Monde / Culture

Dur dur d’être un Donald

Ce prénom de canard ordinaire devient, pour certains, difficile à porter...

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Donald Duck figurine profile | Tony Takitani via Flickr CC

Temps de lecture: 6 minutes

La période est loin d’être une sinécure pour ceux qui partagent le prénom du nouveau président des États-Unis, tant depuis un an ce Donald-là attire toutes sortes d’attentions. Ce qui ne veut pas dire que ce soit une partie de plaisir non plus pour les musulmans, les latinos, les immigrés, les femmes, les vétérans, les journalistes, le judiciaire, Jeb Bush, Hillary Clinton ou tout Américain qui se soucie des libertés civiques et de l’orthographe... Mais penchons-nous, l’espace d’un instant, sur le sort des Donald.

Écoutons Donald Bell, 38 ans, originaire d’Alameda, en Californie, un des nombreux Donald avec qui je me suis entretenue après avoir demandé à mes amis et à mes collègues de me mettre en relation avec tous les Donald qu'ils connaissent et après avoir fait une recherche sur Twitter. En ce moment, il est plutôt morose : «Je suis plus conscient de mon prénom quand je le dis à haute voix devant des gens. Je constate que ça fait presque tressaillir... Entendre ce prénom, ça produit une vraie réaction émotionnelle. Quand je vais dans un Starbucks pour prendre un café, on me demande mon nom, je dois le prononcer et presque m’excuser de le porter.»

En bref, «c’est vaguement gênant de s’appeler Donald en ce moment».

Bell, utilisateur précoce de la plateforme de microblogging préférée de notre président, se trouve être le propriétaire du nom d'utilisateur @Donald. Ces derniers temps, il a donc vu arriver un bon paquet de messages à l’intention de cet autre Donald. «Quel que soit le sujet, c’est toujours négatif, déplore-t-il. Ce sont soit des gens qui soutiennent Donald Trump, soit des gens qui sont violemment anti-Trump. C’est une vision du monde plutôt déprimante, je dirais.»

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Donald Burke, 29 ans, vit à Washington D.C. et se fait appeler «Don.» Il voit tout à fait ce que Bell veut dire. «Je déteste absolument qu’on m’appelle “the Donald”, explique-t-il. Vous pouvez me donner n’importe quel autre surnom... Mais, celui-ci, je n’ai jamais aimé. Et, maintenant, encore moins. C’est plutôt ambiance “Pitié, ne mettez pas un the devant mon nom parce que quelqu’un vient de nous foutre ça en l’air!”» Il tente de relativiser : «Ce n’est pas comme si on appartenait tous à un genre de société secrète des Donald ou un truc dans le genre.» Mais finit par conclure que ce the s'avère fâcheux pour tous les Donald.

Un prénom passé de mode

Burke devrait-il sortir de sa bulle? Au fil de ma chasse aux Donald, il se trouve que je suis entrée en contact avec Donald Luskin, spécialiste en stratégie économique de Chicago et soutien de Trump pendant la campagne. Son entreprise, MacroTrends, était selon ses estimations l’une des premières à avoir prédit la victoire de Trump. Est-ce que Luskin apprécie toute l’attention que lui vaut son prénom? «Je ne peux même pas citer une seule occurrence où quelqu’un m’en aurait parlé», souligne-t-il. Ce qui ne l’empêche de s’en servir à des fins badines. «Une partie de mon travail consiste à parler de développements politiques, donc ça peut m’arriver de dire des choses comme: “Que les choses soient claires, je ne suis qu’un Donald, je ne suis pas le Donald.”» Rien de plus, vraiment. «Donald n’est pas un prénom si inhabituel que ça. Je pense que c’est moins bizarre que si je m’appelais Barack

Si Luskin a raison de souligner qu'avoir été baptisé Donald ce n’est pas non plus comme s'appeler Pilot Inspektor, ce prénom connaît un déclin significatif depuis un bon moment. À en croire les données de la sécurité sociale, le prénom Donald a connu un pic de popularité en Amérique en 1934, l’année de la création de Donald Duck, et depuis il n’a cessé de décliner. «Même Donald Trump est né pendant la courbe descendante du prénom Donald», explique Laura Wattenberg, l’experte en prénom qui tient BabyNameWizard.com. À part Don Draper—«les années Don Draper de Mad Men ont été l’âge d’or des Donald» regrette Donald Bell—la plupart des Donald de la culture populaire sont âgés, et les quelques Donald qui persistent—Glover, par exemple—sont souvent baptisés en l’honneur de plus vieux membres de la famille (j’ai contacté Donald Sutherland et Donald Glover pour l’écriture de cet article, mais tous deux ont fait savoir qu’ils refusaient tout commentaire. Est-ce parce qu’eux non plus ne souhaitent pas être associés à Trump, nous ne le saurons jamais).

«Pour les oreilles modernes, le prénom Donald entier a trop de consonnes, ce qui l’alourdit, expose Laura Wattenberg. Aujourd’hui la mode est plutôt aux voyelles. Les équivalents de Donald, Ronald, Gerald, Harold aujourd’hui seraient plutôt Aiden, Hayden, Jayden, Kayden. Nous avons beaucoup de voyelles longues, et peu de consonnes voisées collées comme ça, -ld.»

Selon les experts en prénoms et les intéressés eux-mêmes, la plupart des Donald n’utilisent pas leur nom en entier. Ils se font généralement appeler Don, voire Donnie —ce qui n'est pas le cas de Trump en revanche, fait assez intéressant pour être souligné selon les Donald à qui j'ai parlé. Comme le dit Bell: «J’ai l’impression que tous les Donald les plus beaux gosses et les plus célèbres se font appeler Don.»

Un diminutif pour se distinguer

Selon Wattenberg, «le prénom entier Donald et le diminutif Don donnent des impressions qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre, un peu comme Rodney et Rod, l'image est tout à fait différente.»

«Je pense qu’il préfère sans doute la version de son nom qui fait le plus impressionnant, c’est-à-dire Donald J. Trump, plutôt que Don John Drumpf, qui sonne un tantinet moins impérieux», s’amuse un autre Donald —Donald Moynihan, professeur à l’université de Wisconsin à Madison.

«Dans certains livres de prénoms, Donald signifie maître du monde», explique Burke, qui s'empresse de préciser : «Ça me terrifie!» Expert en stratégie de marques, Burke voit aussi dans l’absence de diminutif un véritable calcul. «C’est toujours Donald Trump, prénom et nom, ou juste Trump. Trump a fait ci, Trump a fait ça.» Ce qui au moins a pu contribuer à minimiser l’impact négatif sur le prénom Donald, conjecture-t-il. «C’est déjà ça.»

Quoi qu’il en soit, il y a quelque chose dans ce prénom. «Ce qui est remarquable avec le nom du président c’est qu’à la fois le surnom et le prénom marquent un score extrêmement élevé sur mon échelle de succès», s’étonne par mail Albert Mehrabian, professeur émérite de psychologie qui a mené des études sur les prénoms. D’après ses recherches, Don est noté 88 et Donald 95 sur 100 en matière «d’impressions positives que suscite un prénom dans la population générale.»


Donald Trump, le 31 octobre 2016 à Warren, dans le Michigan. | JEFF KOWALSKY / AFP

J’ai eu envie d’entendre l’avis sur la question d’un autre Don, mon père, à qui j’ai donc téléphoné. La comparaison ne l’a pas particulièrement enthousiasmé. «Je ne suis pas un escroc. Je ne dupe pas les gens», a-t-il souligné dans un esprit de synthèse des quelques différences-clés entre lui et son homologue nominal. À ce moment-là, j’en ai profité pour tenter d’éclaircir le mystère de son prénom qui ne se trouve pas être Donald, mais juste Don. Mais avant que j’aie eu le temps de lui demander l’intégralité de son acte de naissance, il a passé le téléphone à sa chargée de relations publiques, c’est-à-dire à ma mère. «Je ne crois pas que cela salisse son prénom, a-t-elle avancé. Les gens rationnels savent très bien que chaque individu a sa propre personnalité.»

C’est le moins que l’on puisse dire concernant Donald Trump. Et c’est peut-être ce caractère unique de notre président qui a permis de relativement préserver la bonne réputation de son prénom. «Il est remarquable que personne dans mon cercle social n’ait fait cette association de manière explicite, s’étonne Moynihan en évoquant son prénom commun avec le président. C’est une totale évidence, mais il y a tellement d’autres choses à dire sur ce président que les gens ont tendance à commencer par ça par défaut.» Burke acquiesce. «La plupart des gens, au moins dans mes cercles à moi, ne veulent pas faire la moindre référence à cet homme. Comme pour Voldemort.» Cela n’a pas empêché Burke d’imaginer l’éventualité d’abandonner son prénom, si la situation devient catastrophique : «Dans ce cas, je me ferai juste appeler par mes initiales, ou je ne sais pas, je trouverai à ce moment-là.»

Pas prêt à lâcher son pseudo!

Moynihan n’est pas encore prêt à baisser les bras. «Je crois que je peux le dire au nom du collectif de Don ou de Donald du monde entier: nous espérons que notre prénom ne tombera pas dans l’infamie.»

Pour sa part, Bell n’a pas non plus laissé le problème Donald nuire à sa réputation. Envisagerait-il un jour de vendre à Trump le pseudo si convoité @Donald? «Alors ça, jamais, m’a confié Bell. J’ai conservé toute mon affection pour mon prénom. Ce n’est pas encore trop la cata. Il y a probablement quelque part un groupe de gens prénommés Adolf qui s’en sortent beaucoup moins bien que moi.»

En parlant de chute, les experts en prénoms de bébés s’attendent-ils à une recrudescence du prénom Donald compte tenu de sa victoire «sans président»[trumpisme pour «sans précédent»]?

Pour Laura Wattenberg, ce n’est pas très probable. D’habitude, «même un ouragan mortel peut provoquer une recrudescence de popularité de son nom». Mais Wattenberg pense que la présidence n’est pas susceptible de redresser un Donald plutôt flasque. «Donald va probablement faire un flop, pour des questions de style.»

«Les dictionnaires de prénoms de bébé vous révèlent les origines linguistiques du nom en vieux haut-allemand ou les racines protoceltiques du prénom Donald, mais ce n’est pas ce qui vient à l’esprit quand on entend un prénom, continue Wattenberg. Nous construisons tous le sens de nos prénoms, tous les jours de notre vie, et il ne fait aucun doute que le sens du prénom Donald a changé de manière spectaculaire au cours de l’année écoulée.»

Mike Campbell, qui gère le site Behindthename.com, pense lui aussi que le prénom Donald a peu de chance de connaître un renouveau, mais il suggère cependant une autre possibilité. Il évoque la mode qui consiste à transformer les noms de famille présidentiels en prénoms —Reagan, Kennedy et autres— et s’interroge: «Je serais curieux de voir si Trump pouvait un jour atteindre le top-1000 des prénoms.» Imaginez un peu—une flopée de petits Trump qui courraient partout dans le parc en bas de chez vous. Ça, ce serait de la pub.

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