France

Benoît Hamon ou la révolte des diplômés

La campagne de Benoît Hamon est la traduction française d’une intense bataille engagée au sein de la gauche européenne sur sa redéfinition.

Benoît Hamon, Décembre 2016.JOEL SAGET / AFP
Benoît Hamon, Décembre 2016.JOEL SAGET / AFP

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Depuis la crise de 2007-2008, les différentes familles politiques ont été confrontées à un puissant ébranlement des représentations collectives de nos sociétés. Les conséquences matérielles de la crise et des politiques économiques menées, notamment de l’austérité au sud de l’Europe, ont fait muter les clivages politiques et bouleversé paysages électoraux et idéologiques. Au cœur de ces bouleversements, on retrouve les groupes sociaux diplômés, fragilisés par la crise.

La primaire est l’occasion pour ces groupes, au cœur de l’électorat social-démocrate ou socialiste, de manifester leur révolte par leur bulletin de vote. Elle est aussi l’occasion de porter au sein du «peuple de gauche» des thèmes qui forgeront les clivages et les rapports de force de l’après 6 mai.

Une redéfinition de la gauche européenne

La campagne de Benoît Hamon est la traduction française d’une intense bataille engagée au sein de la gauche européenne sur sa redéfinition.

Souvent accusé de contribuer à transformer le PS en un Parti Démocrate à l’italienne, le processus de la primaire a donné, parmi d’autres, un débouché aux revendications, aspirations et colères de groupes acceptant jusqu’alors l’agenda de la «gauche de gouvernement».

Le scrutin de la primaire a rassemblé, selon les sources, 1,3 ou 1,6 millions d’électeurs, plus politisés que la moyenne. Il s’agit du cœur de l’électorat fidèle à la gauche gouvernementale portée au pouvoir en 2012.

Victime des effets de la crise, sensible au devenir de son camp politique et en quête d’un horizon idéologique nouveau, cet électorat a rencontré, en chemin, la campagne de Benoit Hamon. Il s’est donc saisi du bulletin Hamon pour manifester sa colère et ses aspirations.

Benoît Hamon a intelligemment repris la recette appliquée par la campagne Montebourg de 2011: une campagne de primaire se gagne sur une vision du monde qui mobilise un électorat politisé par la mise en avant de concepts formant une synecdoque.

Une campagne de primaire ne se gagne pas sur un catalogue de propositions mais sur la mobilisation autour d’une stratégie discursive d’un électorat divers mais déjà politisé.

La fonction du revenu universel

L’équipe de Benoît Hamon a perçu l’évolution idéologique d’une partie du peuple de gauche resté fidèle à la social-démocratie, ne renonçant pas à «changer le monde»

L’équipe de Benoît Hamon a perçu l’évolution idéologique d’une partie du peuple de gauche resté fidèle à la social-démocratie, hostile au consensus économique européen, s’interrogeant avec espoir sur la France «post-industrielle» et ses perspectives, ne renonçant pas à «changer le monde».

Il fallait une idée phare pour cimenter ces aspirations. En 2011, la démondialisation de Montebourg avait cette fonction. En 2017, c’est le revenu universel de Hamon.

Le contexte de la campagne Hamon n’est pas exactement le même qu’en 2011. En 2011, l’équipe Montebourg avait suivi avec intérêt l’expérience des Indignados de la Puerta del Sol, qui rendit possible en 2014 la création de PODEMOS. Rien ne se produisit néanmoins en France, privant l’expérience Montebourg du carburant et du dialogue avec un fort mouvement social de contestation démocratique.

La campagne Hamon correspond à un moment de redéfinition de la gauche dans la crise, moment dont on prend la mesure en observant divers pays européens et en observant attentivement les bastions du vote Hamon.

Les aspirations de Nuit Debout

Il est notable que Benoit Hamon réalise des scores impressionnants dans le nord-est parisien. La carte de ses scores ressemble ainsi étrangement à la carte d’assiduité à Nuit Debout.

Une question se pose immédiatement: Hamon est-il le candidat de Nuit Debout? C’est peu probable, même si certains ont pu juger utile de voter pour lui. Ce qui est en revanche très probable c’est que l’éruption Nuit Debout puisa au cœur du même foyer sociologique que celui qui porte la candidature Hamon.

Il faudrait donc resituer le succès de Benoit Hamon dans la lignée de ce qui s’est produit au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, où les classes moyennes diplômées sont moteurs de bouleversements politiques en cours…

La révolte de l’électorat de gauche en Europe…

Quelque chose d’inattendu se passe au sein de la gauche européenne ressemblant à la révolte du cœur de son électorat. De quoi paniquer les dirigeants de la social-démocratie européenne.

Podemos, Corbyn, Syriza, Costa au Portugal, on rencontre nombre d’exemples d’une mue idéologique des familles composant la gauche européenne, le plus souvent portée par des groupes sociaux diplômés fragilisés par la crise. On trouve les frondeurs les plus sérieux parmi les sages anonymes se rendant silencieusement dans l’isoloir...

Sur le plan théorique, stratégique et programmatique, les familles politiques issues de la gauche sont ainsi amenées à évoluer, parfois dans des conflits violents, pour répondre à la colère de son électorat. Nous entrons dans une ère de grande plasticité dont, tour à tour, différents acteurs politiques peuvent tirer parti. Dimanche dernier, c’était Benoît Hamon.

Hamon est le débouché électoral d’une révolte du cœur de l’électorat socialiste

Hamon n’est ainsi pas que le candidat de la «gauche du PS». Il est, dans cette primaire, le débouché électoral d’une révolte du cœur de l’électorat socialiste qui s’est notamment soustrait, à Paris, aux consignes de vote d’Anne Hidalgo, désormais confrontée comme le reste de l’appareil socialiste à la fronde de ses propres électeurs.

Il y a des ingrédients venus de toute l’Europe dans l’expérience Hamon. C’est en effet une campagne eurocritique mais européenne qui a été menée. Moins soumise à l’adhésion à l’idée d’une «Europe idéale» qui légitimerait in fine l’Europe réelle, celle de la direction de la concurrence de la Commission et de la BCE, qu’à l’esprit de révolte du cœur de l’électorat de la social-démocratie européenne, la campagne Hamon est une habile entreprise de captation d’un produit instable: la colère et les rêves de son électorat.

Hamon n’est pas seul en Europe

Fait notable, le soutien de Paul Magnette, le Ministre-Président de la Wallonie, connu pour sa spectaculaire opposition au CETA, rappelle que la question du libre-échange est bien, pour les jeunes leaders de la social-démocratie (Magnette, Fekl, Hamon et hier Montebourg) une question fondamentale déterminant l’avenir de leur famille politique. Le libre-échange permet d’aborder la question du retour de la puissance publique en Europe et dans la mondialisation. On l’a vu avec le TAFTA et le CETA, sur ces questions le cœur de l’électorat socialiste ou social-démocrate a basculé.

Il y a aussi de l’anti-austérité dans la campagne de Benoit Hamon, pourtant Ministre dans un gouvernement qui renonça à renégocier le TSCG en 2012. Si Syriza, Podemos, le PS portugais ont connu des succès électoraux et sont parfois parvenus au pouvoir, c’est parce que leurs sociétés respectives subissaient les conséquences matérielles directes de politiques souvent imposées, sinon dictées.  Les diplômés fragilisés par la crise, précarisés, ont voté Hamon et rejeté ce qui fait le dénominateur commun des politiques économiques menées depuis 2008.

Cet électorat politisé réclame aussi un horizon politique. En mettant en avant la question du «revenu universel», Hamon a utilisé une idée déjà riche de l’engagement de la société civile dans les débats d’une famille social-démocrate encore figée dans l’imaginaire des Trente Glorieuses.

Il y a aussi du Antonio Costa, l’actuel Premier Ministre portugais, dans l’expérience Hamon. Costa qui gouverne en alliance avec la gauche radicale de son pays, réalise un front unique désormais rare en Europe. En affirmant sa volonté d’union de la gauche, Hamon sait parler à la partie de l’électorat socialiste la plus favorable, envers et contre tout, à l’idée «d’union de la gauche».

Stratégie Corbyn et avenir portugais?

L’expérience Hamon traduit donc en France une évolution européenne et emprunte idéologiquement à d’autres mouvements européens issus de la gauche radicale, de la social-démocratie ou des écologistes. Elle est indissociable des conséquences de la crise de 2008, partie prenante de la crise de la social-démocratie tout en n’étant compréhensible qu’au regard de l’histoire récente du PS français.

Courant minoritaire extrêmement organisé, les partisans de Benoit Hamon avaient choisi de se fondre dans la majorité du PS au Congrès de Toulouse de 2012, rejoignant ainsi les partisans décidés des options politiques de François Hollande. Les options stratégiques et tactiques de ce groupe organisé depuis les années de la présidence du MJS par Benoit Hamon ont visé à préserver son influence dans l’appareil socialiste. Sa position d’aile gauche lui a garanti influence et ressources au sein de l’appareil. L’opportunité «historique» s’est ensuite présentée dans un moment de décomposition de l’appareil socialiste. Il s’agit dans ce contexte, par la candidature Hamon, de conquérir la centralité au sein d’un PS entré en crise finale, après un quinquennat politiquement et électoralement désastreux. L’appareil du PS est devenu un enjeu vital. Il conditionne la participation à la «gauche d’après», une gauche au sein de laquelle le PS aura perdu son hégémonie mais qui aura un rôle à jouer.

Le faible nombre de participants à la primaire de gauche par rapport à 2011 souligne que, pour beaucoup d’électeurs, l’enjeu n’est pas tant de désigner un candidat crédible à la tête de l’Etat que de définir les contours idéologiques d’une gauche idéale, celle censée naitre après une défaite programmée. Longtemps, le mythe de la création d’un parti socialiste idéal à côté du parti socialiste réel a déterminé les scissions du PS. On attendait des frondeurs une scission de gauche du PS. La candidature Hamon s’est appuyée sur la primaire pour forcer le destin.

Le cas Corbyn, au pays de Tony Blair, est emblématique. Après avoir conquis à la surprise générale la tête du Labour, Jeremy Corbyn a su la garder au cours d’un deuxième scrutin largement remporté malgré l’hostilité d’une grande partie des parlementaires et de l’appareil du parti. L’expérience Corbyn, engagé depuis ce qui fut le parti de Tony Blair, véritable étoile polaire de la social-démocratie des années 90 et 2000 ne tient pas de l’accident, comme l’a souligné Fabien Escalona. Elle fait de la social-démocratie un champ de bataille. Si Benoît Hamon l’emporte, il aura probablement plus à lutter contre ceux qui, dans l’appareil socialiste, rêvent encore de l’expérience blairiste que contre la droite. Dimanche, c’est un référendum sur la « gauche d’après » qui se tiendra dans les bureaux de vote de la «primaire citoyenne». Hamon ou Valls, le choix engage bien au-delà du prochain quinquennat.

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