Politique / France

Toutes les femmes voilées ne pensent pas la même chose

Faire de l'islam une option politique, c'est faire le jeu des communautaristes.

A Marseille en octobre 2013. AFP PHOTO BERTRAND LANGLOIS
A Marseille en octobre 2013. AFP PHOTO BERTRAND LANGLOIS

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Porter le voile, c’est affirmer sa foi religieuse. Certains hommes politiques français suggèrent que cela revient également à exprimer une opinion politique, du moins pour celle de ces femmes qui n’y sont pas contraintes. C’est ainsi en tout cas qu’il faudrait comprendre le port du voile, selon Manuel Valls: «Quand les femmes ne sont pas victimes et qu'elles le revendiquent, oui c'est une revendication politique, bien évidemment» déclarait celui qui était alors premier ministre, en août 2016. Tandis que l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy expliquait que: «Porter un burkini est un acte politique, militant, une provocation». De là à dire que porter le voile c’est prôner la charia, la loi islamique, il n’y a qu’un pas.

L'exemple turc 

Ignorer la diversité d’opinion et d’engagement qui existe chez les femmes voilées en France constitue une erreur politique. Pour le comprendre, transportons-nous un moment en Turquie. La libéralisation récente du port du voile, longtemps interdit à l’école, à l’université, au Parlement et dans la fonction publique, s’est traduite par une forte augmentation du nombre de femmes ainsi vêtues. Mais cette libéralisation ne s’est pas accompagnée d’une uniformisation des engagements politiques. Au contraire. Une femme voilée peut désormais tout aussi bien être une élue kurde du Parti démocratique du peuple (HDP), de gauche tendance «communalisme, démocratie radicale et écologie sociale» défendant les droits des minorités, sexuelles ou ethniques, éventuellement favorable à une reconnaissance du génocide arménien, et soutenant les revendications autonomistes kurdes qu’elle peut, tout aussi voilée, être nationaliste, turque et conservatrice, appartenir à la néo-confrérie musulmane de l’imam Fetullah Gülen opposée aux aspirations autonomistes kurdes ainsi qu’à l’Iran mais plutôt bien disposée à l’égard d’Israël et des États-Unis.

Toujours en Turquie, une autre femme voilée sera, certes plus rarement mais ce cas existe, laïque et pratiquante, votant pour le parti républicain du peuple (CHP), tendance social-démocrate, à l’opposé de sa rivale, une militante islamo-conservatrice du parti de la Justice et du développement (AKP, au pouvoir depuis 2002), laquelle ultra-libérale sur le plan économique et conservatrice en matière de mœurs, sera plutôt anti-occidentale et anti-sioniste. Enfin, cinquième de la liste, encore très minoritaire cependant, une jeune étudiante très pieuse et voilée peut adhérer au «mouvement anticapitaliste» et, comme lors des grandes manifestations de juin 2013, défiler «au nom de Marx et du Coran» contre le pouvoir islamo-conservateur en place. 

Ces cinq exemples de femmes turques voilées illustrent cinq positions politiques différentes voire diamétralement opposées. Pourquoi n’en serait-il pas de même au sein de la composante musulmane française? D’autant que celle-ci est à bien des égards nettement plus démocrate.

En France aussi, des choix politiques différents

Pense-t-on que Latifa Ibn Ziaten, la mère du soldat Imad, l’un des militaires assassiné à Toulouse en mars 2012 par Mohamed Merah, pense la même chose que Houria Bouteldja, (parfois voilée version bandana ou drapé),  l’une des dirigeantes du PIR (Parti des  Indigènes de la République)? La première qui a reçu de nombreux hommages des autorités de la République (y compris de l’ex-premier ministre Manuel Valls, mais aussi de François Hollande) et voit son action encouragée par le ministère de l’Education nationale, ne ménage pas sa peine au nom du «vivre ensemble» et de la «tolérance interconfessionnelle». Tandis que la seconde déchaîne les polémiques par ses prises de position, ne fait pas mystère de son appartenance à une frange radicale de l’extrême-gauche et «revendique son dégoût du métissage, rejoignant par-là l’extrême droite racialiste» juge par exemple l’ancien chef du bureau des cultes, Didier Leschi dans Misère(s) de l’islam de France.

Quant à Ismahane Chouder, l’une des responsables de l’association Participation et spiritualité musulmane (PSM), vice-présidente d’Islam et laïcité, et animatrice du collectif Féministes pour l’égalité, elle se distingue aussi. En effet, PSM a pris une part active à la mobilisation des musulmans contre la loi instaurant le mariage pour tous, ce que n’ont pas du tout fait les autres associations dont Ismahane Chouder est membre. Ainsi cette dernière peut militer aux côtés de la militante féministe Christine Delphy au sein de l’association Mamans toutes égales (MTE), qui s’est formée pour protester contre l’interdiction faite à des mamans portant le voile, d’accompagner les sorties scolaires au nom d’une certaine interprétation de la laïcité, mais elle sera en revanche en profond désaccord avec elle sur la question du mariage pour tous. Et puis où se situent les militantes qui s’inscrivent dans le sillage de Tariq Ramadan? Islamisent-elles la question sociale ou posent-elles conjointement la question de la justice sociale et celle de l’islam?

Mélenchon, Hamon, Macron ou Le Pen? 

Ne serions-nous pas surpris par les préférences de ces femmes voilées s’agissant des candidats à la Présidentielle? Certaines sont d’extrême-gauche, d'autres semblent réservées vis-à-vis de Mélenchon et plus favorables à Hamon, voire à Macron… Quand un certain nombre ne seraient pas opposées à voter Le Pen, pour ce qui concerne les questions de mœurs et de société, en particulier sur le mariage pour tous. Sans oublier les salafistes, qui refusent carrément d’aller voter car elles rejettent notre système démocratique.

En renvoyant toutes ces femmes à leur voile, nos hommes politiques passent à côté de ces différences –et cette richesse– de sensibilités. En se fixant uniquement sur le voile, nos candidats et responsables de partis ne font-ils pas le jeu de ceux qui ramènent tout au voile et qui rassemblent, sous l’étendard de l’islamophobie, des femmes victimisées ainsi désignées à la vindicte populaire, alors qu’au fond les choix politiques de ces femmes voilées peuvent être assez différents les uns des autres?

Réduire l'identité musulmane à une identité politique est une erreur

Certains de nos hommes politiques pourfendent l’islam politique mais ils réagissent de façon aussi sommaire en réduisant le port du voile, l’affirmation d’une identité musulmane à une affirmation politique. Or ce que l’on voit ailleurs, lorsque la polarisation sur le voile s’est estompée, comme en Turquie aujourd’hui, c’est plutôt le contraire.

Bien sûr le fait que la société turque soit à 99% musulmane induit des différences dans la diversité. Un islam ultra-majoritaire comme en Turquie est par conséquent plus divers que l'islam français minoritaire.

Le problème c'est qu’en France, la mobilisation sur la question du voile est telle que les différences, voire les conflits politiques entre les femmes voilées, ne peuvent quasiment pas apparaître. Or ces différences sont importantes à saisir: d’abord parce qu’elles existent, ensuite parce que cette cristallisation autour de l’islam revient à prendre position «pour» ou «contre» l’islam. Comme si l’islam était une option politique. Dès lors, ceux qui mettent toutes les femmes voilées «dans le même sac» adoptent cette posture communautariste qu’ils pourfendent par ailleurs. Comme leurs «ennemis» identitaires, ils font de l’islam un enjeu politique central, ce qui est absurde et surtout contre productif. 

Les idées sous le voile

D’où cette suggestion de toujours chercher à connaître la «femme politique» sous le voile. Est-elle pour ou contre la société démocratique? Anti-capitaliste, ultra-libérale ou socialiste? Pour ou contre le mariage pour tous? Pour ou contre le revenu universel? Et en politique étrangère: pour le droit d’Israël à exister ou pas? Trump ou pas Trump? Et tiens justement, condamnation ou soutien à Erdogan?

Oublions un moment ce voile pour rechercher la variété d’idées qu’il recouvre.

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