Monde

Obama dans le brouillard de la guerre

Le discours d'Obama sur l'Afghanistan est déroutant et contradictoire.

Temps de lecture: 4 minutes

Depuis son investiture, Barack Obama a triplé le nombre de soldats qui se battent en Afghanistan. Après l'annonce de l'envoi de 30 000 nouveaux soldats lors d'un discours à West Point, il est clair que le président ne se contente pas de s'occuper d'une guerre qui lui a été laissée sur les bras mais qu'il la poursuit activement.

Le reste, en revanche, est un peu flou. À en croire son discours, Obama intensifie tout en se retirant et augmente le nombre de soldats tout en fixant une date pour leur départ. Le président a déclaré qu'il faisait pression sur le gouvernement afghan, mais il n'a pas laissé entendre comment. Une partie du flou était intentionnelle. Il a brouillé la frontière entre Afghanistan et Pakistan, en expliquant que s'il envoyait des troupes en Afghanistan, le conflit était aujourd'hui plus régional qu'au début de la guerre il y a huit ans.

Les critiques du président dénonceront l'échéance de 18 mois qu'Obama a fixée pour commencer le retrait des troupes. Le président explique qu'il a imposé un délai afin que nos partenaires en Afghanistan restent concentrés, tout en précisant que la décision du départ se baserait sur les recommandations de ses commandants d'unité. C'est une nouvelle version du débat que nous avons mené pendant la campagne présidentielle, lorsqu'Obama avait fixé une échéance de 16 mois pour le retrait des troupes d'Irak. Son entourage admettra probablement, comme ce fut le cas pendant la campagne, que si les conseillers militaires affirment qu'un retrait d'Afghanistan dans 18 mois est déconseillé, alors les soldats ne partiront pas. Ses détracteurs républicains admettront aussi sans doute, comme l'a fait John McCain pendant la campagne, que si les commandants affirment que partir dans 18 mois est une bonne idée, alors ils n'ont rien à redire.

Obama a insisté sur le fait que son échéance qui n'en est pas une allait mettre le gouvernement afghan sous pression. «L'absence de calendrier pour la transition nous priverait de tout sentiment d'urgence dans notre travail avec le gouvernement afghan. Il doit être clair que les Afghans devront assumer la responsabilité de leur propre sécurité et que l'Amérique n'a aucun intérêt à mener une guerre sans fin en Afghanistan.»

Mais rien dans le discours d'Obama n'a vraiment exercé une pression sur le gouvernement. L'augmentation d'effectifs pourra être un succès militaire mais il ne servira à rien si Hamid Karzaï ne change pas d'attitude et que l'armée afghane ne s'améliore pas.

Obama sait pertinemment que le gouvernement de Kaboul est corrompu, ou pour le dire plus gentiment, que les objectifs de Karzaï ne correspondent pas à ceux de l'Amérique. Il veut exercer une pression sur Kaboul mais il importe qu'il ne le fasse pas trop ouvertement, sous peine de saper l'autorité de Karzaï aux yeux de son propre peuple. Voilà pourquoi le président Obama n'a annoncé aucun programme de repères ou de sanctions vérifiables pour l'Afghanistan-exigences même qui selon le sénateur Obama étaient nécessaires à l'augmentation des effectifs par Bush en Irak en 2007.

La stratégie présidentielle, expliquent les représentants de l'administration, consiste à contourner le gouvernement Karzaï, à inspirer les agences régionales par le biais d'incitations financières et, fondamentalement, à éviter complètement le gouvernement de Kaboul.

Les attentes concernant l'Afghanistan ont considérablement diminué depuis mai, époque où Obama disait des États-Unis et de l'Afghanistan qu'ils étaient liés par [l'espoir] «d'une paix et une prospérité partagées». Les conseillers gouvernementaux avouent aujourd'hui que l'objectif est simplement que le pays ne tombe pas aux mains des talibans et permette aux États-Unis de combattre al-Qaida au Pakistan.

Obama a établi clairement mardi soir que la construction de la nation n'était pas une possibilité envisageable. «Certains appellent à une intensification plus spectaculaire et sans durée indéterminée de notre effort de guerre-qui nous engagerait dans un projet de construction de la nation qui pourrait durer jusqu'à une décennie. Je rejette cette éventualité car elle fixe des objectifs situés au-delà de ce que nous pouvons accomplir à un coût raisonnable, et de ce que nous devons accomplir pour garantir nos intérêts.»

L'intensification de l'effort de guerre d'Obama malgré la faiblesse de son partenaire à Kaboul marque l'étape finale de l'évolution de l'opinion du président sur la relation entre augmentation du nombre de soldats et attitude des pays satellites. En 2007, il critiquait l'augmentation par Bush du nombre de troupes en partie parce qu'il considérait que l'intensification de l'intervention affaiblirait la capacité de l'Irak à assumer la responsabilité de son propre avenir. La corruption et la faiblesse du gouvernement afghan n'ont fait qu'apparaître plus clairement depuis l'envoi de troupes en mars par Obama, et pourtant il en envoie d'autres.

Le ton d'Obama était méthodique et impassible. Souvent, on aurait dit un guerrier réticent. Devant les cadets de West Point, il a évoqué la signature de lettres de condoléances et son salut aux cercueils qui arrivent à Dover. «En tant que votre commandant en chef, je vous dois une mission clairement définie, et digne de votre service» a déclaré Obama. Son discours a plusieurs fois fait référence à l'honneur de leur service.

Le président a dit deux fois qu'il n'avait pas pris sa décision «à la légère.» Voilà qui ressemblait à s'y méprendre à une pointe destinée à Dick Cheney et à d'autres critiques qui se sont plaints qu'il avait trop tardé à prendre sa décision finale (le jour du discours, l'ancien vice-président a prétendu qu'Obama avait fait preuve de «faiblesse»). Obama a aussi consacré un temps considérable à rappeler à son public l'histoire troublée de la guerre afghane depuis les attentats du 11 Septembre, insinuant que si Bush et Cheney avait pris un peu plus leur temps au cours des sept premières années de la guerre, il n'aurait pas besoin de leur adresser ce discours aujourd'hui-ou de mettre en danger de nouveaux soldats.

John Dickerson est directeur du service politique de Slate et auteur de On Her Trail. Vous pouvez lui écrire à [email protected]. Suivez-le sur Twitter.

Traduit par Bérengère Viennot

Image de Une: Sur une base américaine en Afghanistan Zohra Bensemra / Reuters

Lire sur l'Afghanistan: La guerre d'Obama commence maintenant, Afghanistan: la dernière chance, Obama: La guerre en Afghanistan «n'est pas perdue» et Afghanistan: Obama contre Obama.

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