Culture

Triste coïncidence, les principaux oubliés des César sont réalisés par des femmes

Notons tout de même un léger mieux dans la représentation cette année, du moins dans la catégorie la plus prestigieuse.

Adèle Haenel et Marc Barbé dans <em>Les Ogres</em>, de Léa Fehner.
Adèle Haenel et Marc Barbé dans Les Ogres, de Léa Fehner.

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Cette année, 221 films étaient éligibles au César 2017 du meilleur film. On les retrouve dans une liste éditée par l'Académie des César à destination de ses membres. 49 de ces films ont été réalisés uniquement par des femmes (48 en solo, et le quarante-neuvième par deux soeurs, Muriel et Delphine Coulin), soit 22,2% du total... voire 25,8% si on ajoute les films coréalisés par au moins une femme. C'est encore trop peu. Alors, quand les nominations ont été annoncées le 25 janvier dernier, on s'est réjoui. Sur les sept films candidats au César du meilleur film, quatre ont été réalisés par une femme: Divines de Houda Benyamina, Les Innocentes d'Anne Fontaine, Mal de pierres de Nicole Garcia et Victoria de Justine Triet. Plus de la moitié. C'est mieux que les trois films de femmes nommés en 2016 (sur un total de huit candidats), et c'est sans comparaison avec les scores miteux des années 2013 (une femme), 2014 (aucune) et 2015 (aucune non plus).


Niveau féminisme, les César seraient-ils enfin sur la bonne voie, bien que l'affaire Polanski puisse permettre d'en douter? L'évolution est certaine. Toutefois, les nominations dans les principales catégories sont les arbres qui cachent la forêt. Du côte des César techniques, c'est quasiment la désertion. Si les femmes font un carton plein pour le César des meilleurs costumes (ce qui n'est pas l'info féministe de l'année), on ne compte qu'une cheffe décoratrice sur cinq (Katia Wyszkop pour Planétarium), une directrice de la photographie (Caroline Champetier pour Les Innocentes), une monteuse (Laure Gardette pour Frantz), une responsable du son sur dix-sept noms (Brigitte Taillandier pour Chocolat)... La parité n'est pas encore pour demain, notamment en ce qui concerne les métiers de l'ombre.

Le bilan est plus édifiant encore si l'on considère les identités des cinéastes dont le film n'a reçu aucune nomination aux César 2017. Succès public et/ou critique, sélection (voire récompenses) dans de grands festivals en 2016... En compilant différents paramètres, on réalise que les oubliés les plus scandaleux de 2017 sont des oubliées. À part Nocturama (Bertrand Bonello) et Personal shopper (Olivier Assayas), pourtant prix de la mise en scène à Cannes, les grands absents sont bel et bien des films de femmes.
 

1. L'Avenir de Mia Hansen-Løve

C'est le cas par exemple de L'Avenir, cinquième long-métrage réalisé par Mia Hansen-Løve. Déjà à la tête d'une filmographie aussi imposante qu'importante alors qu'elle n'est âgée que de 36 ans, la cinéaste –qui prépare Maya avec Juliette Binoche et Cédric Kahn– a reçu l'Ours d'argent de la meilleure réalisatrice pour ce film en février 2016. Boudée par les César depuis ses débuts (une seule nomination, celle de Tout est pardonné au César du premier film), Hansen-Løve aurait pu bénéficier de l'aura d'Isabelle Huppert, première actrice vraiment célèbre a figurer dans l'un de ses films. Mais rien n'y fait.


Malgré son statut de Meryl Streep des César (nommée tout le temps, même pour des films sans intérêt), Huppert est bien dans la liste, mais pour le Elle de Paul Verhoeven. Quant à Roman Kolinka, son fabuleux jeune partenaire (déjà dans Eden et bientôt dans Maya), il aurait au moins pu bénéficier d'une nomination au César du meilleur espoir masculin... Mais rien. Si L'Avenir n'est peut-être pas le plus saisissant des films de Mia Hansen-Løve, il reste une œuvre extrêmement maîtrisée, et certainement pas académique, dont on vous disait le plus grand bien l'an passé.
 

2. Les Ogres de Léa Fehner

Les Ogres de Léa Fehner aurait lui aussi mérité d'être au moins mis en valeur dans la liste, et son absence totale est extrêment curieuse. Radicalement éloigné de Qu'un seul tienne et les autres suivront, le premier long de la réalisatrice, le film est au moins aussi réussi: on appelle ça une cinéaste. Pendant près de deux heures trente, elle y filme le quotidien d'une troupe de cirque qui rencontre galère sur galère. La vie en groupe, le rapport au public, l'amour qui va et qui vient: ça pourrait ressembler à une chanson de La Rue Kétanou, mais c'est à la fois mille fois plus dur et mille fois plus gracieux.


Incompréhension absolue: la non-nomination de Marc Barbé, acteur arestrupien qui n'a jamais eu les honneurs d'une citation aux César alors qu'il est l'un de nos comédiens les plus charismatiques. Quant à Adèle Haenel, qui mériterait d'être nommée pour chacune de ses prestations, c'est une hérésie absolue qu'elle ne soit distinguée ni pour ce film ni pour La Fille inconnue, plus beau film des frères Dardenne depuis bien longtemps.
 

3. Voir du pays de Muriel et Delphine Coulin

Le seul film réalisé par un duo de femmes a lui aussi été boudé: pourtant, Voir du pays était l'une des propositions de cinéma les plus fortes de cette année 2016. Après un 17 filles intéressant mais sans grande dimension, Muriel et Delphine Coulin sont clairement passées à la vitesse supérieure en adaptant un roman écrit par cette dernière. Soit l'histoire d'Aurore et Marine, deux militaires qui reviennent d'Afghanistan et doivent d'abord passer par un sas de décompression en forme de palace chypriote avant de rentrer au pays.


Ce qui aurait pu n'être qu'un drame sur fond de traumatismes liés à la guerre (comme une suite de Ni le ciel ni la Terre, premier film fascinant de Clément Cogitore) va en fait beaucoup plus loin en montrant que, pour les femmes, le danger est partout. Qu'il s'agisse d'autochtones ou de compagnons de régiment, les hommes qui gravitent autour des deux héroïnes sont loin de les sécuriser. Voir du pays est peut-être le film français le plus féministe de l'année, et des nominations pour Ariane Labed (aussi impressionnante que dans Fidelio) et Soko (pus surprenante que dans La Danseuse, pour lequel elle est nommée) auraient été un minimum.
 

4. Peur de rien de Danielle Arbid

Non seulement le film de Danielle Arbid (son premier pour le cinéma depuis Un homme perdu en 2007) n'est pas nommé, mais il met en lumière l'une des absences les plus tristes de toute la liste des César: celle de Manal Issa. À 24 ans, la jeune femme a commis cette année un admirable doublé, livrant une prestation magnétique dans Peur de rien avant de se montrer tout aussi fascinante dans Nocturama de Bonello. Entre insolence et innocence, son jeu aura sans doute fourni les frissons le splus inattendus de l'année 2016. Et si l'historique personnel des comédiens et comédiennes ne doit pas entrer en ligne de compte dans le vote, l'entrée en fanfare de Manal Issa dans le monde du septième art (ce sont ses deux premiers films) est d'autant plus stupéfiante qu'elle n'était absolument pas désireuse d'être actrice.


Repérée sur photo par Danielle Arbid, elle est en fait ingénieure dans le domaine de l'industrie. Comme son personnage de Peur de rien, elle a quitté son Liban natal à cause de la guerre pour faire ses études en France. Sa détermination et son envie d'être libre semblent faire autant de merveilles à l'écran que dans son autre vie professionnelle, qu'elle ne compte pas lâcher...
 

5. Baden Baden de Rachel Lang

 

Certes, le premier film de Rachel Lang n'a pas connu un succès public démesuré. Certes, il n'a pas bénéficié d'une couverture médiatique délirante. Mais si l'Académie des César avait eu le nez plus fin, Baden Baden figurerait dans le liste des films nommés pour le César de la meilleure première œuvre (et Salomé Richard serait nommée en tant que meilleur espoir féminin). Apparemment, le premier film de la monteuse Sophie Reine (Cigarettes et chocolat chaud, avec Camille Cottin et Gustave Kervern) a séduit davantage. En dire davantage risquerait de relever du procès d'intention...


Toujours est-il que Baden Baden, passé par les festivals de Berlin et d'Angers, aurait plus que mérité sa place. Follement singulière, cette chronique estivale suit Ana, jeune femme androgyne qui se cherche sentimentalement et professionnellement, mais dont le prochain grand projet est de refaire la salle de bains de sa grand-mère (Claude Gensac) afin de la rendre plus adaptée à une personne âgée. Un résumé moyennement sexy pour un film follement attrayant, attaché à la totale liberté de son héroïne et filmé avec un sens inouï du cadre. Déjà disponible en DVD et VOD, c'est LE «petit» film de 2016 qu'il convient de rattraper.
 

6. Le Bois dont les rêves sont faits de Claire Simon

Allez savoir pourquoi: en vingt ans de carrière, aucun film réalisé par Claire Simon n'a eu les faveurs des César. Un fait qui relève sans doute de l'amnésie collective, la cinéaste ayant livré par le passé quelques oeuvres qui auraient mérité d'être distinguées. Avant Le Bois dont les rêves sont faits, chaleureusement loué dans ses colonnes, il y eut par exemple Gare du Nord, somptueuse plongée dans les boyaux de la gare parisienne, avec un Reda Kateb impérial.


Cette fois, c'est avec un documentaire que Simon aurait pu être nommée: une plongée insolite-mais-pas-que dans les méandres du bois de Vincennes, dont elle a rencontré les pensionnaires les plus originaux. Le tout forme une succession de portraits parfois juste esquissés, ode à la marginalité et à la bizarrerie qui n'oublie pas d'avoir du recul. Si les Cahiers du Cinéma ont placé le film dans leur top 10 annuel, c'est qu'il n'est pas tout à fait anodin. Mais l'absence du Bois dans le coffret DVD des César –il faut dire que ça n'est pas gratuit– lui auront immanquablement fait du tort. Pas sûr que l'Académie se rattrape l'an prochain en votant pour Le Concours, plongée au sein du concours d'entrée à la Femis, sympathique mais plus anecdotique, sortie début février.

Choix académiques

On pourrait se satisfaire des nominations actuelles si certaines d'entre elles ne semblaient pas récompenser un nom plutôt qu'un film. Avec Les Innocentes et Mal de pierres, Anne Fontaine et Nicolas Garcia ont signé deux des films les plus scolairement classiques de l'année 2016, et leur présence dans les catégories reines relève de l'incompréhension la plus totale. Comme souvent, les votants semblent avoir fait preuve d'une véritable paresse en accordant leurs voix à des artistes ayant déjà leurs entrées dans le milieu (et l'on pourrait même aller jusqu'à se demander si tout le monde a bien vu les films désignés).


De fait, la présence de Garcia et Fontaine n'est pas loin de ressembler à un bricolage très pratique qui permet de faire taire celles et ceux qui réclament toujours plus d'équité aux César. La vérité, c'est qu'en proposant ces noms, on musèle des réalisatrices plus singulières, plus gonflées. Heureusement que Houda Benyamina (Divines) et Justine Triet (Victoria) sont là pour représenter cette jeune génération de réalisatrices qui ne demandent qu'à être toujours plus visibles. On regrettera d'ailleurs  que cette dernière ne soit pas nommée pour la meilleure réalisation, évincée par Xavier Dolan (Juste la fin du monde)... À croire que Victoria n'aurait même pas été nommé en tant que meilleur film français si celui du réalisateur québécois avait éligible dans cette catégorie.

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