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Les hommes sont-ils prêts à tout pour coucher?

Non, le sexe ne rend pas fous tous les hommes, tout le temps. Mais la science montre que la «motivation copulatoire» peut en faire débloquer une proportion significative.

Barney Stinson dans «How I met your mother»
Barney Stinson dans «How I met your mother»

Temps de lecture: 8 minutes

Lorsqu'on dit d'un individu qu'il est une pine, une bite ou une tête de nœud, cette analogie entre sa personne et l'organe sexuel masculin n'entend pas vraiment mettre en valeur la force de ses attributs cognitifs. Pour consolider le concept, il n'est d'ailleurs pas rare de convoquer son homologue féminin et d'assortir un «con comme...», suivi des divers termes susceptibles de désigner le pénis. Car la nature du cliché est ainsi faite: le sexe en général et le mâle en particulier ne sont pas spontanément associés à l'intelligence. Un homme contemplant l'éventualité de tirer sa crampe serait prêt à toutes les extrémités, surtout du côté débile, pour transformer la puissance en acte. Le désir sexuel serait si impérieux, si littéralement incontrôlable que, sous son emprise, les hommes ne pourraient pas faire autre chose, n'auraient pas d'autre choix que d'y succomber –quitte à en passer par des expédients que la raison, la morale ou encore le droit pénal réprouvent.

Stéphane Rose, auteur en 2013 de Misere-sexuelle.com: Le livre noir des sites de rencontres, une enquête sur les dessous pas très affriolants de la compétition sexuelle en milieu numérique, abonde dans le sens de l'hypothèse: «Je crois que beaucoup “d’hommes lambda” sont prêts à beaucoup d’efforts et de subterfuges pour baiser», résume-t-il. Un phénomène d'autant plus saillant sur les sites et applis de rencontre qu'il a étudiés, tant le déséquilibre entre l'offre et la demande est encore plus patent que dans la «vraie vie». «Les femmes constituant le plus souvent l’offre et les hommes la demande, les hommes se sentent naturellement en compétition, et rivalisent donc d’imagination pour se rendre attractifs», explique Rose.

Par exemple, il me cite le témoignage d’une femme qui croyait sortir avec un photographe professionnel, avant de se rendre compte qu’il n’était photographe que par loisir, et en réalité agent RATP.

«Une autre femme m’a raconté l’histoire assez terrible d’un homme noir qui avait la photo de profil d’un homme blanc sur Meetic dans l’espoir de décrocher plus de rendez-vous, ajoute-t-il. Les anecdotes de ce genre sont très nombreuses.»

Ces exemples sont loin d'être exclusifs aux hommes: 

«De nombreuses femmes “bidonnent” aussi. De toute manière, choisir une photo cadrée d’une certaine façon, avec un profil avantageux et un filtre Instagram qui rend beau, n’est-ce pas déjà un peu mentir? Sur les sites et applis de rencontre, tout le monde ment, au moins un peu. Parce que c’est un univers concurrentiel par nature.»

Que les choses soient tout de suite claires: bien sûr que non, le sexe ne rend pas tout le temps tous les hommes zinzins. Et Rose de souligner qu'il existe «beaucoup d’hommes que le marché de la séduction lasse vite, et qui s’en retirent, désabusés, un peu comme des adeptes de la décroissance économique se retirent de la consommation. Ils acceptent délibérément de baiser moins. Certains deviennent abstinents, d’autres se contentent du porno.» 

Reste que la «motivation copulatoire», comme on dit en savant, fait effectivement débloquer une proportion suffisament significative d'hommes, dans des circonstances suffisament identiques, selon des modalités suffisament homogènes et dans un contraste suffisament marqué d'avec les femmes. Des tendances statistiquement stables quelles que soient les latitudes et les sociétés envisagées

L'une des premières choses dont on se rend compte lorsqu'on met sérieusement le nez dans les recherches scientifiques consacrées à cette question, c'est que cette déviation du droit chemin sexuellement induite suit une trajectoire logique, du moins si l'on prend la sélection sexuelle comme point de référence. Lorsqu'ils ont envie de copuler, les hommes vont tendanciellement recourir à des tactiques maximisant leurs chances de réussir leur coup, par exemple en sautant sur l'occasion le plus vite possible ou en tablant sur ce qui plaît globalement aux femmes, quitte à trafiquer la réalité et à manipuler les perceptions. 

Des propositions sexuelles spontanées

Dans cette constellation de données sur la frénésie sexuelle masculine, l'un des faits les plus scientifiquement solides à l'heure actuelle est le suivant: lorsqu'ils ont envie de tremper leur biscuit, les hommes hétérosexuels gagnent en impulsivité. Lorsqu'on leur propose un coït, ils réfléchissent très peu avant de se décider et d'y consentir –une approbation bien plus rapide et fréquente que ce que l'on peut observer chez les femmes dans la même situation, notamment parce qu'ils ont beaucoup moins à perdre dans l'affaire, que ce soit en termes de sécurité ou encore de réputation (slut shaming, etc vous connaissez le topo).

Sur cette question des demandes sexuelles et des réactions sexuellement différenciées qu'elles peuvent susciter, il s'avère que l'un des plus éminents spécialistes contemporains est français. Il s'appelle Nicolas Guégen, chercheur en psychologie sociale et en sciences cognitives à l'université de Bretagne-Sud.

Voici une de ses expériences: un individu aborde des gens dans la rue et leur propose soit d'aller boire un verre soit de coucher avec lui. Dans la moitié des cas, l'individu est un homme et les abordées des femmes, dans l'autre, l'inverse. Dans la moitié de la moitié des cas, le prospecteur est physiquement banal, et dans l'autre, pêché dans le haut du panier du pouvoir de séduction –la chose ayant été préalablement jaugée, qu'on se rassure, par des outils standardisés et des évaluateurs indépendants. Il en résulte que pour le sondeur dragueur moyennement attirant, 23% des femmes interrogées acceptent d'aller boire un verre, et 0% de coucher avec lui. Les chiffres grimpent à 57% pour l'homme le plus attirant, et 3% pour la proposition directement sexuelle. Sauf qu'en face, la sondeuse-dragueuse ni moche ni belle recevra 80% de réponses positives à sa proposition d'aller boire un verre et 60% à sa requête explicitement coïtale. Les chiffres de sa collègue super-bombasse seront de 97% de réponses positives à la première question, et de 83% pour la seconde.

Faites une moyenne à la louche et la vérité éclatera devant vos yeux ébahis: 71,5% des hommes acceptent de coucher avec une femme qui le leur demande de but en blanc, contre seulement 1,5% des femmes quand cette même proposition sort de la bouche d'un homme.

 

Dans une étude un peu plus récente, Guégen et ses collègues scrutent la réaction de 160 femmes abordées au hasard dans la rue par un homme qui leur propose de prendre un verre avec lui. Pour la moitié d'entre elles, la demande est sèche et pour l'autre, elle s'accompagne d'un compliment sur leur apparence. Résultat: si les passantes refusent globalement la proposition, elles ont tout de même davantage tendance à l'accepter quand les formes sont mises.

Des expériences qui en complètent et en confirment d'autres, menées notamment par Clark et Hatfield en 1978, 1982 et 1989. Dans ces études, le contraste est similaire –un homme accepte quasi toujours une «proposition sexuelle spontanée», une femme quasi jamais– et lorsqu'elles seront reconduites une dizaine d'années plus tard, histoire de mesurer l'influence de l'épidémie de VIH/Sida sur les comportements, les conclusions sont certes affinées, mais elles n'évoluent pas des masses. Et surtout pas assez pour en contredire la portée générale: face à une demande sexuelle spontanée, la grande majorité des hommes accepte, et la grande majorité des femmes refuse.  

Tout, tout de suite

A la base, on en revient toujours au même, à savoir à l'entremêlement entre sexualité et procréation. D'un point de vue biologique –qui, autant le préciser, ne néantise pas le culturel, il ne s'agit tout simplement pas du sujet de cet article en particulier et de mes recherches en général–, les hommes n'ont pas à investir énormément d'énergie physique (ni même mentale) pour réussir à transmettre leurs gènes, contrairement aux femmes chez qui les efforts minimaux nécessaires à la génération d'une descendance sont bien plus conséquents. Les hommes ont donc plus de chances de parier sur le «tout, tout de suite» dans leurs stratégies sexuelles et, réciproquement, cette mentalité court-termiste est bien plus susceptible d'être «activée» chez eux lorsqu'ils sentent du sexe dans leurs parages.

En effet, de nombreuses études montrent qu'en déclenchant cette «motivation copulatoire» chez les hommes, on stimule par la même occasion des perceptions, des cognitions ou des comportements directement corrélés au succès reproductif. Un phénomène aux expressions multiples, tant la variabilité est mère de fitness. Ainsi, en 2015, Wen-Bin Chiou et ses collègues de l'université nationale Sun Yat-sen de Taïwan démontraient qu'il suffisait de présenter une photo de femme séduisante à des hommes pour les mettre dans un «état d'esprit copulatoire» et faire échouer leur désintoxication tabagique. Une modification cognitive mesurée par le test de Stroop, dans lequel il faut lire des noms de couleur teintés de manière incohérente (le mot «rouge» est écrit en bleu, le mot «bleu» est écrit en vert, etc.). Après avoir vu l'image, le temps de réaction des participants était plus lent et, par rapport au groupe de contrôle auquel on avait présenté une image «neutre», ces hommes avaient beaucoup plus de mal à résister à l'appel de la clope.

De la même manière, montrez un contenu «sexy» à un homme et il est fort probable qu'il fasse preuve d'impulsivité dans ses «choix intertemporels» –autrement dit qu'il privilégie la gratification immédiate à la lointaine, même quand la première est objectivement moins avantageuse que la seconde. Dans une étude publiée en 2008, cette myopie décisionnelle est non seulement activée chez des cobayes hétérosexuels auxquels on fait voir une photo de femme en bikini, mais aussi lorsqu'on leur demande de manipuler de la lingerie (sans aucune femme dedans). Une impulsivité qui va de pair avec une maîtrise de soi fatiguée, une caractéristique là encore aisément manipulable à l'aide de quelques «indices sexuels», et une réalité d'autant plus visible chez les hommes.

Mentir pour plaire

Et vous savez ce qui rime avec sexualité, masculinité, impulsivité et self-control exténué? La malhonnêteté: plus un homme sera «copulatoirement motivé», moins il se maîtrisera et réfléchira avant d'agir, et plus il aura recours à des mensonges et de la tricherie pour maximiser les bénéfices de son action. Pourquoi? Déjà parce que l'honnêteté incarne un des dilemmes typiques qui peuvent tirailler notre «muscle moral»: elle exige de se conformer à des règles éthiques et socialement désirables quand notre «nature» nous bombarde d'impulsions fondamentalement amorales, égoïstes, voire carrément anti-sociales. Et à muscle moral raplapla, malhonnêteté en forme. Une réalité dont on commence à décrypter les substrats cérébraux: comme le montrent des données neurofonctionnelles, l'impulsivité et la malhonnêteté partagent des zones du cortex préfrontal et des réseaux de neurones «dédiés» à nos filtres et garde-fous cognitifs et comportementaux. Ensuite, la littérature laisse entendre que la fripouillerie libidale masculine n'est, là encore, pas arbitraire et que ces petits arrangements avec la vérité sont fortement biaisés par les préférences sexuelles féminines –ou ce que les hommes estiment comme telles.

En passe d'être publiée dans la revue Evolution and Human Behavior, une étude propose pas moins de quatre procédures expérimentales pour prouver que les hommes stimulés dans leur «motivation copulatoire» –toujours par cette bonne vieille technique de l'image de femme séduisante et peu vêtue– ont tendance à être plus malhonnêtes que les autres.

Dans la première, Wen-Bin Chiou, Wen-Hsiung Wu et Wen Cheng ont enrôlé 104 étudiants hétérosexuels (52 femmes et 52 hommes) et leur ont fait passer le test de Stroop après leur avoir montré une photo a priori affriolante. Il en ressort que le rallongement du temps de réaction (et donc le fameux «état d'esprit copulatoire») n'est significativement mesurable que chez les hommes –d'où une absence de femmes dans les expériences ultérieures. Ici, les chercheurs demanderont à leurs volontaires (une centaine d'individus à chaque fois) d'effectuer diverses tâches mesurant leur honnêteté. Par exemple, les participants devaient rendre de l'argent qu'on leur avait versé en trop ou s'auto-récompenser s'ils réussissaient un exercice de mathématiques. Oui, vous l'avez deviné: quand la tâche suivait la vue d'une photo sexy, les hommes étaient bien plus enclins à entourlouper leur monde, à garder les sous pour eux ou à dire qu'ils avaient eu juste à leur exercice.

«Pour les hommes chez qui la motivation copulatoire a été éveillée par l'exposition à un stimulus sexuel», notent les chercheurs, «la malhonnêteté semble être une tactique visant à exposer des caractéristiques privilégiées sexuellement par les femmes».

Au rang de ces caractéristiques, les ressources économiques demeurent toujours en bonne place aux quatre coins de la planète. Selon des recherches antérieures et menées par d'autres scientifiques, cette motivation copulatoire augmente aussi le goût du risque, de la guerre, du sacrifice héroïque et de la mise en danger altruiste, du non-conformisme, de la dépense et de la générosité. Autant d'attributs que les femmes ont, comme de par hasard, tendance à apprécier lorsqu'elles se choisissent un partenaire sexuel et/ou un père pour leurs enfants.

En somme, notre cliché des hommes sexuellement demeurés est à moitié faux, car à proprement parler, le sexe ne rend pas les hommes plus idiots qu'ils ne le sont au départ. Dans l'étude de Wen-Bin Chiou et al. à paraître cette année, l'«exposition à un stimulus sexuel» n'a aucun effet strictement intellectuel sur les gugusses, vu qu'ils ne réussissent ni mieux ni moins bien leurs exercices lorsqu'ils sont «copulatoirement motivés». Mais pour l'autre moitié, le stéréotype voit juste: sur le reste de leur esprit et des comportements qui vont avec, le chamboulement est bien réel. 

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