilis aux hommes parce que #Notallmen.

Ca vous paraît stéréotypé hein? C'est pourtant exactement là où en en est.

D'aussi loin que je me souvienne j'ai toujours été féministe. C'est-à-dire que j'ai toujours considéré que les femmes devaient avoir les mêmes droits que les hommes et se bagarrer pour les obtenir. En vieillissant, j'ai affiné, muri, radicalisé certaines de mes positions. Mais conservé la naïveté de croire que l'opinion allait forcément évoluer dans le même sens: que ce que beaucoup considéraient comme des combats d'arrière-garde deviendrait peu à peu intelligible et légitime. Qu'on allait cesser de considérer le terme «féminisme» comme un gros mot. Que des tas d'objets de lutte deviendraient des évidences.

Aujourd'hui, j'ai le sentiment que c'est l'exact inverse qui est en train de se produire. Et que les féministes comptent parmi leurs ennemis, en plus des masculinistes et des réacs, les féministes bon-teint, celles qui semblent bien décidées à se singulariser des féministes hardcore. En tout cas, qu'elles considèrent comme telles, avec aussi peu de finesse que les trépanés des forums jeuxvideos.com et autres editiorialistes de chez Causeur.

Dans son numéro de mars dédié au «feminisme cool», le magazine Glamour sonne la charge contre «les chiennes de garde» et «une génération de blogueuses, instagrameuses en mal de sujets et de followers, féministes autoproclamées et théoriciennes a la petite semaine».

D'abord, il faudra qu'on m'explique ce qu'est une «féministe autoproclamée». Il existerait donc une cérémonie secrète au cours de laquelle des badges de féministes seraient épinglées sur les poitrines des fières élues. Toutes les autres seraient des imposteures en mal de notoriété?

Je voudrais rappeler à Céline Perruche, auteure de cet édito, qu'évoquer des sujets féministes sur internet n'a jamais fourni de followers ou de bienveillance à personne. Au contraire. Les femmes qui osent s'exprimer sur les droits des femmes ont généralement droit à des seaux de merdes, avec insultes, blagues immondes, voire menaces de morts à la clé. Ce qui peut conduire certaines à décider purement et simplement de s'exfiltrer de l'enfer que devient pour elles Internet.

Nombreuses sont les journalistes, blogueuses et «instagrameuses» qui ont dû se soustraire à la vie numérique car elles craignent pour leur sécurité ou n'en peuvent tout simplement plus de voir leur téléphone vibrer parce que des hommes et des femmes éructent à longueur de journée des «sale pute», «je vais te crever» sur Twitter ou ailleurs.

Si j'étais en «mal de sujets» et que je mourais d'envie de recruter de nouveaux followers, je serais aujourd'hui bien plus avisée de tweeter des immondices sexistes et/ou racistes que de m'exprimer sur le harcèlement de rue ou les inégalités de salaire. Glamour réclame pourtant un «féminisme ancré mais dénué d'agressivité» pour contrer celui qui montre «les dents avec rage à chaque insulte prononcée dans l'espace public».

Parce qu'il ne faudrait donc surtout pas réagir systématiquement aux commentaires sexistes, et laisser couler pour ne pas donner l'impression que l'on «crucifie» les auteurs «à coups de mots aussi violents que leurs attaques»? Il faut faire le dos rond, minimiser, car ce ne sont que des mots après tout? Et oublier que les mots tuent, qu'une insulte sexiste n'est jamais anodine et qu'elle précède souvent des actes, jamais moins violents que tout ce qu'une féministe pourra exprimer.

Mais si on suit le raisonnement de la journaliste de Glamour, celles qui ont le courage de s'indigner des insultes sexistes, que ce soit au travail, dans la rue ou à l'Assemblée nationale, ne seraient qu'un choeur de pleureuses tâtillones. Même quand elles se prennent un poing dans la gueule pour avoir repris un homme? Même quand elles sont virées pour s'être plaintes?

Ce que nous dit Céline Perruche, c'est en substance, ce qui est rétorqué à CHAQUE réclamation féministe: le tristement célèbre «oh y a des combats plus urgents» et son pendant «vous desservez la cause». Ainsi, il y aurait une hiérarchie des causes implicite qui permet d'évacuer à peu près tout:

La féminisation des noms de métiers? –> «Ca sert à rien»

Les femmes au pantheon –> «Dictature féministe»

La taille des poches des vetements des femmes vs celles des hommes? –> «VOUS ETES DE GRANDES MALADES ALLEZ BRULER EN ENFER LES FEMINISTES»

Roman Polanski président des Césars? –> «ça suffit lààà, la pression féministe».

le problème du manspreading? –> «Suicide-toi avec tes faux problèmes»

L'organisation de l'espace dans les cours de récré? –> «le féminisme est un cancer»

la taxe tampon? –> «beurk, on s'en fout de vos problèmes de chatte»

Les coiffeurs pour femmes plus cher que ceux pour homme: «vous desservez la cause en nous faisant chier pour ça».

Le tri sélectif du féminisme

Faites-nous une liste des vrais sujets, ça ira plus vite, et a priori, ça devrait être assez bref. Pour ce qui est de la liste des vraies féministes, Glamour nous l'a gracieusement fournie: Elisabeth Badinter, François Giroud, Simone Veil. Figures blanches, hétérosexuelles, souvent bourgeoises, d'un féminisme obsolète. Auxquelles Céline Perruche ajoute l'écrivaine Leïla Slimani, dont on se demande bien comment elle a pu se retrouver au milieu de tout ça, et qui est ainsi résumée: «trentenaire souriante, douce et déterminée».

Si vous avez dépassé la trentaine et que vous ne montrez pas en permanence vos ratiches faites gaffe, vous rentrez donc dans la catégorie mères tape dur. C'est qu'il s'agit de soigner son look et son attitude pour prouver au reste du monde qu'«on peut être féministe, épilée, bien habillée avec des cheveux longs».

Une féministe qui ne serait pas parfaitement épilée serait plus revancharde que l'abonnée à Body Minute?

En lisant ce passage j'ai complètement perdu les pédales. Il se passe quoi dans la tête d'une femme, en 2017, pour qu'elle précise que non, non, personne ne force les féministes a se tresser les poils d'aisselles, et à se raser la tête? Qui ça peut interesser l'apparence physique et vestimentaire d'une féministe? Est-ce qu'on dit aux syndicalistes qu'ils ont le droit de porter une cravate? Aux militants altermondialistes que le port du sac à dos n'est pas obligatoire?

Une féministe qui ne serait pas parfaitement épilée serait plus revancharde que l'abonnée à Body Minute? Dans Beauté Fatale, Mona Chollet décrivait précisement le mécanisme de cette obsession pour l'apparence supposée des féministes:

«Amorcer une critique de l’aliénation féminine à l’obsession des apparences fait immédiatement surgir dans les esprits le pire cauchemar des essayistes germanopratins: la féministe américaine, char d’assaut monté sur des baskets –pointure 44– qui exhibe ses poils aux jambes, passe son temps à se couvrir la tête de cendres en dévidant d’une voix caverneuse sa litanie "victimaire" et vous intente un procès pour viol dès que vous la regardez dans les yeux sans son consentement explicite.»

Et pourquoi la lutte féministe serait-elle la seule obligé d'être codifiée de façon à ne heurter la sensibilité de personne? C'est exactement ce qu'essaye de nous refourguer le féminisme choupi, entièrement basé sur une inconographie éthérée, un storytelling feelgood et dénué de toute structure idéologique. Car Glamour concède qu'il y a bien des combats, mais qu'il faut mener avec douceur. Et avec le sourire (qui tiens donc, est une injonction réservée aux femmes).

Car le féminisme est aussi devenu une marque, qu'on tente de nous refiler floqué sur des t-shirts Christian Dior, si on veut bien se délester de 550 euros.

 

...Feminist is a recurring word for #MariaGraziaChiuri. #DiorSS17 #PFWSS17

Une publication partagée par Dior Official (@dior) le

 

Ce que Glamour, et toutes celles qui participent au cortège de «c'est pas mon féminisme à moi», négligent, c'est qu'alors qu'elles pensent afficher leur singularité et leur faculté à s'émanciper de ce qui serait un carcan du féminisme, elle ne font en réalité que se soumettre au fondement même de la domination masculine; diviser les femmes et employer certaines d'entre elles pour légitimer la diabolisation du féminisme, et toute la violence que cela peut entrainer.

Et puisque Glamour conclut en glissant un petit conseil lifestyle («jurer c'est bon pour la santé»), je m'autorise à le dire: allez vous faire foutre les féministes glamour.

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