Culture

«The Road»: Préparez-vous à recevoir un coup de massue

Le film tiré du livre de Cormac McCarthy vous fait vivre une expérience de l'extrême.

Temps de lecture: 3 minutes

L'Homme et le Petit firent leur route. Dans le livre comme dans le film, le film étant tiré du livre et le rendant visible. Partout des étendues de ruines et de ferrailles après l'arrivée du pire. Plus en mots mais en images. Est-ce faisable? Raconter l'inénarrable. Il faut pourtant le raconter. Le Petit et l'Homme sans nom, sur la route, dans le monde mort depuis longtemps. Leur chariot et leur bâche et leurs boîtes de conserve, seuls remparts contre le froid au-delà du froid. L'histoire austère de l'amour humain dans l'arrière-fond gris de la ruine. Quand le moment vient, peut-il être filmé?

Il y a des limites à ce que le cerveau et le cœur humains peuvent supporter, surtout quand il s'agit de mon pastiche de Cormac McCarthy, auquel je renonce. La Route de John Hillcoat (Dimension Films), une adaptation largement fidèle au roman de McCarthy, se passe, comme le livre, presque complètement aux limites de l'entendement humain. C'est un film d'horreur qui fonctionne au niveau le plus primaire, stimulant la région infantile ou simiesque de notre cerveau, celle qui nous pousse à nous attacher aux autres êtres humains, à chercher leur protection et à leur offrir la nôtre. McCarthy est un spéléologue du psychisme humain, et dans La Route, il prend le lecteur avec lui et menace de l'abandonner au fond de l'abîme. En raison de la nature extrême de son sujet, La Route de Hillcoat est également une expérience radicale: vous sortez de la salle de ciné en sueur et tremblant. Mais l'expérience de l'extrême égale-t-elle l'art?

L'Homme (Viggo Mortensen) et Le Petit (Kodi Smit-McPhee) sont les seuls véritables personnages de ce conte de survie post-apocalyptique traitant de l'amour père-fils. Les personnes qu'ils rencontrent lors de leur longue et pénible marche jusqu'à la «côte» — symbolisant, comme dans beaucoup de récits de contre-utopies futuristes, le lieu d'un possible secours - sont des ombres vagues, à peine des êtres humains. A la suite d'une catastrophe inconnue, pratiquement toute vie humaine - et plus généralement presque toute vie animale et végétale — a été effacée de la Terre. Les gens qui restent n'ont aucun lien entre eux, aucun contrat social. Des bandes de cannibales nomades chassent et mangent toute personne suffisamment faible pour devenir leur proie. Ici et là, on croise des réfugiés non-cannibales - les gens que Le Petit appelle «les gentils» — en train d'errer dans les détritus, mais il est impossible de savoir qui est qui, donc L'Homme et Le Petit n'ont confiance en personne. Parfois L'Homme rêve de sa vie antérieure: les jours précédents le désastre, quand il est tombé amoureux de sa femme (Charlize Theron, qui n'est vue qu'en flash-back), ou les jours juste après, quand elle a mis au monde leur premier enfant dans un monde brusquement dépourvu d'espoir. Mais comme il le dit au Petit, les rêves tristes prouvent au moins que tu es toujours en train de lutter pour survivre. Ce sont de jolis rêves dont il faut se méfier.

«Un monde brusquement dépourvu d'espoir» — vous voyez, il est difficile de parler de ce film sans user du langage «sombre de chez sombre» de Cormac. Regarder le Petit et l'Homme cheminant à travers ce paysage terriblement austère (pris dans un monochrome délibérément laid) est éreintant, difficile, émotionnellement épuisant - mais on peut dire la même chose d'une séance de deux heures dans un abattoir.

La Route est un défilé ininterrompu d'horreurs indistinctes; vous les regardez les poings serrés, mais chaque atrocité écrase la précédente, comme la pièce suivante dans une maison hantée. A chacune des réussites du film — notamment le scénario dépouillé de Joe Penhall et les performances sincères et intrépides de Mortensen et McPhee — correspond malheureusement une erreur majeure, comme la bande originale de Nick Cave et Warren Ellis. Le chanteur et parolier australien est ami et collaborateur de Hillcoat, et sa musique fait tout ce que le script austère de Penhall ne fait pas. Plutôt que de compenser les tendances de McCarthy à l'excès, la musique les renforce. Les situations dont nous comprenons aisément l'atrocité eu égard à notre sensibilité —la nécessité de protéger son fils des cannibales errant, le fait de passer devant une rangée de crânes plantés sur des piquets, un toussotement de sang sur la neige— sont accompagnées par de la musique à cordes coupante comme une scie. Le personnage de Theron —on l'apprend dans l'histoire— était pianiste mais son absence serait plus douloureuse si chaque scène où elle figure n'avait pas un piano tintinnabulant en arrière fond.

Sans révéler la fin (bon sang, la fin!), je peux dire que La Route est un film qui ne fait que les plus maigres concessions pour nourrir le besoin de rédemption de son public. Bien que le film se passe dans un univers cinématographique reconnaissable — au croisement de la contre-utopie futuriste et du thriller zombie, en d'autres termes Mad Max moins les voitures trafiquées — il refuse délibérément la catharsis des films de genre. Sauf si vous êtes beaucoup plus capable que moi de vous distancier, vous quittez la salle en état de choc. Plutôt que de réfléchir sur le film après la séance, vous attendez qu'il se dissipe dans votre esprit.

D'une certaine manière, malgré son univers continûment sombre, La Route est un film parfait pour un week-end de fête. Même à ceux qui critiquent les repas familiaux, il offre une raison tangible de manifester de la reconnaissance. Certes, la dinde de maman est sèche et la pâte de sa tarte a la texture d'une chaussure mais même si le menu ne vous convient pas, vous avez au moins quelque chose à manger et quelqu'un avec qui le manger.

Par Dana Stevens

Traduit par Holly Pouquet

Image de une: Image du film, DR

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