France

Créer un droit d’initiative citoyenne au Parlement reposant sur une plateforme de pétitions en ligne

Un droit d’initiative citoyenne pourrait être mis en place au Parlement, en s’adossant à une plateforme publique de pétitions en ligne. Un tel mécanisme permettrait aux signataires d’une pétition, une fois atteint un certain seuil, de mettre à l’agenda des discussions de l’Assemblée et du Sénat de nouveaux projets de loi. Ce droit d’initiative s’accompagnerait d’un certain nombre de garanties, notamment en termes de protection des données personnelles des signataires et de pouvoir d’intervention dans le processus législatif.

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Le constat est connu: la France souffre d’un déficit démocratique profond. Face à la perte de confiance des citoyens envers leurs institutions et leurs «élites», une part de plus en plus importante de la population exprime son souhait d’avoir davantage voix au chapitre dans la gestion des affaires publiques. Cette aspiration à un «changement de système» n’est pas une utopie naïve portée par de doux idéalistes. Elle repose au contraire sur un ensemble de réformes concrètes et accessibles, qui permettraient de mettre la France sur le chemin d’une «démocratie réelle», pour reprendre le mot d’ordre des Indignés, qui a inspiré de nombreux mouvements sociaux depuis. De l’introduction de la proportionnelle à l’Assemblée à l’interdiction du cumul des mandats, en passant par la consultation des citoyens sur les projets de loi, la transparence de la réserve parlementaire, la reconnaissance du vote blanc, la réforme du Sénat, l’introduction de quotas sociaux dans les grandes écoles ou encore le recours au tirage au sort dans certaines assemblées: il existe aujourd’hui de nombreuses pistes à explorer. Les candidats à la présidentielle ne s’y sont pas trompés, et plusieurs d’entre eux ont introduit dans leurs programmes des propositions visant à faire évoluer les règles du jeu politique hexagonal.

Pétitions en ligne et initiative populaire

Parmi les différents outils à leur disposition pour faire entendre leur voix, les Français plébiscitent les pétitions en ligne. Dans une enquête d’opinion de la fondation Jean Jaurès paru en septembre dernier, 66% des sondés annoncent avoir déjà signé une pétition sur internet (ce qui en fait le premier outil d’engagement dans cette enquête) et 75% se prononcent favorablement à la mise en place d’un mécanisme pétitionnaire qui permettrait d’imposer un référendum sur un texte de loi. Le recours aux pétitions en ligne comme levier d’initiative législative ou comme outil d’interpellation des élus existe déjà dans différents pays. A quoi pourrait ressembler un droit d’initiative citoyenne à la française qui reposerait sur une plateforme de pétitions en ligne?

Son principe serait d’abord de permettre aux citoyens mobilisés en ligne de disposer d’un pouvoir de mise à l’agenda sur l’ordre du jour du Parlement. Une plateforme publique de pétitions, adossée au site de l’Assemblée Nationale, pourrait permettre aux citoyens de proposer des pétitions et de les signer, sur le modèle des plateformes privées déjà existantes. Lorsqu’une pétition atteindrait un certain seuil de signataires, celle-ci occasionnerait la formation d’une commission spéciale au sein de l’Assemblée, chargée d’organiser la présentation et la discussion de la proposition lors des séances parlementaires. Un mécanisme similaire existe déjà au Royaume-Uni. Sur la plateforme dédiée, si une pétition atteint le seuil de 10.000 signataires, celle-ci obtient une réponse du gouvernement, et si elle atteint celui de 100.000, elle est fait l’objet d’un débat au Parlement. Ce dernier seuil correspond à environ 0,20% du corps électoral outre-manche : le nombre d’électeurs étant très proche en France, un seuil similaire pourrait être fixé, voir augmenté à 1% du corps électoral (400.000 signataires), comme le propose notamment Benoît Hamon avec son idée de «49.3 citoyen».

Pertinence des pétitions et pouvoir d’agir

Ces mécanismes pétitionnaires se heurtent à deux problèmes principaux: la pertinence des pétitions proposées par les citoyens et leur véritable pouvoir de contrainte sur le travail parlementaire. Le premier problème peut être facilement réglé: au Royaume-Uni par exemple, un certain nombre de critères règlent la recevabilité d’une pétition, comme par exemple la nécessité que son sujet ait trait aux domaines de compétence du Parlement ou ne présente pas de caractère anti-constitutionnel (comme le rétablissement de la peine de mort par exemple). Le second problème est plus délicat: comment garantir que ces outils permettent réellement de donner du pouvoir d’agir aux citoyens, et ne constituent pas uniquement un «verni démocratique» sans réel effet sur le processus législatif?

Une première piste pourrait être d’associer des citoyens au travail des parlementaires qui étudient la proposition. Parmi les signataires de la pétition, des citoyens volontaires seraient tirés au sort pour intégrer la commission spéciale chargée de son examen, afin de s’assurer que la proposition initiale ne soit pas dénaturée et soit soumise au débat dans des conditions satisfaisantes. Une seconde piste pourrait être de doter ces pétitions d’un pouvoir de contrainte en les soumettant directement au vote des députés ou en leur permettant de déboucher sur un référendum: cette dimension est par exemple intégrée dans la proposition du «49.3 citoyen» et se trouve à la base même de l’idée de référendum d’initiative populaire.

D’autres questions restent en suspens. Une plateforme publique de pétitions devrait à la fois offrir des gages en termes de vérification des identités des signataires (pour éviter les fraudes) et garantir la protection de leurs données personnelles (afin qu’elles ne soient pas utilisées à d’autres fins). La procédure de soumission ne devrait pas non plus être trop contraignante : l’initiative citoyenne européenne, qui devait voir la mise en place d’un droit similaire à l’échelle de l’UE, a ainsi connu un échec populaire de par la complexité de sa procédure. Enfin, il paraît important de distinguer «droit d’initiative» et «droit d’interpellation », qui sont complémentaires. Aux Etats-unis par exemple, la plateforme de pétitions de la Maison-Blanche vise à interpeller les membres du gouvernement, qui doivent apporter des réponses aux signataires lorsque les pétitions atteignent un certain seuil. En France, la plateforme Avaaz invite les personnalités politiques à réagir aux pétitions, et Change.org leur permet de répondre directement aux signataires lorsque les pétitions concernent leur domaine de compétence. Ces différents points en suspend ne constituent donc pas des problèmes à proprement parler, puisque des solutions existent déjà. Ce qu’il manque en la matière, ce ne sont pas les idées, mais une véritable volonté politique.

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