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Le guide Michelin fou du Japon

Un deuxième guide consacré au Japon est sorti.

Temps de lecture: 4 minutes

À la mi-octobre 2009, l'état-major du Michelin a lancé à Kyoto, dans un temple zen du XIVème siècle, le deuxième guide japonais - après Tokyo - consacré aux villes de Kyoto et Osaka: en tout, 203 établissements dont 147 restaurants, 34 hôtels et 22 ryokans (auberges traditionnelles japonaises). L'ouvrage est publié en japonais et en anglais avec un gros tirage de 150.000 exemplaires, enrichi de deux pages publicitaires du champagne Louis Roederer.

La grande particularité de ce nouvel opus en couleurs, c'est que le Michelin Kyoto-Osaka ne comporte que des restaurants étoilés, exclusivement, «afin de rendre hommage à la remarquable gastronomie de ces deux villes, à la richesse de leur patrimoine culinaire et à l'originalité de la jeune génération des chefs locaux», indique le communiqué officiel du groupe de pneumatiques et d'éditions touristiques (1% de chiffre d'affaires total).

Au sommet, 7 restaurants à trois étoiles, 24 restaurants à deux étoiles et 116 à une étoile, un palmarès qui mérite un coup de chapeau, d'autant que la quasi-totalité des enseignes propose de la cuisine nippone, de styles différents: la cuisine kaiseki axée sur le répertoire traditionnel, le travail des poissons, coquillages, légumes et le canard; la cuisine fugu des poissons vénéneux pratiquée par des spécialistes; la cuisine isakaya de brasserie ou de pub; la cuisine kushiage de brochettes frites panées; la cuisine oden des bouillons de légumes, d'œufs, d'acras, de soja; la cuisine soba des nouilles de sarrasin; la cuisine tempura des légumes, crevettes - tout cela en plus des sushi, sashimis et teppanyaki, bien connus en Europe.

Seuls neuf restaurants offrent de la cuisine française dont Hajime, trois étoiles, consacré aux légumes (une centaine) et le Pont du Ciel à Osaka, deux étoiles, tenu par Guy Martin représenté par un de ses bras droits, orienté sur un éventail de légumes très variés, l'huile d'olive, la pasta et le risotto façon méditerranéenne - à quoi s'ajoutent des préparations dans l'esprit du Véfour de Paris.

Epicuriens

«Les Japonais sont devenus des épicuriens, indique Guy Martin, ils ont appris à déguster les produits locaux, religieusement - on change les assiettes selon la saison. Cela relève d'un véritable art de vivre à table, de même pour les décors si variés où voisinent les jardins japonais, les temples, les statues, les références à l'histoire: le Japon développe une formidable culture de la table qui sidère les Européens. Et puis, les chefs japonais ont réussi le mariage subtil entre la tradition et la modernité, d'où une affluence permanente dans les restaurants en vue. Pour le Michelin, c'est une terre féconde et bénie: il y a des lecteurs, des clients et une abondance d'adresses. Les guides sont attendus.»

À noter que certains restaurants ont plusieurs siècles d'ancienneté et que les chefs se succèdent de père en fils, selon un rituel immuable: l'ancien Hyotei à Kyoto (trois étoiles) a quatre cents ans d'âge et c'est la quatorzième génération qui mitonne le thon, le riz au porridge, et les œufs bouillis. La grande restauration japonaise se confond avec l'histoire de l'Empire.

Qui juge, classe et étoile ces établissements? À l'origine de la conception du premier guide de Tokyo, des inspecteurs français dépêchés sur la mégalopole ont formé des homologues nippons à évaluer les restaurants, à mettre en lumière les critères majeurs (la régularité), à dresser une hiérarchie des étoilés - puis ils sont venus en France afin d'achever leur formation dans le moule Michelin.

Pour les cadres japonais du Michelin, il a fallu adapter leur grille de cotations (les goûts nippons) et inventer de nouveaux pictogrammes signifiant que dans tel restaurant, on doit ôter ses chaussures, que le paiement se fait en cash, que tel établissement est «top class confort» ou «luxury», qu'une salle de bains privée est disponible, qu'un jardin japonais existe bien, que la wine ou sake list est intéressante...

Plus de critères

Disons-le, grâce à cette forte implication au pays des geishas, des baguettes et du riz vinaigré (pour les sushi), les critères de jugement se trouvent amplifiés, démultipliés, clarifiés.

Dès lors, on comprend les raisons de cette fièvre nippone aiguë, la surabondance des étoilés, une véritable profusion de tables qui valent le détour, d'où la précision informative des textes rédigés par les inspecteurs, les commentaires culinaires, la description des soupes miso, des sushi de bœuf ou d'omelette, du célèbre menu Omakase - un défilé de plats chauds et froids - tout cela ne pouvait être parachevé que par des culinographes nippons, habitués, rompus à la dégustation des innombrables préparations et spécialités locales: la très complexe cuisine de la mer.

Cela dit, le système Michelin a trouvé au Japon une extension, un développement, une plus fine appréciation des restaurants. Le pays du Soleil Levant et cette plongée dans l'univers du cru, du gluant, des produits de là-bas ont eu pour effet de stimuler la créativité des inspecteurs rédacteurs, et ajoutons-le, leur étonnante capacité à admirer l'artisanat culinaire de Tokyo, Kyoto et Osaka - d'où l'exclusion des tables non étoilées.

Ces deux guides privilégient le top niveau, l'élite, les chefs leaders: imagine-t-on cela en Europe, à l'heure où le Michelin de France et d'ailleurs s'évertue à faire connaître les flopées de Bibs gourmands?

À cause de la poussée asiatique, nous en sommes à 79 restaurants trois étoiles dans le monde  - pour 24 guides couvrant 23 pays et 16 476 restaurants sélectionnés, soit 1,2 million d'exemplaires vendus en 2009. Est-ce trop? Le Michelin hors France s'est-il laissé aller à une inflation des trois étoiles - ils étaient 35 en 1999?
Alors, l'état-major du Guide rouge saisi par la «japonite» aiguë? Le pays du Soleil Levant, nouvel eldorado du système Michelin? Pour la profitabilité, la dernière ligne du bilan, et l'image valorisante des pneumatiques, le Japon des baguettes est à prendre comme une sorte d'apothéose pour la marque de Clermont-Ferrand.

Guide Kyoto Osaka, 520 pages et 35 pages de cartes, 2.300 yens.
Guide Tokyo 2010, 2ème édition, 560 pages et 26 pages de cartes, 2.300 yens.

Quatre bons restaurants japonais de Paris cités par le Michelin:

Aida. Le seul étoilé japonais en France. Comptoir et salle à manger, plats teppanyaki dont un admirable chateaubriand et du foie gras chaud à la vapeur. Dîner seulement. Cher, de 120 à 160 euros. 1 rue Pierre Leroux 75007. Tél. : 01 43 06 14 18. Fermé lundi.

Benkay. En étage, dans le Novotel Tour Eiffel, un ensemble de plats exécutés sur plaque chauffante ou présentés à table. Du spectacle culinaire et un vrai travail sur les cuissons. Menu à 35 euros au déjeuner. Carte de 55 à 150 euros. 61 quai de Grenelle 75005. Tél. : 01 40 58 21 26.

Hanawa. Sur deux étages, un vaste espace de cuisine japonaise, confort et lumière, plats teppanyaki dont le foie gras chaud et sushi bar. Menus à 54, 85 et 115 euros. Carte de 65 à 120 euros. 26 rue Bayard 75008. Tél. : 01 56 51 70 70.

Isami. En face de la Tour d'Argent, de l'autre côté du Pont Marie, une petite boîte fréquentée par les connaisseurs pour d'exquis sushis et sashimis mitonnés au moment, devant vous, par un sushi chef appliqué, expert et silencieux. Carte de 60 à 150 euros. 4 quai d'Orléans 75004. Tél. : 01 40 46 06 97.

Nicolas de Rabaudy

Image de Une: CytecK, Flickr, CC

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